Howard Zinn, Une Vie à Gauche
Une vie à Gauche… Mais attention : cette vraie New Left américaine, pas cette fausse droite française affublée d’un gros nez rose, qui vit sans conviction intellectuelle ni morale.
Howard Zinn aura passé sa vie à Gauche, critique à l’égard des partis de pouvoir, militant infatigable, déniaisé sur la démocratie et cessant très tôt d’être l’un de ces naïfs progressistes qui font le lit de ces états très peu démocratiques qui sont les nôtres.
La biographie de Martin Duberman, son ami de toujours, est à l’image de l’engagement des deux compères : sans concession, franche, n’hésitant pas à pointer les approximations d’Howie, les généralités nébuleuses, voire les injonctions paradoxales qui relevaient de son désintérêt face à la théorie.
Une biographie exigeante donc, qui entre dans le détail d’une vie que Martin a accompagnée pas à pas d’un bout à l’autre de la vie d’Howard.
Il raconte donc l’enfance, la misère d’immigrés juifs de l’Est, cette vraie misère de survie dans une Amérique qui ne faisait rêver que les classes possédantes. Il raconte l’enfance famélique qui contraignait les enfants eux-mêmes à travailler, tel Howard, dès ses 14 ans. Howard réussissant miraculeusement à l’école, mais devant interrompre longuement ses études avant de les reprendre à 27 ans.
Il raconte l’enfant de 17 ans, déniaisé brutalement sur la démocratie après avoir reçu un violent coup de matraque sur la tête pour avoir osé tenté d’exprimer son point de vue publiquement. Il raconte l’engagement, la soute de ce bombardier où Howard s’interroge sur la nécessité de raser la ville française de Royan au napalm, il raconte Howard doutant du caractère juste de cette Guerre, comprenant Hiroshima comme le premier acte diplomatique de la Guerre froide et affirmant à ses amis que la guerre de 39-45 n’était pas une guerre contre le fascisme, mais pour l’Empire américain. Il a tout compris, observant les agissements de la BIRD, la Banque pour la Reconstruction et le Développement, dont la première déclaration est éloquente : "favoriser l’investissement privé partout dans le monde"… Quelle vision politique dès ses 21 ans !
A 27 ans il reprend donc ses études, bénéficiant d’un programme de gratuité pour service rendu à la patrie. Il soutient son doctorat à la Columbia Université, postule à Atlanta, au Spelman College qui n’accueille derrière ses barbelés que des jeunes filles noires, s’engage aussitôt dans la lutte pour la reconnaissance des droits civiques des noirs. Au passage, Martin Duberman nous livre une superbe étude des positions des intellectuels de l’époque sur la question noire, dont celle de Faulkner, qui ne trouvait rien à redire à cette ségrégation pourvu que l’état fédéral acceptât de mieux financer les universités noires qui, en effet, ne percevaient que 0,66% de la manne dévolue aux universités américaines... Ou Schlesinger, condamnant le "dogmatisme" des militants noirs, trop pressés (!) à ses yeux de recouvrer leurs droits et à qui il recommandait davantage de patience…
Howard, lui, face à "l’exquise courtoisie des Blancs du Sud", s’engageait totalement dans ce premier combat victorieux. Nous le suivons pas à pas, n’oubliant jamais les raisons de son engagement universitaire, même lorsqu’il sera nommé chercheur à Harvard, ce que d’aucuns auraient pris pour une consécration. Lui reviendra bien vite à Atlanta, avant de se voir limogé du fait de son activisme. C’est que Howard ne voulait pas simplement se payer de vains mots mais agir, concrètement, et très concrètement voulait peser sur l’ordre social américain, bien loin de ces engagements politiques de la génération 68 en France par exemple, qui n’aura rien touché à l’ordre social français. C’est qu’écrire l’Histoire, pour Zinn, ne s’entendait pas d’une posture purement théorique, n’engageant qu’aux controverses de salon ou aux stratégies de positons au sein du monde universitaire. Engagé dans sa vie d’abord, il en fera de même tant dans la conception du travail intellectuel qu’il va déployer, que de son rôle au sein de la poussiéreuse American Historical Association (AHA), regroupant les universitaires de sa discipline. Toute sa vie Zinn militera pour la réformer, posant la question de la prétendue objectivité savante, pitoyable cache sexe à ses yeux, Zinn ne cessant de rappeler à ses confrères leurs choix douteux à chaque grand moment de l’Histoire, comme celui du mouvement des Historiens "objectifs" qui, en 14-18, mirent sur pied le National Board for Historical Service, destiné à fournir au grand public des "informations fiables" sur la guerre, à savoir : 33 millions de brochures expliquant le rôle vertueux joué par les Etats-Unis dans ce conflit… Idem en 39-45 autour de la notion de Guerre Juste. Idem en 1961, quand le président de l’AHA déclarait que "l’abus d’autocritique affaiblit un peuple"… Oscillant toute sa vie entre marxisme et anarchie, Zinn sera resté d’un bout à l’autre exemplaire dans ses engagements, affirmant sans jamais faiblir que "demeurer un être humain est plus important qu’être historien".
Howard Zinn : Une vie à gauche, de Martin Duberman, traduction de Thomas Déri, éditions Lux, mais 2013, coll. Mémoire de l’Amérique, 392 pages, 24 euros, ISBN-13: 978-2895961635.
http://www.joel-jegouzo.com/article-howard-zinn-l-impossible-neutralite-118104006.html
http://www.joel-jegouzo.com/article-une-autre-histoire-de-l-amerique-45123967.html