CYRULNIK, ONFRAY ETLA PSCHYCANALYSE
Etrange échange entre Boris Cyrulnik et Michel Onfray, dans une langue si peu académique. Le ton est léger, presque badin, à micro ouvert devant une salle conquise. Rien de châtié, un témoignage enjambant l’autre, Boris Cyrulnik racontant son entrée en psychanalyse, distillant des souvenirs parfois truculents, les aventures de la psychanalyse en France, à l’époque où elle cherchait à s’inscrire comme discipline plutôt que mouvement, peut-être à tort, songe Cyrulnik. Un Cyrulnik défendant tout de même au plus près de son vécu la psychanalyse, même si elle ne peut se targuer d’être une science, et Freud dans la foulée, malgré ses errements. Les sciences ne démarrent-elles pas toujours dans l’incertitude et dans la tricherie ? On arrondit les angles, on arrange, on exclue des publications ce qui gêne la démonstration… Cyrulnik se fait volontiers taquin à dévoiler les origines éthologiques de la psychanalyse, avant de parcourir avec malice la bibliothèque de Freud, pleine d’ouvrages philosophiques, Schopenhauer à l’évidence, annoté, Freud récupérant le concept d’inconscient de ses lectures, et quand même bien ? Un Cyrulnik décrivant l’histoire de la psychanalyse comme celle d’une passion dont ses acteurs ne se seraient jamais lassés. Ni son public, dès le départ au demeurant, Freud connaissant un succès immédiat et bâtissant ensuite la légende de l’adversité.
Au terme de l’échange, il reste les interventions passionnées de Cyrulnik, livrant presque ici une sorte d’autobiographie parlée. Un Cyrulnik moqueur des dérives que la psychanalyse aura connu, mais soucieux d’en affirmer l’efficacité. Ne serait-elle qu’un mythe, cela suffirait affirme-t-il : elle est à notre mesure et soigne, même si l’on ne sait pas comment. La cure ? une aventure. Une foi si l’on veut à l’entendre, une croyance peut-être, mais on peut guérir d’une dépression. Un changement de représentation de soi peut s’opérer dans cette élaboration qui s’organise lentement autour du tiers analysant. Et qu’importe que ce travail de la cure ne concerne que de très loin celui de la théorie. Elle soigne, rétorque Michel Onfray, à la manière d’un ex-voto confié à quelque chapelle obscure. Mais peut-être moins, croit-on percevoir dans ce discours, que ne le faisait la philosophie de l’Antiquité grecque, que Michel Onfray, dangereusement, définit comme une thérapie. Parce qu’elle produit un discours sur le monde et sur l’homme, et que ce discours peut déclencher de vraie crise de représentation, il ouvre au possible de la conversion. Mais une étrange conversion dans son propos, qui fonde la vie philosophique sur la droiture morale construite en point de fuite à la vision philosophique… "La philosophie n’est pas faite pour les philosophes, elle est faite pour les gens qui veulent construire une existence, qui veulent une existence droite"… (souligné par moi). Quid alors des cyniques grecs, qui se seraient faits volontiers plus chiens encore à l’attendu de ce discours ? Quid de l’école de Platon, si élitiste et si rétive à ce partage du sens philosophique ? Que notre culture ait besoin de psychanalyse, voilà qui nous mettra d’accord avec Cyrulnik. Parce que les lieux où l’on ne sait plus parler, où l’on parle avec difficulté, ceux de la famille en particulier, ont ouvert une béance dans notre relation à nous-même. Et qu’importe, conclue cyrulnik, si une partie de la psychanalyse peut devenir scientifique, alors qu’une autre n’a pas besoin de science pour fonctionner : " c’est avec des récitations partagées qu’on fait de la culture ", la psychanalyse en est l'écho. --joël jégouzo--.
CYRULNIK - ONFRAY / DEFENSE ET CRITIQUE DE LA PSYCHANALYSE, BORIS CYRULNIK - MICHEL ONFRAY, Direction artistique : Lola Caul-Futy Frémeaux, Label : FREMEAUX & ASSOCIES, 2 CD-rom.