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26 avril 2013 5 26 /04 /avril /2013 04:42

 

enzoMais… Est-ce vraiment de Maîtres dont nous avons besoin ?

Dans cet entretien, Enzo Traverso récapitule tout d’abord longuement cette histoire française de l’intellectuel, inaugurée par l’Affaire Dreyfus et qui connut en la personne de Sartre son accomplissement le plus achevé. Une histoire exclusivement française donc, et c’est dommage, parce qu’il aurait été intéressant de la comparer à d’autres histoires, celles des ex-pays de l’Est par exemple où le mot s’inventa, pour aller puiser peut-être du côté des nihilistes russes de quoi élargir cette réflexion –la figure de l’homme de trop qu’incarne le personnage de Tourgueniev, Bazarov, méritant à elle seule un vrai développement.

Mais peu importe. Une histoire franco-française donc, qui n’omet rien de l’engagement, du magistère d’opinion, de la polarisation droite-gauche, et jusqu’à la récente transformation de l’intellectuel en expert, conseiller du prince ou universitaire à la solde des cabinets ministériels, voire expert autoproclamé ne cessant de distiller sa prétendue neutralité dans les médias qui nous abusent.

L’expert donc, au service du Pouvoir, politique, industriel, économique, financier, qui a fini par convaincre l’Université elle-même qu’elle devait cesser de produire de la pensée critique pour valoriser, au travers des Masters, la fabrique du technicien congruent.

Exit donc l’intellectuel critique. Le dernier, c’était Bourdieu. Aujourd’hui, il reste bien un Badiou pour creuser une voie originale, mais dans leur immense majorité, ceux que l’on dénommait intellectuels ne savent plus eux-mêmes ce qu’ils sont, démonétisés qu’ils sont, sans parler de ces masses effarantes de jeunes et de moins jeunes chercheurs prolétarisés, en vacance éternelle de postes ou plongés dans la précarité.

Il n’y a plus d’intellectuels en France, et c’est peut-être tant mieux, le signe d’un profond changement en tout cas.

Oublions bien évidemment au passage ces marionnettes qui sont les purs produits de la société du spectacle néo-libéral : les Onfray, BHL et autres Finky.

Il n’y a plus d’intellectuels, seuls les médias en rafistolent à la hâte.

Traverso scrute donc notre passé pour tenter de comprendre comment tout cela s’est produit. Dans cet effort, quatre observations me retiendront.

Tout d’abord, cette fabrique du retournement de l’opinion d’où s’est absenté le sens critique fut inaugurée dans les années 80, avec la montée en puissance des think tanks, dont la visée objective comme disaient les marxistes, était au fond de neutraliser toute pensée critique pour ouvrir en grand l’horizon de la répression citoyenne.

Dans la foulée, cette conversion s’est accompagnée d’une transformation des enjeux des Partis de Pouvoir, qui n’ont aujourd’hui besoin ni d’intellectuels, ni de militants, mais de managers et de communicants.

La seconde observation concerne la transformation de l’espace culturel, converti à l’industrialisation de la culture, sous les bons auspices d’un Jack Lang. L’édition par exemple, loin d’être sauvée, fut précipitée dans la production en masse de livres conçus selon des plans de marketing, loin de toute audace intellectuelle.

Enfin, "Privé d’utopie, le monde s’est tourné vers le passé, la mémoire est devenue une obsession culturelle". Le Devoir de Mémoire prit habilement le relais de la révolte utopique, pour nous enfermer dans le ressassement compulsif de nos défaites.

Là où je serais en total désaccord avec Traverso, c’est à propos de sa tentative de reconstruire néanmoins un nouveau modèle de secouriste cultivé qui saurait éclairer notre chemin… Pour sauver la figure de l’intellectuel, Traverso convoque Foucault et son idée d’intellectuel "spécifique", élaborée dans les années 70 autour de luttes spécifiques, la prison en ce qui le concernait. Un intellectuel capable de mobiliser son savoir plutôt que des valeurs nous dit Traverso, et qui se ferait l’interprète des événements qui s’offrent à nous et nous bousculent. Ces segments de faits de société où dérouler en fait une culture très sciencespotarde… Quelque chose entre paillettes et profondeur de pensée, le jeté de poudre aux yeux en guise de conscience politique… Merci, on a déjà donné…

Au fond, en refermant le livre, force est de constater que Traverso n’a pas grand chose à nous dire. Nous n’avons pas besoin de maîtres, mais de collectifs, un peu à l’image des Economistes atterrés discutant inlassablement, épinglant, révélant l’immense racket dont nous sommes les victimes. Alors, sans rire : que cent collectifs s’épanouissent !

  

 

Où sont passés les intellectuels?, Enzo Traverso, Régis Meyran, éd. Textuel, février 2013, 112 pages, 17 euros, Collection : Conversations pour demain, ISBN-13: 978-2845974579.

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