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8 juin 2013 6 08 /06 /juin /2013 04:00

Relisez ce roman par trop passé inaperçu. Moins médiatique qu’une Palme d’or, plus difficile qu’un film virtuose signé Tarantino, La Peau du loup mérite bien d’être lu et relu. Et pas uniquement parce qu’il évoquerait le poids d’une mémoire accablante qui nous est de moins en moins étrangère : cette voix qu’il invente a déposé son grain partout en Europe, celle des extrémistes de droite.

L'Autriche le sait bien assez, qui a pataugé longtemps dans le sang jusqu'aux chevilles, comme l’affirmait Elfriede Jelinek. Pays d'amnésiques, l'accession au pouvoir de l'extrême droite y consacra "la faillite des hommes de nationalité autrichienne devant leur histoire". Elle faisait un tel bruit autour du silence autrichien sur sa mémoire nazie !
Dans le village de Schweigein (silence), au bout du monde, un matelot se réveille en pleine nuit, en proie à un malaise indéfinissable. Il vient d'entendre un bruit qui a rempli toute la voûte du ciel. Une stridence qui paraît venir d'une vieille briqueterie en ruine. Inaudible d'abord, elle devient vite quelque chose de bestial. Un souffle à l’envers du souffle de l’Esprit, surplombant les hommes pour retomber sur eux comme ces couvercles de plomb sur les ciels de Baudelaire. Résonances sourdes de silhouettes, de figures sans image qui hantent la forêt. Figures dont on a confisqué l'image. Bientôt, des morts mystérieuses plongent le village dans l'ignoble. Tout tourne autour de cette briqueterie - un signe à déchiffrer. Sur le modèle du récit policier, le narrateur épie des objets qui se dérobent à la vue. Dans leur lente remontée au visible, il nous rend littéralement la vue. Mais la chose qui vient n'a tout d'abord ni visage, ni nom. "Il faut (même) se fabriquer des yeux d'oiseau de nuit" pour la voir, car elle est ignoble ! Seuls les cadavres semblent parvenir à ouvrir les yeux. Cette trace sanglante qui encercle le pays et l'enferme, le matelot la piste, avant de "partir, loin de cette prétendue patrie", où rôdent les nazillons en mal d'exaction.


La peau du loup, de Hans Lebert, édition Jacqueline Chambon, 1998, 512 pages, ISBN-10: 2877111784, ISBN-13: 978-2877111782

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