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La Dimension du sens que nous sommes

Issue de retour, Jean-Louis Giovannoni

11 Avril 2015 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #poésie

Issue de retour, Jean-Louis Giovannoni

Le premier poème de cet opus est comme dédié à l’art poétique. A la décision poétique plutôt, non pour la commenter ou la théoriser, mais pour l’approcher avec prudence. C’est que… «On naît étrangement à la poésie». C’est donc à ce naître que Giovannoni s’expose et qu’il nous offre à contempler. Littéralement. Faisant face à ce singulier mouvement dans lequel il s’est vu prendre un jour, l’emportant à l’affût d’un signe, d’un lieu improbable qu’il n’a cessé d’habiter. D’interroger. Par-delà la suffisance des jours et même mal, qu’importe : il lui fallait tenter, là, d’exister. Contre la nuit qui opère secrètement en chacun de nous. Qui radote, ratiocine. Cette nuit qui ne cesse de monter en nous hypothéquant chacun de nos gestes. Et risquer contre elle l’événement d’une obstruction, d’un regard où pousser l’abrupt des mots comme l’on pousse une porte inconnue. C’est dans l’inadéquation en fait, qu’il faut croître désormais. Et où approcher les premiers vrais mots. Dans un contact charnel : «on est fait d’un tour intérieur», d’une main à ses occupations, que l’esprit croyait pouvoir ignorer. Car où est-ce : tout commencer ? Sans doute dans ce moment où une posture s’est défaite, un regard s’est effondré pour céder la place à l’interrogation muette, une stupeur. Peut-être là où la matière appelle. Dans cette poussée subite, soudaine, du corps vers l’écriture poétique. Dans ce palpable, ce charnel encore une fois, où rien ne tient plus et où il ne vous reste qu’à « chantonner contre la peur ». Chantonner. Juste ce mot si puéril, non une doctrine. Juste cette infime possibilité, la poésie sans cesse convoquée par son réel, là où ça déborde. «Surtout ne pas déposer ». Aucun mot. Aucun vers. C’est peut-être ça le secret : prendre le large, toujours, dans l’appel du toucher.

Issue de retour, Jean-Louis Giovannoni, éditions Unes, deuxième trimestre 2013, 68 pages, 16 euros, ean : 9782877041492.

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La dynamique de la révolte, Eric Hazan

10 Avril 2015 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

La dynamique de la révolte, Eric Hazan

Partout dans le monde les peuples se rebellent. Partout en Europe, les peuples se révoltent. Sauf en France… Le seul pays occidental à se doter d’une loi de surveillance de ses citoyens digne des pires dictatures, sans que cela ne provoque d’explosion de colère -à peine une vague d’inquiétude vite rabrouée par des socialos plus réactionnaires que jamais.

Partout dans le monde les peuples tentent de se saisir de leur destin. Sauf en France, où aucune révolution ne paraît possible. Où il ne se passe rien. Bien que le quotidien y devienne invivable. Faut-il repenser l’action commune ?

Eric Hazan s’est penché, moins sur cette question que sur celle du surgissement de l’étincelle qui viendra à coup sûr mettre le feu à la plaine française. On a beau se rassurer, du moins la classe politico-médiatique au pouvoir a beau tenter de nous faire avaler la couleuvre d’un pays dépolitisé, tout le monde sait que c’est faux et que sous le désordre des conduites individuelles, une grande colère politique couve. Or les insurrections sont faites d’abord de colère, et d’espoir. De cet espoir qui surgit comme un impératif quand il n’y a plus rien à attendre de ses dirigeants. De la colère soutenue par l’espoir donc, non d’une poignée d’activistes qui sauraient pousser un peuple à sa résurrection, mais d’un agir désordonné de ces populations qui ne font pas encore peuple. Car d’où viendront, en France, les conditions du renouveau, nous n’en savons rien. De cette France périphérique sans doute, qui ne fait que survivre loin des centres de la décision politique. De ces périphéries relayées un jour par les banlieues plutôt que de ces cœurs urbains occupés par la nouvelle Droite bobo. Les grandes insurrections de 1789, de 1917 ont été anonymes, nous rappelle Eric Hazan. C’est de l’action commune, d’un agir désordonné qu’émerge le désir du changement et la réflexion politique, non de la diffusion d’idées magistrales. C’est de ces agir désordonnés que viendra le vrai changement, débordant les dérivatifs habituels. Même s’ils sont puissants en France aujourd’hui, à commencer par cet épouvantail du FN brandit toute honte bue par une Gauche subornée qui le porte jour après jour à son plus haut niveau d’étiage pour nuire à toute prise de conscience nationale. Car le fascisme français n’est qu’un leurre, ainsi que nous le rappelle opportunément Eric Hazan. Un leurre fabriqué par la classe politico-médiatique pour se maintenir au pouvoir. Un égarement construit. Tout comme le manque d’alternative politicienne, pour nous forcer à croire qu’il n’y a pas d’autre issue que le front républicain pour sauver une république qui n’est même plus digne du nom dont elle s’affuble. Une démocratie dont le seul objectif est de sauver les intérêts privés d’une poignée de négociants corrompus, FN en tête. Mais tout le fatras idéologique des élites a beau tourner autour de ces deux notions vides de sens –république, démocratie-, nul n’est plus dupe devant ces grands fétiches odieux qui ne nous consolent même plus de l’absence d’une vraie république en France.

D’où surgira cette révolte, nous n’en savons rien. Nous irons vers une cristallisation inattendue. Qui bousculera comme un château de cartes les vieux rapports de force appris. Il suffira alors de s’engouffrer dans la brèche. Ouverte ensuite en grand par les réseaux sociaux qui lui donneront une résonnance mondiale –on comprend l’acharnement de Valls à vouloir les contrôler avec sa loi infâmante : ils sont peut-être le lieux d’une offensive possible quand il n’existe plus de lieux symboliques du pouvoir. Sinon la radio « nationale » –et cette grève qui pourrait être, sans qu’on y prenne garde, le signe avant-coureur de nos défections prochaines.

Eric Hazan, La dynamique de la révolte, Sur des insurrections passées et d’autres à venir, La Fabrique éditions, mars 2015, 140 pages, 10 euros, ean : 9782358720717.

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Trois mots, Daniel Pozner

9 Avril 2015 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #poésie

Trois mots, Daniel Pozner

Emietté. Le recueil. Emaillé de reprises incessantes des mots qui ont précédés, ou l’aurait pu. Les parfois, repus, ou au contraire évidés, évidant la phrase, la possibilité de l’appel tout autant que du jugement, en suspens toujours, toujours amendé avant que d’être déçu. Non qu’il faille attendre : il n’y a rien à attendre, ni à en attendre, du poème, peut-être, et ce serait ce qui signerait sa radicalité. Une poésie interjective, qui s’élance pour aussitôt s’interrompre. Certes, des rêves, les gestes têtus du quotidien, dans le détour toutefois, toujours. Une poésie du détour, sinon du détourage, non pour recadrer, mais au contraire pour disperser toute possibilité –les lèvres au mur.

Trois mots, Daniel Pozner, éd. Le bleu du ciel, mai 2013, 76 pages, 12 euros, ISBN 13 : 9782915232851.

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Alimentation générale, Daniel Biga

8 Avril 2015 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #poésie

Alimentation générale, Daniel Biga

Le pourquoi d’écrire résonne des interrogations de Virginia Woolf sur la question. Un arbre repousse-t-il quand on lui a coupé toutes ses feuilles ? Alimentation générale… Qu’est-ce qui compte vraiment ? C‘est comme faire ses courses dans un supermarché. Tout y est tellement tentant. Ou rien. Trop. Trop de breloques, d’artifices, de faux besoins dans cette quincaillerie générale. Le ton est familier, volontiers désinvolte. Le temps passe et la vieillesse arrive toujours si vite, qui ne laisse rien dépasser du passé, qui explique peut-être, rétrospectivement, l’effort d’avoir voulu lui échapper, le désir de s’y soustraire en rédigeant ces poèmes qui nous retiennent tant les uns sur le bord des autres… Jouer des mots dans l’innocence feinte d’un dire puéril. Convoquer encore la grande affaire sociale pour la parer d'un bibelot littéraire : SDF, ces « gouverneurs de la rosée », vision idyllique sinon bourgeoise, le tout juste assez dans le ton repoétique, comme un voyage inaccompli dans un chemin de broussailles…

Alimentation générale, Daniel Biga, Editions Unes, 2ème trimestre 2014, 66 pages, 16 euros, isbn 13 : 9782877041546.

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La Chanson pour Sony, Ahmed Kalouaz

3 Avril 2015 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

La Chanson pour Sony, Ahmed Kalouaz

To be in dire straits… Vichy, un des meilleurs bassins d’aviron au monde. Mais sur la route de l’entraînement : un mendiant, ex-taulard qui a pris quatre mois de prison ferme pour avoir pillé un tronc d’église. Notre monde… Ancien boxeur poids lourd, il faillit être champion d’Europe. L’ado qui l’écoute et raconte l’histoire, de retour chez lui, cherche sur internet, tombe sur Sonny Liston, Mohamed Ali, Foreman… Il visionne des combats, s’arrête sur une chanson de Mark Knopfer : Song for Sonny Liston. Juste cela, l‘ex-boxeur mendiant toujours à sa place dans la rue. Et tourne la page d’une nouvelle qui évoque l’alpinisme. Chambéry, Grenoble, Gary Hemming, qui avait ouvert des voies dans le massif du Mont-Blanc. Giono dans la nouvelle suivante, le Trièves où il vécut. La chasse à l’arc cette fois, où l’important «est de faire corps avec la cible». Gino le Pieux ensuite : le vélo, avec ses drôles d’endroits pour mourir : comme au mont Ventoux, «sous le regard tout en beauté des montagnes». Gino Bartali donc, champion italien, le Tour de France 1938 et Gino si exemplaire dans son opposition à Mussolini. Emprisonné 45 jours, suspendu de compétition, ne cessant de parcourir, seul, l’Italie à vélo pendant la guerre. De Florence à Assise, poussant jusqu’à Gênes où un homme lui remettait de l’argent qu’il rapportait à Rome pour sauver des familles juives à la barbe des fascistes. Gino sauva 800 juifs, avant de gagner le Tour de France en 1948. Quelles valeurs le sport véhicule ? L’humilité, le courage, la persévérance… Peut-être dans ce petit pas de côté que, nouvelle après nouvelle, l’auteur construit. Ce petit pas de côté qui est le propre de tous les champions qu’il évoque, et dont on ne sait rien, partis qu’ils sont, souvent, sans laisser derrière eux aucune de ces traces que les peoples d’aujourd’hui ne cessent de peaufiner dans leur sillage. Celles de ce recueil somptueux qui vient se clore sur le final miraculeux des J.O. de 1968 et son podium hallucinant qui vit Smith et Carlos brandir chacun, têtes baissées, un poing ganté de noir à la face du monde ébahi.

La Chanson pour Sony et autres nouvelles sportives, Ahmed Kalouaz, Le Rouergue, DoAdo, 1er avril 2015, 74 pages, 8,70 euros, ISBN-13: 978-2812608551.

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Plus de morts que de vivants, Guillaume Guéraud

2 Avril 2015 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Plus de morts que de vivants, Guillaume Guéraud

Le collège en février. Dans le froid, à l’arrache. Grippes, gastros. Mais ce matin, tout semble aller de travers. Une fille perd une touffe de cheveux, Fab, le roi de l’escalade, ne cesse de se gratter le poignet. Rien d’alarmant, sauf qu’un troisième collégien s’est mis littéralement à perdre tout son sang par le nez et que le crâne de Yasmine s’est fendu. Le SAMU débarque, mais tout se met à partir en vrille. Les uns après les autres les élèves tombent comme des mouches, implosent, maculant les couloirs de sang et de matières spongieuses, sinon de bouts d’os comme ceux tombés de la bouche de Kévin, qui s’est désagrégée. La panique ne tarde pas, la terreur. Des pompiers, des médecins, des urgentistes spécialisés, la police, le préfet fait déployer tout l’attirail de l’état d’urgence et boucle le collège. Il y a tant de morts déjà. Loin du théâtre de la catastrophe, l’on comprend qu’il s’agit d’une épidémie, d’un virus particulièrement agressif qu’aucun service n’aura le temps de traiter. Alors la République décide de se séparer de ses gosses pris au piège dans leur collège : c’est moins un cordon sanitaire qui est mis en place, qu’un cordon sécuritaire. Des hommes armés reçoivent même l’ordre d’abattre tout fuyard. Les collégiens sont devenus cet ennemi intérieur qu’il faut à tout prix acculer. Dans ce contexte de terreur, rien ne nous est épargné des fantasmes d’horreur du monde adolescent. L’écriture s’emballe et se complaît bien sûr à ses descriptions gores, mais elle prend aussi le temps de poser une poignée de personnages auxquels le lecteur va s’accrocher pour conjurer l’horreur qui se déploie intempestivement. Des personnages qui vont nouer l’intrigue, la draper d’une émotion réelle, tisser l’espoir d’un monde autre où l’humain serait la norme. Car c’est bien de cela qu’il s’agit au final : du sort et de la place de l’homme dans un monde qui lui a résolument tourné le dos et dans lequel il n’est devenu qu’un moyen, et non une fin. C’est là le plus intéressant du récit, qui emprunte beaucoup au genre du roman catastrophe qui hante désormais les lectures de nos adolescents, celui de la dystopie. A-t-on du reste assez réfléchi aux raisons de cette montée en puissance de la dystopie, autant au cinéma que dans la littérature, cette sorte de contre-utopie qui a succédé dans l’imaginaire contemporain aux rêves que nul n’ose plus exprimer ? La dystopie nous parle d’un monde au fond très proche, où tout n’est que rebut. Le plus intéressant du roman de Guéraud, c’est ce qu’il décrit d’une société capable de suspendre les droits les plus élémentaires et de donner l’ordre de tirer sur les individus pour protéger, non la communauté des hommes, mais une communauté d’intérêts matériels. Nous y sommes, dans cette possibilité de suspension des droits individuels dont nous pouvons chaque jour mesurer la tentation. Nous sommes déjà dans ce monde d’individus repoussés, exclus, enfermés dans leur camp retranché et dont le Pouvoir n’attend que la disparition. On songe ici aux grandes épidémies qui traversent la planète, à Ebola et à l’insuffisance des moyens mis en œuvre par la communauté internationale, insuffisance qui aura coûté la vie à des milliers d’africains. On songe à ces personnes qui, comme les collégiens de notre roman, se sont vues traités comme des «ennemis». C’est cette montée en puissance du bio-fascisme que Guéraud pointe. Entendons-nous : c’est la gestion du Pouvoir qui est en cause, l’orientation philosophique d’une société où le Pouvoir est devenu une machine de guerre antisociale, anti-citoyenne. Un genre nouveau a pris le pas dans notre imaginaire, celui de la dystopie, qui est comme un écran sur lequel nous projetons une angoisse légitime du monde tel qu’il va, et dont la traduction politique est celle d’un néofascisme rampant sous les ors de républiques marchandes aux yeux desquelles l’être humain n’est qu’un matériel, la plupart du temps encombrant, qu’il faut gérer avec fermeté et non humanité. Ce bio-pouvoir précisément, qu’évoquait Foucault. Nous y sommes. Guéraud en donne la magistrale évocation.

Plus de morts que de vivants, Guillaume Guéraud, Le Rouergue, DoAdo noir, mars 2015, 251 pages, 13,70 euros, ISBN-13: 978-2812608612.

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Contre les bêtes, Jacques Rabotier

1 Avril 2015 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #poésie

Contre les bêtes, Jacques Rabotier

Comment faire disparaître toutes ces bestioles qui encombrent inutilement la surface de la terre ? Certes, on s’en est bien occupé déjà. Mais combien de tigres encore, qui ne servent à rien sinon à l’amusement des enfants le dimanche au zoo ? Les zumains semblaient pourtant fortiches en extermination, des zumains moins zumains par exemple. Un massacre au Rwanda, un autre en Palestine… Tenez, regardez comment on a exterminé les amérindiens. C’était un bon début déjà, non ? Liquidés les Cheyennes, les Cherokees, les Creeks. On en a fait des marques de godasses ou des noms de voiture de luxe, genre 4x4 à dépouiller ce qui nous reste d’air. Pour les indiens, on avait compris qu’il fallait commencer par leurs bêtes : exit les bisons. Plus de bêtes, plus de sous-zumains… De son environnement, «l’omme» a fait son environ. Strict pourtour. Reste à virer les environs et le boulot sera achevé. Qu’est-ce qu’on attend ? Plus de forêts, plus de loups… La civilisation, c’est l’histoire de la transformation du vivant en corvéable, opprimable, égorgeable. L’homme est comme ça : né prédateur, y compris de lui-même. C’est dans sa nature. Qu’il prédate donc en paix. Fuck les faucons ! Et les lucioles, «qui foutent rien », sinon bouffer et se reproduire. Pareil les vers luisants. Comptent trop sur l’Univers Providence ceux-là. Pas des gagnants, incapables qu’ils sont de comprendre que le monde a changé. Faut pas s’étonner s’ils disparaissent ! C’est comme les tigres : feraient mieux de se reconvertir, créer leur propre marché de peau de tigre au lieu de laisser les autres s’en occuper. Ils n’ont qu’à faire comme les zumains : se bouffer entre eux. Mais les bêtes sont bêtes, elles ne pensent pas ces opportunités. Nous, les Fils-de-…, on sait ça. C’est pour ça que le monde nous appartient. A l’abattoir donc, les bêtes ! Y’aurait plus «d’omme» à la longue ? Bah, de toute façon y’en a trop. On sait ça : trop de travailleurs, trop de jeunes, trop de vieux. Il faut tout reprendre à zéro. On l’aura compris, c’est super drôle, et super décapant !

Contre les bêtes, description de l’omme, prologue, de Jacques Rabotier, éd. Harpo &, coll. La Pliade, septembre 2004, 13,50 euros, isbn : 978-2913886407

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