Boul’Mich’ 3 mai 68 – 17h58, Alain Leroux
1 Avril 2021 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant
C’est l’histoire d’une photo de mauvaise qualité, celle d’un pavé jeté, conservée à la BNF sous la cote CR-45-20769. Photo d’une barricade, les flics d’un côté, les étudiants de l’autre. En fait, pas vraiment une barricade : elle n’obstrue rien. Prise avec un grand angle, on y voit une jeune fille blonde assise sur le bord du trottoir et Martin, debout devant elle. Avec Malek. Ces deux-là joueront un rôle important dans notre histoire. A vingt mètres d’eux, les gardes mobiles et un fourgon de flics. A son bord, Fernand, qui va perdre le contrôle de ce véhicule. Et tout va s'enchaîner… Un battement d’ailes. C’est l’histoire d’un battement d’ailes : celui d’un micro événement donnant naissance, par ricochet, à un événement historique. Un peu comme celui du papillon qui, au XVIIIème siècle, provoqua un tsunami au Japon. Mais l’Histoire des hommes n’est jamais «naturelle»… Ce n’est donc pas tout à fait l’histoire d’un hasard, mais la trame d’un complot dont l’auteur va démêler les fils. Nous sommes au tout début des années 80. Mitterrand se demande comment récupérer Mai 68. A ses côtés, l’indéboulonnable et cauteleux Attali, qui n’a à la bouche que le mépris des masses. Et l’enquête d’un commandant du SIRPA sur cette histoire de fourgon policier conduit par Fernand. Derrière, une théorie complotiste : le déclenchement de mai 68 serait la conséquence d’une manœuvre de la Gauche pour faire croire à une provocation de la Droite… Tortueux. Mais amusant, cette Gauche liquidatrice… N’était l’intention de l’auteur, énième tentative de liquider Mai 68. N’était sous le commentaire de mai 68, l’aveuglement de nos élites à n’y pas voir les traces d’un réel soulèvement populaire, toujours ramené au monôme d’étudiant… C’est au fond toujours la même histoire en filigrane qui se rejoue depuis les années 80 à propos de Mai 68 : la Droite pétrie de peur face à l’irruption des masses dans le cours de l’Histoire, de Gaulle filant à l’anglaise consulter Massu et les revanchards de l’après-68 ratiocinant sur les décombres d’un échec populaire. On voit bien cet horizon se dessiner sous la plume de l’auteur. En finir pour la énième fois avec Mai 68, à croire qu’on n’en finira jamais donc, de ressasser et dénoncer, pour faire de cet événement finalement un objet de mémoire des plus intéressants, traçant au présent les lignes de partage, à défaut d’une signification historique claire. A force de lectures, relectures, réécritures, Mai 68 est devenu un lieu d’une mémoire qui ne cesse de s’échafauder sur les décombres de notre présent, non de notre passé. C’est ça, l’intérêt de ce roman à mes yeux. En tentant de liquider l’idée de la première barricade, l’auteur croit en avoir fini avec Mai 68. Mais l’événement n’a pas fini de prendre forme… Reste le récit, l’enquête s’assurant du vraisemblable, nouée dans l’incertain où tout peut arriver, la patte des historiens modulée pour faire vrai. Et quelques personnages attachants. Sinon les lieux eux-mêmes, mieux vêtus hier qu’ils ne le sont aujourd’hui dans leur plastron gentrifié. On en mesure l’écart : le Boul’Mich’ n’existe plus, c’est bien dommage…
Alain Leroux, Boul’Mich’ 3 mai 68 – 17h58, édition Delirium, décembre 2020, 240 pages, 13 euros, ean : 9791091633161.
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