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La Dimension du sens que nous sommes

Dernier virage moral à Droite (sur la stigmatisation des rroms)

5 Juin 2014 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

 

michel henryLe philosophe Michel Henry expliquait que le «fascisme (n’était) rien d’autre qu’une doctrine qui procède à l’abaissement de l’individu de façon que sa suppression apparaisse légitime». En abaissant l’individu ajusté comme étranger au corps national, l’Allemagne nazie s’offrait des victimes d’autant plus admissibles qu’elles avaient été dépouillées de tous les attributs visibles de la dignité humaine, selon les normes édictées par la clique alors au pouvoir. Dans les médias qui les stigmatisaient, rien n’était omis, de leur apparence vestimentaire à leurs affaires de mœurs. Rejetées dans l’ordre du monstrueux, leurs dissimilitudes soigneusement recensées construisaient la mesure d’un déficit d’humanité propre à autoriser leur persécution. On les abattait ensuite, plutôt qu’on ne les fusillait, tant ils ne ressemblaient en rien à l’idée que le pouvoir nazi avait fabriquée de l’allemand de souche –les allemands finirent, eux, par se travestir en allemands de souche pour se ressembler un peu… L’Allemagne nazie planifia sa méthode de façon à ce que la morale nationale n’en souffrît point : on commença par les minorités les plus fragiles, les plus visibles et donc les plus aisées à jeter en pâture avec leur style si éloigné de l’idée nationale du bavarois de souche. On était passé du vêtement et du mode de vie à la densité ontologique : ces individus attifés bizarrement n’étaient plus des êtres humains mais quelque chose comme le chaînon manquant, à mi chemin entre la bête et l’homme. Leurs corps, déshumanisés, pouvaient désormais être livrés à la violence de masse. En frappant sa victime physiquement, en la déformant, le bourreau nazi achevait sa transformation en bête. Leur humanité anéantie, ne restait plus que la vie à leur retirer. Le tout justifié par un discours politique imposant le recouvrement de tout le peuple allemand racialement disponible, dans sa corporéité même. Au nom du politique, on inspecta les aspects les plus intimes de la vie, refoulant le vivant de toute part. « Dès que le politique passe pour l’essentiel, le totalitarisme, conséquence de l’hypostase de celui-ci, menace tout régime concevable», affirme Michel Henry. Mais cet abaissement entraîne toujours la ruine de la société qui l’a produit.
Le sort réservé aujourd'hui aux minorités rroms en Europe rappelle cette stratégie nazie, qui déjà avait pris pour cible ces mêmes rroms. Les politiques ont abusé du racisme, ne cessant de l'instrumentaliser comme un outil de régulation politique destiné à faire le plein des voix électorales. Demain il deviendra un instrument de régulation sociale, triant les bons des mauvais citoyens, montant les populations les unes contre les autres dans une concurrence abjecte. L'UMP, le PS, le FN, ont abusé de ces éléments de langage propre à jeter en pâture les populations les plus fragiles pour cristalliser dans la production de cette figure du bouc émissaire la possibilité d'une réconcliation nationale... Dans la stratégie de Hitler, à la fabrique du bouc émissaire devait s'articuler le temps de l'élimination de l'oppositions morale. La chasse aux rroms fut notre prélude. Et ce n'est pas en vain qu'une grande partie de la campagne contre l'Europe s'est construite autour de la question de l'immigration : il fallait sortir de l'ordre sociopolitique les émigrés et leurs enfants français pour fonder l'espérance nationale. Cette stratégie politique qui a fini par accoucher du résultat que l'on sait aux européennes, a ainsi largement été annoncée par les discours d'exclusion des populations fragiles. Mais qu'on ne s'y trompe pas : leur exclusion fonde non seulement leur sujétion à cet ordre politique insane qui prend jour en Europe, mais au nôtre. L'appartenance au mauvais ordre économique, demain, prendra place aux côtés du mauvais ordre religieux, du mauvais ordre ethnique, du mauvais ordre culturel, voire du mauvais ordre de la couleur de la peau. Et là encore, on passera vite du mode de vie à la densité ontologique, pour livrer cette fois le plus grand nombre à la violence d'un état sans vergogne, sûr de son fait pour recouvrer tout le corps racialement disponible de la nation.
Aujourd'hui, jeudi 5 mai, le Premier Ministre de l'Etat français est appelé à comparaître devant la 17ème Chambre correctionnelle du Tribunal d'Instance de Paris, à 13h30, pour incitation à la haine raciale. En cause, cette phrase de Manuel Valls prononcée le 14 mars 2013 à propos des Rroms : "(ils) ne souhaitent pas s'intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu'ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution". Une petite phrase abjecte amalgamant des populations hétéroclytes jetées en réalité dans la misère par une Union Européenne qui refuse de voir ce qu'elles sont en réalité : des populations d'européens dotés des mêmes droits que n'importe quels autres européens. Une petite phrase visant en outre l'abaissement de l'individu, renvoyant trait pour trait à l'imagerie écoeurante que les médias ne cessent de distiller dans nos esprits à nous montrer des populations pauvres condamnées à errer de campement de fortune en campement de fortune, acculées à vivre dans la boue dans la souricière qu'est devenue la France à leur égard. Des médias qui nous les montrent à longueur de journée dépouillés de tous les attributs visibles de la dignité humaine, jetées sur les routes, n'omettant rien de leur pitoyable apparence sans dire un mot de la pauvreté dans laquelle ces populations sont enfermées. Une petite phrase qui d'un coup en a fait des étrangers au corps de la nation alors qu'ils sont européens, et qui les construit en être avilis, rejetés dans l'ordre du monstrueux "des réseaux versés dans la prostitution". Une phrase qui ajoute sa triste pierre à mille autres pour leur construire ce déficit d'humanité qui demain "autorisera" leur persécution.

 

La barbarie, de Michel Henry, PUF, coll. Quadrige, mai 2004, 252 pages, 12 euros, ISBN : 2130542808.

http://www.depechestsiganes.fr/?p=4421

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