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27 octobre 2012 6 27 /10 /octobre /2012 04:09

 

balai.jpg«Nous ne savons jamais ce que nous pouvons devenir pour d’autres, à simplement être.» (Lettre de Martin Heidegger à Hannah Arendt, le 10 novembre 1925).

 

 

Jeté dans le monde, exposé, sans jamais pouvoir parvenir à aucune situation de maîtrise, comment accéder à soi-même ?

Est-ce la question au demeurant ? Ne serait-ce pas plutôt l’injonction séminale, à laquelle nous ne savons jamais répondre ?

On ne peut être au monde qu’à se poser la question de l’être, affirmait Heidegger. Une question pour laquelle il n’existe pas de réponse préconçue. Ou bien, si, sous les formes de ces divertissements, de ces grimaces aurait dit un Gombrowicz, que nous arborons plein de foi en leur consolation.

Il n’y avait pas d’illustration plus belle de la philosophie d’Heidegger que la vie d’Alain, jeté dans le monde, s’y décochant lui-même, prenant à bras-le-corps ce tout un chacun de la réalité quotidienne où l’être fonde ses possibilités pour faire sens, plutôt que le compulser.

Etre là, dans la quotidienneté d’être, non à partir des idées mais de la sollicitude pour ce monde où il accourait nuit et jour, fuyant, le visage entre les mains, ces gueules qu’on lui faisait.

Être-là. Jeté et exposé à l’Être, Alain découvrant et redécouvrant qu’il était au monde sans disposer d’aucun cadre consolateur.

La littérature ? Pas même, qu’il interrogeait sans cesse, sans cesse reprenant le fil d’une conversation interrompue, La Rimbe, Artaud le Momo, passants considérables qu’il saluait d’un geste désinvolte.

 

La nature de l’homme n’indique rien, ne pointe rien. On ne peut rien savoir à partir d’elle. D’où partir dans ces conditions ? De l’esprit ?

Bios Theoretikos. Les grecs anciens avaient ce joli mot pour qualifier ces êtres voués à la vie contemplative, soustraits à la Polis dans une large mesure, et dédiés aux études savantes. Mais Alain n’était pas de ceux là non plus. Son amor mundi l’avait conduit ailleurs. Il se débattait. Non seulement avec ses gueules, mais avec l’illusion qu’être ne pouvait compter que d’être exposé en permanence à l’être-avec. Être avec d’autres au monde, cette réalité incontournable pourtant, dont il avait fait comme nous tous son credo, marmonnant toutefois ses dangers, quand cette manière d’être là prenait la forme d’un «on» mondain, impersonnel. On le voyait alors mimer son semblable, le refaire jusqu’à l’exaspération de l’autre mimé, se vautrant dans ce «on» fratricide, partout présent quand on y songe, partout se dérobant, pour le surmonter enfin en le poussant à n’être que jeté envers soi.

Dépasser l’être-avec, dans cette frugalité que les années 60 avaient tracée et après laquelle déjà, les années 70 ne couraient plus.

Dépasser l’être-avec de la Polis pour un être-pour maculé de son seul souci du monde. Alain parcourait le monde dans cette éthique de la préoccupation que pointe Heidegger encore.

 

Comment sortir, donc, de la vision politique du monde ?

Cette question, nous nous la posions souvent, sans parvenir à y répondre. La cité des grecs anciens avaient posé la nécessité d’un dialogue qui ne nous satisfaisait pas : celle d’une parole que Platon avait établi à une hauteur telle, qu’elle écartait de son champ tous ceux qui n’en faisaient pas profession.

Restait, dans la langue de Platon, le mythe pour donner à entendre la présence mystérieuse de l’origine de la parole dans la vie des hommes. Le mythe écrasant, barbare, imposé aux hommes par une nécessité supérieure.

Où s’origine la parole ? C’est à cette origine qu’Alain avait adossé sa vie et qu’il faisait retour sans cesse, reformulant toujours, épiant et posant au final la seule question qu’il fallait poser : qu’en est-il de la nécessité du politique ?

Nous nous étions séparés là. J’y reviendrai un jour.

Socrate avait pointé cette force qui traversait le politique : le défi d’existence.

Alain n’était pas un théoricien. Il n’écrivait pas. Il tentait simplement, jeté dans le monde, d’ouvrir une possibilité d’y être. Et si son dialogue cherchait la réconciliation, il ne trouvait au fond que l’embarras -duquel surgit la coupure de la nécessité d’existence, affirmait Benny Lévy. La zoê à mon sens, qu’aucune nécessité logique ne peut relayer. Car le logos n’a pas d’autorité : il bute sans cesse sur ses apories.

Alain était d’un lieu d’errance. Hoï Polloï. D’où doit s’énoncer au fond le politique, venant s’asseoir auprès de chacun, à tout instant, pour faire et défaire avec lui le Roi, dans l’ébranlement existentiel de soi.

On est jeté dans l’état de société sans y prendre garde. Je croyais à cet ébranlement. Mais pas au fait de vivre, tout simplement vivre, cette candeur de la vie «nue», ce soubassement contemplatif de la zoê que le monde classique a rejeté loin de nos cités, ce simple fait de vivre dans l’agréable et la douleur. Je ne croyais pas qu’il pût suffire à nous lier les uns aux autres. Alain, si.

 

«Je sais alors décidément que la vie est histoire !» (Hannah Arendt, Ombres, une sorte de réponse à Martin Heidegger).

 

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