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30 janvier 2011 7 30 /01 /janvier /2011 17:17

cabinet.jpgLe livre dans son intimité même. Voici l’un de ses aspects -on n’ose écrire "fonction"-, des plus fondamental. Non pas tant du reste à cause de cette intimité à soi-même qu’engendre la littérature. Miller congédié d’un emploi parce qu’il avait été surpris par son directeur en train de lire Nietzsche au cabinet, sait bien de quoi il en retourne -il était du coup parti se réfugier dans les bois, en se posant la question, grave, de savoir s’il existe des lieux appropriés pour lire et accessoirement, méditer sur la fonction d’expulsion. Existent-ils en outre seulement, ces lieux d’aisance où, soustrait aux bruits du monde, l’on saurait toucher enfin à quelque aventure réellement personnelle ? De quelles aises au demeurant nous parleraient-ils ? Quand au vrai stationner aux cabinets pourraient ne relever que d’une stratégie agaçante destinée à vous soustraire -Miller pestant contre les stations prolongées de sa femme aux cabinets en témoigne-, aux tâches domestiques pour pratiquer enfin, mais quoi donc ? Quelque usage inédit de soi? Là n’est peut-être même pas la question. Lire au cabinet, lieu privilégié de béatitude, activité dominicale s’il en est, laisse entier la question plus troublante de savoir ce qu’on peut y lire, si l’on y tient vraiment. Existe-t-il des lectures de chiotte ? Aucun éditeur, à ma connaissance, ne s’est penché sur cette intéressante question, ou n’a voulu avouer une ligne éditoriale au fond plus généreuse qu’il n’y paraissait. Miller semble convaincu, lui, que La Phénoménologie de l’Esprit, de Hegel, y est des plus indiqués : "une lecture assommante vous sort de la vie". Ce en quoi il se trompe : l’assommant n’est sûrement pas le critère qui convient à propos de La Phénoménologie de l’Esprit, que je tiens pour un chef-d’œuvre de construction intellectuelle. Mais le débat est ouvert. Lire pour se délivrer de la vie, du trop plein des librairies aussi bien, qui constitue peut-être secrètement l’une des ambitions de la littérature… Ce qui supposerait tout de même finalement le contraire d’une attention flottante. Non pas exactement ce que fait Miller avec ce texte, qui offre une œuvre légère et profonde, drôle et pénétrante, creusant avec une diligence toute désinvolte l’urgence d’un besoin somme toute dominical, convoquant au fond le sens profond (étymologique même) du mot prier (qui signifie se reposer en Dieu), évidemment ici appliqué moins aux remerciements dont on pourrait gratifier le Créateur d’avoir si bien su faire les choses qu’il nous faille expulser chaque jour ce qui nous encombre et pèse et plombe nos desseins, qu’à la nécessité de lâcher prise dans ces instants privilégiés d’extrême nudité existentielle.joël jégouzo--.

Lire aux cabinets, de Henry Miller, traduit de l’anglais par Jean Rosenthal, éditions Allia, mai 2000, 58 p., 6,70 euros, ean : 978-2844850362.

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