LES BEURS, LA BEURETTE ET LES ARABES…


Que dire ensuite du féminin infantilisant qui émergea avec le succès que l’on sait. "Beurette"… Sinon qu’il sentait à plein nez son relent colonial… Séduisante, fragile, disponible, menacée… Car dans les années 2000, les beurs n’étaient plus ce qu’ils auraient dû être. Ils n’étaient plus gentils, ils n’étaient plus malléables. Ils étaient au contraire devenus menaçants, incontrôlables. L’arabe hexagonal, rétif à toute intégration. Les émeutes de 2005 le manifestèrent spectaculairement, et la beurette vint à point nommé incarner la figure stéréotypée de la femme opprimée. Avec cet avantage immense qu’elle désignait enfin le coupable : le garçon arabe, recyclé désormais dans le thème sécuritaire. La civilisation pouvait voler en toute tranquillité au secours de la charmante beurette, victime désignée du sexisme endémique des banlieues. Le beur était devenu entre-temps le garçon arabe, hétéro violent, machiste, inculte, réactionnaire. Et l’aspiration à l’égalité, à la liberté, des jeunes français issus de l’immigration maghrébine, pouvait rester lettre morte. En mettant au ban des accusés le garçon arabe on en faisait l’économie, disculpant du même coup tous ceux qui aboyaient avec les louves, dénonciateurs de tous bords du sexisme des banlieues, qui s’étaient assurés au passage que tout le monde avait bien oublié que la jeune fille arabe était elle aussi victime de discriminations raciales… Du coup, si l’emploi du mot Beur avait permis de différer l’accès des jeunes issus de l’immigration maghrébine aux droits nationaux, en construisant avec le garçon arabe la figure de l’ennemi intérieur, on pouvait exclure cette fois carrément l’arabe hexagonal du champ des droits nationaux…
Par ailleurs, si l'on évoque volontiers au singulier la figure de la beurette, c'est sous un nombre pluriel que les beurs sont convoqués. Ce point de grammaire qui n'est pas étudié dans l'article en question n'est pas anodin, j'y reviendrai dans une prochaine chronique.
Enfin, ce que n'évalue pas la réflexion de Nacira Guenif, c'est que l'espace à l'intérieur duquel se sont définis les termes de beur et beurette était laïc, une laïcité qui prétendait organiser leur soumission à des principes pour le moins suspects. Or, aujourd'hui, le chemin parcouru par les "beurs" eux-mêmes a conduit cette même République laïque à recycler leur assignation exclusivement à l'intérieur d'une perception religieuse. L'espace à l'intérieur duquel est stigmatisé l'arabe est religieux. Il y a là beaucoup à réfléchir, qui fera également l'objet d'une prochaine chronique--joël jégouzo--.
Ravages, Sale race, été 2011, éditions JB2 & Cie, 160 pages, 13,50 euros, ean : 978-2-755607079.
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