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8 septembre 2014 1 08 /09 /septembre /2014 07:35

constellations.jpgNous gardons le souvenir des révoltes du siècle passé, voire du précédent qui, de la Commune de paris à Mai 68, ont modélisé notre idée du changement social et politique. Une mémoire certes, de nos insoumissions dans un monde qui nous a dépossédés de leur enseignement. Des luttes dissoutes dirait-on, par les mots d’ordre que nous a imposé l’ordre libéral-socialiste : son surtout plus d’histoire.  Lui qui voudrait avoir bouclé la fin de notre histoire dans ce régime de pseudo urgence (la crise)  et de plan de redressement à répétition qu’il a mis en place pour mieux nous asservir. Il ne faudrait plus faire de vagues, l’époque des luttes serait révolue, il ne faudrait espérer qu'en l’économie de marché, qui un de ces jours finira bien par répondre à nos besoins, promet cet ordre, tout comme la police garantira notre sécurité, Internet notre liberté et la transition écologique notre bonheur…

 

A rebours de tout ce qui se dit et s’écrit insidieusement dans la presse contemporaine, les histoires contées ici injectent du conflit dans cette fausse paix sociale à laquelle l'Etat peine de plus en plus à nous faire croire. Face à sa volonté de démission générale, elles jettent du trouble dans la transparence du contrôle. Des histoires de résistance, de dissidence, de voyage contre la réification des territoires, d’intelligence collective contre l’isolement de l’exploitation. Des histoires minuscules souvent, de jardins urbains, de serveurs web libérés, de zones à défendre, de complicités culturelles, de free parties, de lieux collectifs qui ont émergé sans prendre garde. Aucune exhaustivité dans ces récits, mais un décompte, un recensement qui ouvre un espoir, l’espérance retrouvée ici ou là des luttes gagnées et dont la force éblouie. Une constellation d’expériences où l’on peut lire en filigrane la question révolutionnaire. Invitant à penser que ce régime de pacotille s’effondrera de lui-même, de l’intérieur, comme celui des pays totalitaires. Une constellation de pratiques qui viennent refonder l’expérience révolutionnaire, non comme prise du pouvoir, mais son évidement. Il faut déposer le pouvoir plutôt que le prendre. C’est bien ce qui se dessine de ces milliers d’existences qui témoignent ici, embarquées dans leur drôle de révolution, leur drôle de défections. Des vies qui se sont liées les unes aux autres et à autre chose que la perspective de la prise du pouvoir. Des collectifs qui parfois se sont mis à vibrer ensemble pour produire un vrai tumulte social, qui semble s’être éteint du jour au lendemain. Voire. Car ce qui s’en dégage s’affirme comme profondément politique (polis) en venant se nicher dans l’intime des plis de l’existence (la zoê des grecs). Ces «résistances» ont affecté les gestes du quotidien pour les transformer en moments de lutte. Nous redonnant à penser ce que faire de la politique devrait vraiment signifier : moins s’engager dans une parole critique, politique, politicienne, que sur le terrain de la vie. Car nous ne pouvons plus attendre. Vivre et lutter c’est ici, maintenant. Non sortir militer. C’est ici : une offensive singulière, généralisée, qui ne permet plus d’identifier de sujet révolutionnaire. Il n’y a pas de Bastilles à prendre. Et peut-être même pas de mouvement politique à fonder. Le changement, c’est maintenant en effet, hic et nunc, c'est dans nos désertions quotidiennes qu’il opère. Nous contraignant à inscrire notre combat à même l’existence. Une inscription qui ouvre des voies inattendues, creusant, qu’on ne s’y trompe pas, les fondations mêmes de leur conception du politique. Certes ces luttes se lisent en pointillé, posant la question de l’organisation commune, qui ne peut se concevoir qu’en partant chacun d’où il est. Certes, il y a la nécessité d’en faire circuler la «morale» : cet imaginaire de lutte, de résistance, de dissidence, parce qu’il ne peut exister de havre dans cet ordre mortifère. Il faut montrer que partout des êtres explorent cet autre monde auquel nous rêvons presque tous. Et montrer que leur combat ouvre à des surgissements incongrus. Sans idéologie, sans programme, il ouvre des pistes, dessine des repères, esquisse des chemins. Ces chemins détournés en apparence, déroutant, auxquels songeait Michel Foucault quand il avertissait au sens que l’Histoire devait prendre entre nous, nous engageant à ne la tenir pour « effective (que) dans la mesure où elle introduira le discontinu dans notre être même». Il nous faut apprendre à rompre avec l’Histoire des historiens, si prompts à rapporter l’Histoire à leurs manies : l’avenir n’est pas lisible, ni dans notre présent, ni, dans notre passé. Arrachons donc notre passé au conformisme universitaire pour construire un avenir où l’inconnu n’aurait pas été éradiqué. Refusons la démarche de l’historien qui ne songe qu’à organiser les temps pour mieux les flouer. Ce livre donc, articulé en constellations, en pistes, en pointillés. Offrant au final une vision politique du monde qui établit clairement les rapports de forces, les fragments porteurs d’un changement imprévisible : celui de la ZAD du parc Mistral, celui des indignés, des antimondialistes, des fêtes sauvages, de Gênes en 2001, celui de la ZAD Notre-Dame-des-landes, du centre social autogéré de Toulouse, des autonomes italiens, des garages associatifs, des écoles, des crèches, de la maison de la grève de Rennes, de ce village ardéchois autogéré en commune libre, du collectif du plateau des Millevaches, de Tarnac, des créations de caisses de solidarité, de l’émergence du territoire numérique, de l’Indy media, ce réseau mondial de contre-information, de Jenga.org, de TOR, des TAILS, de tous ces lieux qui déjà encerclent les lieux du pouvoir pour les énucléer.

 

Constellations. Trajectoires révolutionnaires du jeune 21e siècle. Collectif mauvaise troupe, édition d el(‘éclat, avril 2014, 25 euros, 702 pages, ean : 8782841623518.

 

 

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