Orphelins de Dieu, Marc Biancarelli

Les quatre, donc. Vieux ennemis. Des ombrageux. Sans pitié. Comme l’étaient leurs guerres quand ils fuyaient les bois toscans. Et leur traque par les troupes régulières. Ce temps des épopées à cheval jusqu’à cette embuscade où ils s’étaient battus comme des chiens pour survivre, révélant d’un coup leur nouvelle nature désormais. Alors oui, le temps est venu d’apurer tous les comptes. Il part avec cette femme rude la venger. Le bigleux. Le plus sadique des quatre. Son frère aîné, une force de la nature. U longu, le quatrième. Un tueur. Tous déroulés par l’Histoire. Comme lui. Encore que moins vaincus que disposés à l’être dans une vie qui fut comme un éternel baroud de peu d’honneur. L’Infernu. Le personnage est grandiose. Un bandit aux abois, ce genre de mercenaire que la grande histoire génère et abandonne sur son pitoyable chemin. L’Infernu sait qu’il ne fait pas le poids face à ces quatre-là. Mais il les tuera. Et elle avec lui, plein de la souffrance de sa mémoire meurtrie, harcelée par l’époque des hommes en bleu qui avaient investi l’île pour éventrer ses vaches et ses habitants, quand enfant, il jouait avec son frère à la guerre. Il se rappelle encore la conscription obligatoire qui ravageait l’économie du pays, et l’Armée des insoumis de Poli qu’il avait fini par suivre.
Biancarelli signe un roman épique comme on n’en sait plus écrire. Relaté dans la langue du XIXème siècle, encore façonnée par le paradigme de l’Esprit Saint, où le peuple fait meute et dans laquelle le génie du pardon est très marqué. Une danse macabre envahie par la dureté du monde, ouverte à ces visions d’un fantastique réel où des oiseaux gigantesques perforent le ciel en nuées carnassières. Et l’on comprend le choix d’Actes Sud pour cette épopée aux allures de légende dans notre siècle sans inscription où l’Histoire est devenue une farce méprisable. Légende des Hautes terres, l’errance des hommes y campe brutalement. On songe à l’atmosphère du Roi Lear devenu fou au milieu de la lande. Des chiens de guerre s’y entredéchirent, vagabonds sans bannières, portés par un dernier souffle de survie. Ils chevauchent encore, mais sans destination, comme cette défunte troupe rebelle à laquelle appartint l’Infernu et dont il conte l’histoire. Leur pays est mort, il ne reste qu’eux, chaque un désemparé, fugitif perpétuel, l’étendard à terre et avec pour tout horizon que des chemins de nuit à parcourir. Que sauver de notre désastre ? «Il n’est nulle mémoire», affirme Biancarelli. Juste celle d’un récit qui ne nous sauve de rien, et la nécessité de tenter d’être vrai au jour de la grande épreuve.
Orphelins de Dieu, Marc Biancarelli, Actes Sud Littérature, coll. Domaine français, Août, 2014, 240 pages, 20 euros, ean : 978-2-330-03593-8.
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