La moitié du Ciel : 222 000 étoiles- le Harem de Pickering
6 Mars 2014
, Rédigé par texte critique
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#essais
Des femmes. Engagées par Pickering, directeur de l’observatoire de Harvard de 1877 à 1919, pour jouer les petites mains et dénombrer les étoiles dans le ciel. 222 000. A l’époque. Des femmes qui finirent par s’instruire beaucoup en restant sous-payée, pour traiter mathématiquement ces quantités d’informations que les étudiants masculins d’Harvard ne voulaient pas s’abaisser à traiter. Williamina Flemming, Annie Jump Cannon, Henrietta Swan Leavitt, Antonia Maury... Des femmes à qui l’on confia une tâche qui paraissait ingrate, quand en réalité elle était ardue et que personne ne savait vraiment comment s’y prendre. Les Harvard Computers, comme on les appela ainsi à l’époque. Pudiquement. Des calculatrices humaines. Dont la première d’entre elle fut la femme de ménage de Pickering : Williamina. Recrutée non sans dédain par ce dernier. Des femmes qui permirent à Pickering de publier en 1890 son premier catalogue raisonné, dit Henry Draper, classifiant plus de 10 000 étoiles. Des femmes oubliées, qui rassemblèrent leur intelligence, réfléchirent, trouvèrent des solutions auxquelles les savants de Harvard n’avaient pas même songées et permirent d’établir une classification plus pertinente que celle qui existait. Cette classification fut publiée en 1897, mais elle demeura ignorée, parce qu’elle était l’œuvre de femmes. Pickering, engagera par la suite un nouveau bataillon de petites mains pour classifier les étoiles de l’hémisphère sud. Parmi elles, Cannon, qui à son tour rééditera l’exploit des pionnières et inventera un nouveau système qui demeure jusqu’à nos jours celui que l’on utilise… Toutes restèrent rémunérées au niveau des salaires les plus bas de la main d’œuvre non qualifiée. Des femmes dont on ne trouve plus trace dans la plupart des textes d’astronomie. Tout comme celles qui les avaient précédées, dont Hildegard von Bingen (1099-1179), qui pensa bien avant Newton la gravitation universelle. Et tant d’autres encore. Car l’histoire des sciences s’écrit au masculin. Pourtant, au moment où Pickering recruta ces femmes, l’astronomie n’en était qu’à tenter de s’établir comme discipline scientifique à part entière. Pickering bidouillait. Tant administrativement qu’intellectuellement. Il cherchait à lever des fonds privés, qu’on ne lui accordait qu’à la condition de l’exactitude des calculs qu’il mettait en œuvre pour déterminer la position des objets célestes. Pickering bidouillait, sans trop savoir comment s’y prendre. Sa femme de ménage trouva la solution, non pas en reprenant ses études, mais en posant avec force rationalité le problème dans toute son étendue, pour en partager la réflexion avec ce bien singulier collectif que formaient les femmes du harem de Pickering, tel qu’on le baptisa non sans mépris.
Benjamin Shearer , Femmes remarquables dans les sciences physiques : A Biographical Dictionary.
Image : un second tirage de cette photo a été trouvée dans un albumapaprtenant à Annie Jump Cannon . L'impression a été daté en traçant le numéro de série HCO de la collection de photographies astronomiques de la Harvard College Observatory . Les femmes ont été identifiés par comparaison à d'autres photographies où leurs noms avaient été notés. On voit sur l’image Edward Charles Pickering , directeur du HCO (1877-1919). Elle a été prise le 13 mai 1913 à l'avant du bâtiment C , qui fait face au nord . A cette époque, c'était le bâtiment le plus récent et le plus grand de Harvard College Observatory.