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La Dimension du sens que nous sommes

La Doloriade, Missouri Williams

29 Janvier 2025 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Biblique...

Dolores, ce «pâle oui féminin», est convoyée en brouette par son oncle aux confins de la communauté adelphique. Après l'Effondrement, il a fallu repeupler la terre. Les géniteurs qui s'en sont chargés, un frère et une sœur, ont bien eu certes une nombreuse descendance et celle-ci s'est bien également multipliée incestueusement, mais cela ne suffit pas, leur communauté reste fragile. Au loin, on a cru saisir des traces de présences humaines. L'oncle livre donc Dolores, incapable de se mouvoir aussi loin avec son « corps de baleine », dans l'espoir qu'elle se fera engrosser et qu'une nouvelle génération d'adelphes en sortira.

La vie continue. Donc. Il ne faut rien lâcher, même dans ce monde en ruine qui semble compter moins d'une trentaine d'habitants. Il faut aller et se multiplier coûte que coûte...

Il ne faut rien lâcher de ce que l'on savait faire, de ce qu'il reste d'espoir, de ce qu'il reste d'habitudes. Comme d'aller à l'école, même si elle n'est que feinte et animée par un pervers. Même si personne ne sait lire, sans doute pas même le maître d'école dans cette classe qui ne sert que de faux espoirs. « Le livre appartient à un monde oublié ». Lire ? Après le Déluge est revenu l'âge de la pierre et des choses. L'école tout de même, contre vents et marées, et au loin une ville. Un espoir peut-être, ou son contraire. Abandonnée, cette « grande honte de pierres ». Qui sait ce qu'elle recèle encore de poison. Alors là-bas la ville et ici le règne de la Matriarche, leur mère à tous, qui peut encore servir peut-être à mettre bas une génération de plus.

L'école tous les jours, plus par discipline que dignité de l'esprit. Et la télévision. Un seul programme : une émission de télé-réalité que les gosses suivent jour après jour. Quel monde pourrait survivre au monde éteint de la télévision ? Donc l'émission, en boucle. Et rien d'autres. Aucun message de nulle part. Juste l'indicible forêt qui ceinture la communauté adelphique, à la morale apocalyptique. Après tout, l'univers est peut-être mort ?

Le Mal est le temps du monde désormais. Que rien ne soulagera. Le roman s'inscrit de part en part dans ce rien. Dans l'horreur de l'il-y-a, aurait volontiers écrit Levinas.

Mais Dolores est revenue. Celle qu'ils haïssent tous. Sauf Agathe, la plus jeune, qui ne parvient pas à poser un regard de mépris sur elle. Dolores est de retour. On la bat, on l'estropie encore, on la mutile. Seules Agathe et Marta ne... Mais cela compte-t-il ? Marta à ses côtés, Marta, qui ne parle pas mais expulse des mots. Pas les mots : des. Sans logique.

Et puis Jan, celui qui a les pieds sur terre et qui cultive comme à l'ancienne, pour nourrir ce monde. Un monde mort. Qui vit sous la terreur de la Matriarche.

L'enjeu est simple : survivre et découvrir s'il existe d'autres êtres sur la terre. Mais Dolores est revenue. On n'en saura rien. Dolores est revenue reprendre sa place de souffre-douleur. La vie peut continuer. Dolores se faire violer. Marta se faire tuer. Une histoire archaïque, sinon biblique, que celle de la Matriarche et de son frère jumeau, seuls rescapés sur cette bande de terre.

Le maître d'école, cul-de-jatte, a fini par ramper jusqu'à l'orée de la ville. Il y a trouvé le cadavre de Marta, qu'il a remorqué jusque dans sa tanière, succombant « aux promesses vides de la chair », quand bien même pourries, à l'exacte image du corps de Marta, dont il enfouit le cadavre dans un monticule de vers.

Pas de morale : cette communauté de survie s'est fondée sur la cruauté, comme nécessité de survie. La cruauté comme impératif moral. La cruauté comme moteur de la vie. On comprend alors pourquoi l'existence de Dolores est fondamentale, puisque sur elle, toute la cruauté de l'humain peut s'abattre.

Mais la mort de Marta a déclenché le chaos. Jan essaie de tuer l'un de ses frères, mais tous se jettent sur lui pour le mutiler. Voilà, il n'a plus de jambes à présent, lui, le jardinier. Le projet humain claudique. «Le sol mort (scrute) le ciel mort et ne dit (plus) rien ». Dolores tombe bien enceinte, mais porte un enfant mort. Une pierre. Le monde est fini. La Matriarche s'est trompée : l'égoïsme n'est pas le lien qui nous lie au futur. Mais c'est trop tard.

 

 

La Doloriade, Missouri Williams, éditions Christian Bourgois, coll. Chimères, traduit de l'anglais par Aurélien Blanchard, août 2024, 268 pages, ean : 9782267048568

 

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