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18 juin 2019 2 18 /06 /juin /2019 09:21

XIIIème millénaire après J.-C. Trantor, la planète capitale, contrôle les 25 millions de planètes habitées de la galaxie. Sur Trantor, le mathématicien Hari Seldon a inventé une nouvelle science : la psychohistoire, qui permet de prédire mathématiquement l'évolution de la société et des groupes humains qui la composent. Or le modèle mis au point prévoit le déclin de l’Empire et la destruction de Trantor d’ici cinq siècles. Le modèle prédit également qu’à ce déclin succédera une longue période d’anarchie qui durera trente mille ans, avant que de ces décombres ne puisse surgir un nouvel empire. Mais bien que le modèle soit formel, il est possible d’y introduire une variable qui réduirait le temps du chaos à mille ans. Pour cela, il faudrait créer une Fondation capable de capter la totalité des connaissances humaines au sein d’un algorithme tout puissant qui enfanterait notre nouvel avenir. Une forte opposition se fait jour contre le projet. Seldon réussit pourtant à installer sa Fondation sur Terminus, une planète en bordure de la galaxie. Officiellement, elle ne fait que collecter toutes les données de l’humanité. Dans la réalité, Seldon mène seul son projet de mathématiser l’espèce humaine et son environnement pour définir les conditions d’un Vivre ensemble raisonnable...

Suite de nouvelles plutôt que roman, ce premier volume est ahurissant. Chaque nouvelle excipe un moment de la Fondation, architecturant l’ensemble sur un modèle historiographique. Chaque moment est la révélation d’enjeux qui pourraient au fond bien être les nôtres : qu’espérer, raisonnablement, de la meilleure société réalisable ? Les questions que posent Asimov, les réponses qu’il dessine, ne sont pas sans rappeler l’horizon algorithmique dans lequel, déjà, nous précipitent «nos» dirigeants. Seldon mathématise ainsi la sociologie, moins pour construire le meilleur des mondes possibles, que pour tracer des limites à l’action humaine. Une sorte de théorie des systèmes poussée à son comble, où définitivement, la variable humaine n’entrerait que subsumée sous des impératifs abstraits. Tout se passe comme si, par exemple, l’idée de Liberté était trop sérieuse pour la confier aux seuls humains. Tout se passe comme si seul un modèle mathématique pouvait nous en donner justice… Et curieusement, c’est sous la forme d’un dialogue que l’intrigue se joue. On songe ici au dialogue socratique, qui ne serait malheureusement plus réduit qu’à une sophistique de domination. Ce genre de dialogue au fond qui aura traversé le Grand Débat de Macron, concluant avant d’entendre, enfermant à l’avance la pensée dans son linceul sophiste…

Figure emblématique de la science-fiction, Isaac Asimov (1920-1992) s’est imposé comme l’un des plus grands écrivains du genre, capable d’en inventer les codes, mais peut-être surtout, et de par sa formation, l’un des premiers à faire du raisonnement scientifique un objet littéraire, une structure du récit romanesque, symptôme du basculement de la pensée contemporaine dans l’illusion statistique. Car ce que met à nue la science-fiction, telle que déployée par Asimov, n’est rien moins que l’idéologie de la focalisation statistique, subsumant la richesse sous le nombre. La gouvernance mathématique qui ordonne la logique du récit et prétend orienter le devenir des sociétés humaines, fonctionne comme auto-justification des intérêts de la société marchande, d’où la revendication sociale, symptôme de l’autodétermination humaine, doit être exclue. Cette autotélie du raisonnement mathématique, qui a fini par devenir le canon de la pensée économique, n’a que faire de la variable humaine dont il faut à tout prix réduire l’incertitude, pour en faire une simple variable d’ajustement. Mais Asimov ne s’en contente pas. Même si le raisonnement scientifique le fascine. Au fond, il nous tend son miroir déformé pour mieux nous interroger. La machine fictionnelle du récit ouvre au questionnement des modèles scientifiques. A quelle fin recherche-t-on à tout prix à rendre ces modèles partout dominants ? N’est-il pas tant de nous interroger sur la légitimité politique du savant ?

L’interprétation qu’en donne Stéphane Ronchewski est magistrale, de retenue, de malignité, se jouant du suspens qu’il distille à tout moment pour faire avancer le dialogue en se jouant de son interlocuteur, ironique et surplombant l’histoire comme la science aime à surplomber nos réactions.

Fondation I, Isaac Asimov, lu par Stéphane Ronchewski, traduit par Jean Rosenthal, 13 mars 2019, Audiolib, éditeur d'origine : Denoël, durée d'écoute : 9h49, 1 CD MP3, 19.90 euros, ean : 9782367628431.

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