La Bombe, Didier Alcante, Denis Rodier, LF Bollée
La Bombe. Celle d’Hiroshima. Celle de Nagasaki. La bombe atomique, dont l’histoire commence pour nous dans les mines d’uranium du Katanga. Et dans l’Allemagne nazie, la Norvège occupée, l’URSS et aux Etats-Unis, dans le labo de Los Alamos puis dans la préparation des bombardiers du Pacifique. La Bombe, celle dont cette BD inaugure aussi l’histoire dans la nuit des temps, avec son énergie renfermée dans le magma. Une gigantesque énergie en sommeil pendant des millénaires. Patiente. Jusqu’à ce que l’une des espèces qui peuplent la Terre décide de la libérer, sans trop en mesurer les conséquences. Quelle décision que celle de libérer cette énergie du Commencement ! Retour au magma ? Ici par le détour de l’année 1789, lorsqu’on baptisa cette matière inconnue Uranium : on venait de découvrir Uranus. Baptisée du nom du Dieu du Ciel, qui avait engendré avec la terre les Titans et libéré les Furies et provoqué le défilé de leurs victimes. En 1789, l’uranium servait juste à donner de l’éclat aux émaux. Deux siècles plus tard, on découvrait que cette matière «rayonnait». Ses propriétés ne laissèrent plus aucun esprit en repos.
Qui furent les victimes à Hiroshima, à Nagasaki ? Pourquoi Hiroshima ? Comment la ville fut-elle choisie ? Qui furent les acteurs de cette tragédie du début à la fin ? Quels furent les effets de l’explosion ? Seconde après seconde, année après année, la BD n’élude rien, explore, dévoile. Une enquête. Terrible. Sans concession.
Berlin, 1933. Hitler est au pouvoir. Un physicien allemand fait travailler ses étudiants sur la seconde Loi de la Thermodynamique. Il est juif. L’Allemagne est nazie. Il quittera bientôt le pays pour se réfugier aux États-Unis. En 1938, Fermi est Nobel de physique. Il n’y croit guère pour l’instant. Hiroshima, le 30 décembre 1938. Dans une usine d’assemblage de motos, nous suivons un homme généreux qui fête le retour de son fils, pilote de chasse. Un fils fanatisé qui refuse de parler des massacres de Nankin. Le plan s’élargit, s’ouvre aux dimensions de la vile. Hiroshima. Qui tient toute dans une planche, offerte à notre contemplation.
Manhattan, février 1939. Tout s’accélère. Emettre deux neutrons, n’en absorber qu’un seul : le principe de la réaction en chaîne. Le professeur Szilard en a eu l’idée. Il la teste dans son université de Columbia. Fermi n’y croyait pas, mais il doit se rendre à l’évidence : une énergie nouvelle, folle, vient d’être libérée. En France, les Joliot-Curie refont la même expérience. Ça marche. Une course de vitesse s’engage. L’Allemagne fait main basse sur les mines d’uranium de la Tchécoslovaquie, veut s’emparer de celles du Congo belge. Szilard convainc les américains de les prendre de vitesse. L’enjeu, c’est la création d’une bombe telle qu’on n’en a jamais connue. L’arme suprême. Il faut mettre l’uranium à l’abri. Les anglais sont sur les rangs. Finalement, les américains détournent pour leur compte les mille tonnes d’uranium congolais. Tous les pays entrent dans la course. Cette course folle, meurtrière, sauvage, qui nous est racontée, décrite minutieusement. Partout dans le monde, toutes les forces, toutes les intelligences se mobilisent. Des essais humains d’injection de plutonium sont réalisés aux Etats-Unis. Sans le consentement des «patients» trompés sur la nature de leurs soins. Le projet Manhattan l’emporte. La guerre prend fin. Le 10 mai 1945, l’état-major américain fixe 17 cibles au Japon. La ville doit être d’une taille importante pour mesurer les effets mécaniques de la bombe. On trace donc des courbes, on choisit avec précision le point d’impact. Kyoto est retenue. Il faut également produire un puissant impact psychologique. Hiroshima est retenue. Il s’agit de terroriser le monde entier. Ce n’est qu’à ce moment que les scientifiques se réveillent et signent une pétition pour empêcher l’essai d’avoir lieu. Mais il est trop tard. Le premier essai a lieu dans le Nouveau Mexique, à Trinity, le 16 juillet 1945, à 05h29. Les américains ont adressé un ultimatum aux japonais lors de la Conférence de Postdam. Mais déjà les bombes naviguent vers la flotte du Pacifique. Le 6 août 45, Nagasaki est retenue, au cas où le largage serait raté sur Hiroshima. Les planches du largage prennent aux tripes. Un vide blanc immense déployé sur deux pages, repoussant hors-champ tout graphisme. En noir et blanc. Il ne reste rien. Que ce grand vide autour duquel s’échappe des bouts de corps, de ville, d’immeubles. Et quelques pages plus loin, la joie des militaires américains. Et les fac-similés des télégrammes et télégraphes échangés : «résultat impeccable». «On l’a fait ; on a réussi». Le 9 août, Nagasaki est détruite à son tour. Pour rien. Pour tester une autre bombe. Enrichie au Plutonium 239. A Hiroshima, chaque jour qui passe voit des centaines de nouvelles victimes tomber. Les survivants sont abandonnés dans les rues désertes de la ville martyre. La guerre est finie. Elle fut atroce. L’atroce inaugure la paix retrouvée. Le monde a changé de mesure, le show américain va pouvoir s’affirmer.
La Bombe, Didier Alcante, Denis Rodier, LF Bollée, édition Glénat, mars 2020, 472 pages, 39 euros, ean : 9782344-020630.
Crédit photographique : Hiroshima, Stanley Troutman, AP/SIPA
Vue d’Hiroshima, l'épicentre : Anonyme, © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image BPK