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28 mai 2013 2 28 /05 /mai /2013 06:59

 

zinn-agoneHoward Zinn est mort le 27 janvier 2010. Les médias français, Le Monde et Libération en tête, ne savaient que dire de cet historien qui fut pourtant l’un des intellectuels majeurs du renouveau de l’approche universitaire historienne aux Etats-Unis. Ils le traitèrent allègrement de marginal (!), voire, sans rire, d’"autodidacte" de l’histoire… C’est dire l’état d’aveuglement des médias français…

Inlassable défenseur des droits des minorités et de la désobéissance civile, Howard Zinn aura pourtant marqué à jamais les études universitaires américaines de son empreinte. Lisez son Autre Histoire Populaire des Etats-Unis, vous le comprendrez bien assez vite !

Dans cette autobiographie, c’est moins sous l’angle théorique qu’il évoque l’impossible neutralité des sciences sociales, que par l’observation de son propre vécu. Howard Zinn rappelle en particulier comment le jeune homme qu’il fut, qui participa en toute loyauté aux bombardements américains sur l’Europe au cours d’une guerre qu’il avait tout d’abord pensé "juste", finit par se radicaliser sur le sens de la conduite humaine, en tant de guerre comme en tant de paix. Son engagement universitaire en fut la vivante preuve, lui qui décida de devenir le seul blanc d’une université noire que tous les jeunes diplômés blancs préféraient ignorer.

Mais ce qui me retiendra dans cet ouvrage, c’est sa formidable énergie et cette volonté farouche qu’il déploie de ne céder jamais au pessimisme politique. Par les temps qui courent, il vaut la peine de l’écouter !

Il faut, nous dit-il, donner vie à ses idéaux. "La seule existence des opprimés en lutte, est porteuse d’espoir". Un message dont nous avons bien besoin dans cette Europe agressée quotidiennement par une idéologie néo-libérale assassine –il n’y a pas d’autres mots.

Parce que ces opprimés en lutte "sont la preuve qu’il existe des possibilités de changement dans ce monde". Certes, l’atmosphère générale est à la déconvenue, à la désespérance, mais Zinn a bien raison d’affirmer que nous n’avons pas le choix, que "seul le changement de perspective historique peut permettre d’éclairer nos ténèbres". Tout comme il a raison de nous rappeler combien le XXème siècle nous aura surpris : indifférent aux frémissements d’indignation qui l’ont traversé, il aura laissé mûrir les grandes tragédies que nous avons connues, mais aussi des contestations inouïes qui auront bousculer l’ordre des choses. Howard Zinn est bien placé pour le savoir, lui qui fut finalement l’acteur de deux grandes victoires des luttes américaines, pour les droits civiques et la guerre du Vietnam.

Il a raison encore quand il nous conseille de nous montrer attentifs aux "actes isolés qui commencent à s’accumuler", aux "élans individuels" qui se regroupent peu à, peu en actions organisées : "un beau jour, (…) un mouvement de grande ampleur envahit la scène". Nous ne savons pas quand, nous ne savons pas où, mais comme le dit Zinn, c’est déjà arrivé tant et tant de fois dans l’Histoire ! Pour l’heure, nous sommes hébétés, incapables de comprendre vraiment ce qui pousse sous la surface du présent, cet élément humain en particulier, "l’indignation refoulée, l’exaspération, le besoin de partager". Mais "à certains moments de l’histoire il se trouve des gens suffisamment intrépides pour parier que d’autres les suivront". "Si bous parvenons à comprendre cela, nous pourrions bien faire le premier pas. C’est déjà ce qui est arrivé dans l’histoire récente, un nombre incalculable de fois".

Immergés dans l’étau d’une crise montée de toute pièce, écrasés par la chape de plomb des espérances déçues, bafoués par un pouvoir politico-médiatique prédateur, la tentation de la résignation est certes grande. Peut-être l’histoire d’Howard Zinn peut-elle nous aider à mieux savoir nous positionner. Zinn songe à ses parents, ouvriers émigrés, terrorisés, le nez dans le guidon et qui n’ont jamais pu penser à autre chose qu’à tenter de s’extraire de leur pauvreté. Lui, affirme-t-il, a eu de la chance, simplement de la chance : il ne croit pas au mérite dans une société qui en brandit le leurre comme un hochet méprisant en dépit d’une réalité accablante. De cette chance il a fait un devoir, celui de ne céder jamais au cynisme facile de ces intellectuels qui pontifient sur le monde depuis leur coquet intérieur.

Il reste à vivre tout simplement : nos idéaux sont entiers et nous avons compris, comme lui en 1976, quand Carter vint au pouvoir, que tous les présidents ont toujours mené la même politique, au profit des plus riches. Nous avons compris, comme il l’a compris, que "l’avenir ne dépend pas de l’identité du prochain président : il dépend de l’aptitude des citoyens écœurés à se mobiliser pour hurler leur désir de changement encore plus fort que lors des soulèvements de 36, de leur aptitude à faire dérailler ce pays pour qu’il emprunte enfin de vraies nouvelles voies".

 

 

L'impossible neutralité : Autobiographie d'un historien et militant, de HowARD Zinn, préface de Thierry Discepolo, traduction de Frédéric Cotton, éd. Agone, 14 mars 2013, Collection : Eléments, 351 pages, 12 euros, ISBN-13: 978-2748901900.

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