Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
La Dimension du sens que nous sommes

Qu’est-ce qui, au XXème siècle, peut expliquer que la narration ait perdu son sens ?

17 Septembre 2009 Publié dans #essais

Shoshana Felman signe dans ce numéro une magistrale étude intitulée : «Silence de Walter Benjamin». Une tentative qui n’est pas sans rappeler celle du Goldmann du Dieu caché. De même que nul n’avait songé à fournir l’explication philosophique  de la forme fragmentaire du texte pascalien, avant Goldmann, S. Felman tente de nous éclairer sur les significations existentielles et philosophiques du silence benjaminien. Deux textes sont ici lus avec attention :
Le narrateur et Thèses sur la philosophie de l’histoire. L’orientation de cette lecture propose de ne pas considérer Benjamin comme le philosophe abstrait de la culture, mais le narrateur des guerres du XXè siècle.
Qu’est-ce qui, dans ce siècle, peut expliquer que la narration ait perdu son sens ?
Ces guerres, précisément. Benjamin non seulement nous l’explique, mais forge les outils conceptuels nous en restituant la signification profonde. Cette étude va toutefois au delà et réfléchit sur la stratégie narrative de l’explication benjaminienne. Il s’agit de comprendre comment cette idée de la perte de la narration est biographiquement datée dans sa vie et le sens qu'elle y composa. L’articulation elliptique de sa pensée se voit alors révélée avec force, l’analyse explicitant le surcroît de sens emprisonné dans les silences du grand philosophe. Benjamin reviendra des années plus tard sur leur événement fondateur, pour lui accorder cette fois une expression théorique. Formulant sa théorie de l’Histoire comme trauma, il est intéressant de l'adosser à ce qu'un Marc Bloch énonçait autrement : "l’Histoire, c'est la dimension du sens que nous sommes",affirmait ce dernier. Là où Benjamin développait une conception pessimiste de l'Histoire, Bloch répondait par un volontarisme exigeant, encourageant chacun, fût-il le plus obscur acteur de cette Histoire, à prendre ses responsabilités devant elle.
joël jégouzo--.

Les temps modernes, novembre/décembre 1999, n°606
Lire la suite

VIVONS-NOUS DESORMAIS DANS UN MONDE SANS UTOPIE ?

16 Septembre 2009 Publié dans #essais

Aucune société humaine ne peut faire l’économie d’une relation à l’idée d’une société meilleure… Tout se passe ainsi comme si le social était secrètement travaillé par un rêve, comme s’il existait une nécessité fondatrice de l’utopie.
Mais qu’est-elle, cette nécessité ? Un mauvais Infini ? Ou l’expression de cette clarté vaporeuse dans laquelle l’homme se révèle à lui-même ?

Dans cet ouvrage savant mais d’une lecture aisée, Miguel Abensour tente de croiser les leçons de Thomas More et de Walter Benjamin pour percer les vertus de l’utopie.
Proche parente de l’héroïsme de l’Esprit, ne se donne-t-elle pas pour tâche de repérer les points aveugles de l’émancipation moderne ?

Des deux volets que comprend l’étude, le plus tonifiant est sans conteste celui qui porte sur la réception de L’Utopie de Thomas More dans le monde occidental. Pendant des siècles, la critique l’a comprise comme un projet de société. Tel Kautsky tenant More pour le précurseur du socialisme. Ou les théologiens chrétiens y décelant un retour à une société païenne vertueuse, proche, dans ses valeurs, de l’idéal social chrétien. Au point que le catholicisme social du XIXème siècle, l’a relue comme l’expression d’un conflit entre le capitalisme naissant et les valeurs communautaires chrétiennes, pour en appeler au retour du sens de la communauté médiévale.

S’appuyant sur la pensée de Léo Strauss (contestée, certes), Abensour tente d’en restituer la vraie nature. Posant la question de l’écriture comme séminale, il en dégage la valeur propre : L’Utopie n’est pas politique dans ce qu’elle dit, mais dans la manière dont elle le dit. C’est-à-dire dans l’effectuation de ce dire : la ruse de la raison devenant l’instrument par lequel l’individu accède désormais à sa liberté. Le problème étant, aujourd’hui, de savoir si le raisonnable n’occuperait pas cette place dévolue jadis à la raison. Le manque de souffle de l’histoire nous conduisant ainsi à faire malgré nous l’expérience d’un monde sans utopie.--joël jégouzo--.

 

L’Utopie de Thomas More à Walter Benjamin, Miguel Abensour, éd. Sens et Tonka, coll. 10/vingt, , 1er trimestre 2000, 212p. - réédité en 2009 chez le même éditeur, EAN : 9782845341876

Lire la suite

RENTREE LITTERAIRE 2009 : Ordalie, de Cécile Ladjali.

15 Septembre 2009 Publié dans #en lisant - en relisant

Qu’est-ce qui a changé dans le monde, au point d’y congédier la poésie ?

Ce roman, je voulais l’aimer. Le lire paisiblement, m’engager tout entier dans un temps différent, m’asseoir auprès de lui et parfois suspendre ma lecture, me laisser emporter par les images qu’il dessine, lever les yeux au delà du paysage encadré par la fenêtre de mon bureau, lever les yeux sur rien, l’entendre comme on écoute un ami, avec bienveillance et dans l’intimité d’une relation féconde à son objet : le couple Ingeborg Bachmann, Paul Celan.
Qu’est-ce qu’une vie de poète ? Qu’est-ce que vivre en poète ? De quel poids les mots assignent-ils le monde, en poésie ?

Berlin, 1989. Zak est vieux. Seul et vieux. Il n’a aimé qu’une femme. Il n’a jamais aimé cette femme. La haine l’accompagnait trop. Mais en 89, il se rappelle Ilse (Ingeborg), morte depuis seize ans. Il fut le témoin – il le prétend- de sa vie dédiée à la littérature. De ces vies qui fascine. Le témoin. Vraiment ? Dans un effrayant martyre alors, si l’on en réfère à l’étymologie du mot lui-même (μάρτυς), barbare, ce martyre, l’Ordalie de Zak consumant crapuleusement les chairs autour de lui, brûlées en sacrifice d’un amour auquel il n’a pas eu accès : Ilse-Ingebord. Qu’est-ce qu’aimer, quand on a tant haï ? Et comment témoigner, quand ce martyre n’a d’autre horizon que la rage de n’être pas aimé ?
Berlin, en 89, paraît aux yeux de l’auteur avoir retrouvé son  visage d’avant-guerre. Ou peu s’en faut. Années qui résonnent encore sous sa plume comme celles de la fin de toute poésie. Pas sûr que ce soit la bonne date. On se rappelle Adorno : écrire de la poésie après Auschwitz, non pas impossible dans la phrase réellement prononcée, mais envisageable qu’à la condition qu’elle fût « barbare » désormais.
Mais en effet, la vraie question : qu’est-ce qui a changé dans le monde au point d’y congédier la poésie ?
En 48, se rappelle Zak, Ilse-Ingeborg s’entiche d’un poète juif roumain : Paul Celan. Zak est resté nazi dans l’âme. Il se déteste trop pour savoir aimer Ilke et rivaliser avec Celan, dont l’importance croît de jour en jour. Une génération d’intellectuels européens se révèle alors à nous. Ilse-Ingeborg surtout, femme libre, juste, fringante, intransigeante, engagée socialement, politiquement. Portrait magnifique d’une femme à l’écoute du monde, qui en recueille les bribes, l’éreintement, tandis que prisonnière de son amour pour Celan, elle voit ce dernier s’enfoncer dans sa nuit et ne parvient pas à ramasser le grain de cette voix rompue. Zak, lui, expérimente l’inexistence à deux pas de l’objet convoité et fait de ce défaut d’existence le lieu à partir duquel survivre au monde. Mais pour le lecteur, puisque son regard oriente le nôtre, il propose moins une effraction qu’il ne clôture la distance qui nous sépare d’Ilse-Ingeborg.
Certes, la voix intrigante de la poésie se laisse entendre ici et là. Le style, sans être poétique, fait entrer la poésie dans la langue romanesque. Avec toutefois un écueil de taille : on n’imite pas Celan. Non plus qu’on rivalise avec cette langue qui veut incarner quelque chose comme « la vraie vie ». Réinventer le monde et la langue qui va avec. La matière romanesque (la situation de ce roman) peut-elle rendre compte de ce qui se fomente dans le poème ?

Dans l’asile où nous suivons Ilse-Ingeborg, quand la maladie l’épuise et rince son être de toutes ses peurs, tandis que Celan se laisse coloniser par la douleur, nous nous heurtons encore à l’effroi du vertige imposé par la pensée, dès lors qu’elle est levée. Le passage est superbe, tout de même. Mais la poésie, elle, sait mieux encore nous loger au fond de cet effroi. Il faut relire Ingebord Bachmann, Celan, pour le comprendre. ll n’y a pas de compromis possible avec la poésie, qui engage tout l’être. Pas le roman, qui est compromission. Le compromis de ce roman, en l’occurrence, c’est sa construction, inévitablement assidue, et celle de ce personnage de Zak, avec les poncifs qui l’accompagnent : topos de la fascination nazie de la mort, topos de la banalité du Mal, topos de la haine de soi. On connaît la chanson : de la haine de soi à la haine de l’autre, cette trajectoire balisée par tant et tant, de Céline à Drieu La Rochelle. Sans évoquer les quelques images falotes sur le silence de Dieu durant la Shoah.
Le récit comporte un nombre important d’occurrences lexicales organisées autour de la métaphore de la couture. Coudre. Il s’agissait bien en effet de coudre ou de recoudre un tissu déchiré. Mais à la suture, il y a Zak, chargé de trop de médiocrité pour nous ouvrir les portes d’un plus grand mystère, d’un trop grand don pour ce personnage : la poésie.--joël jégouzo--.

Ordalie, Cécile Ladjali, Actes Sud, août 2009, 209p., 18 euros, ISBN : 9782742785346
Lire la suite

RENTREE LITTERAIRE 2009 : LUC BONDY CHEZ CHRISTIAN BOURGOIS

14 Septembre 2009 Publié dans #en lisant - en relisant

Sans doute est-il vrai, comme l’écrit Luc Bondy, que « c’est dans les récits qu’on vit le mieux ».
Et c’est à sa fenêtre de la Seminarstrasse que le narrateur, un personnage de second plan, assistant metteur en scène, contemple ce que devient sa vie pour tenter de lui donner forme et vivre encore, du mieux qu’il peut, cette régurgitation du passé qui est le signe bouffon par lequel s’annonce le Jugement Dernier.
Cet homme qui regardait habituellement les choses d’en bas, le voici qui ne peut plus les observer que du haut de sa fenêtre, épiant le mouvement du temps qui l’emporte, depuis cette désagréable lenteur qui est entrée dans sa vie - l’autre indice baladin. Un rythme exaspérant. Quel âge a-t-il ?, il ne le sait plus trop, à dix ans près. Le corps usé, fatigué, alors qu’il ne peut plus lire, qu’il regarde plus qu’il n’observe, (mal)Voyant se proposant de donner à voir plutôt que de voir lui-même, mettant en scène, de fait, les anecdotes et les figures de son aventure terrestre, de plus en plus nombreuses à s’égarer, à dériver, à se perdre dans le fil d’un temps qui n’est plus le sien (le syndrome BW ?), ce qu’il recompose, c’est finalement une histoire d’espace entre les corps, celle de cette raison corporelle qui est le propre de la mise en scène théâtrale, où l’Echange est une promesse portée d’un poumon l’autre – pour un peu s’ouvrirait à nous le souvenir de L’Anthropologie du geste, de Marcel Jousse, décryptant ce vide entre les corps où l’humanité est allée fonder son dire. Une histoire de rythmes, de temporalités.
Car ce qui frappe dans ce court roman (dont je ne suis pas certain d’avoir aimé les qualités, ni détesté les défauts), c’est ce à quoi l’auteur est attentif : moins les idées que les gestes qui les portent, Meursault de Camus et son café au lait, les routes de Lagos encombrées de déchets poussés par le vent, Kafka demandant à Milena de ne pas approcher de lui par derrière, ni de côté, mais de face. Du théâtre, en somme, mimodrames où chacun puise la révélation d’être soi - le geste dans la connaissance qu’il ouvre.
Le théâtre, justement, est peut-être mort de la rude concurrence que l’image lui oppose, et de ce que tout le monde se donne aujourd’hui en représentation, nous dit Luc Bondy. Pas si certain : What do pictures really want ? A cette question que posait W. J.-T. Mitchell (dans October, Vol. 77., Summer 1996, pp.71-82.), s’il n’y a pas de réponse simple, du moins l’indécision du statut des images peut-elle déjà nous réconforter de ce qu’elles aient tant besoin de nous. Luc Bondy, qui est l’un des grands metteurs en scène du théâtre d’aujourd’hui, nous en a souvent offert le « réconfort ».
On vit dans la dissonance, écrit-il encore. J’écrirai plus volontiers, à la suite de Gombrowicz, que l’homme est nécessairement un  être oxymorique, à la fois maître et esclave de sa forme. Et consentirais assez à l’élégance d’un ton souvent amusé, qui n’est pas sans convoquer – puisque le récit invite chacun à le vivre intimement-, cette gourmandise intelligente de la famille Bondy pour les choses de l’esprit.--joël jégouzo--.


A ma fenêtre, Luc BONDY, traduit de l'allemand par Olivier Mannoni, éd. Christian Bourgois, sept 2009, 154 pages, 18€, ISBN : 978-2-267-02045-8
Lire la suite

L’universalité des cultures contre le racisme des politiques imbéciles

11 Septembre 2009 Publié dans #essais

Seul l’espace mondial où se déploient la diversité des identités autorise la formation et l’expression des différences.

L’essai de Jean-Loup Amselle est un livre fort – et fort agréable à lire par les temps qui courent.
Un ouvrage ouvrant puissamment la réflexion pour tracer de nouveaux horizons au contexte d'énonciation des identités culturelles.
Tout à la fois enquête de terrain, réflexion d’un anthropologue sur les fondements de sa science, il dépasse de beaucoup son cadre intellectuel pour informer tout autant la réflexion politique (qui en a grandement besoin dirait-on) que culturelle.
Sans doute parce qu’en lui s’affirme une volonté programmatique.
En filant en effet une métaphore nouvelle pour parler des cultures, il ne cherche rien moins qu’à nous aider à construire une vision neuve de l’avenir des différences culturelles à l’époque de la mondialisation.
Et nous arrache à l’image d’un monde qui serait le produit de «mélanges» de cultures, vues chacune comme un univers étanche, clos sur lui-même et séparé des autres.
Là où, d’ordinaire, la métaphore du métissage maintient notre vision des cultures dans une dimension racialiste, Amselle affirme l’idée radicale d’une co-présence originaire des différentes cultures. Et postule l’idée salvatrice de l’ouverture en réalité originelle à l’autre de toute culture. Ce faisant, il construit rien moins qu’une interculturalité à l'intérieur de laquelle chaque culture inscrit son domaine de définition. Pas de cultures sans Culture, et inversement. Amselle ne cesse de dénoncer cette situation de guerre larvée entre les cultures dans laquelle nous nous trouvons. Et, encore une fois, combattant avec force l’idée d’une pureté originaire des cultures, il montre en quoi l’universalisme est le moyen privilégié d’expression des différences culturelles.
joël jégouzo--.

Branchements, Anthropologie de l’universalité des cultures de Jean-Loup Amselle, éd. Flammarion, janvier 2001, 266p, , ISBN : 2082125475
Lire la suite

RENTREE LITTERAIRE 2009 : Marie-Hélène Laffon, Buchet-Chastel

10 Septembre 2009 Publié dans #en lisant - en relisant

La France d’En-bas s’invite dans la course aux prix littéraires (en l’occurrence celui des Libraires). Enfin… Pas tout à fait la France d’En-bas, non plus qu’elle s’y inviterait puisque, là encore, il s’agit d’une parole recomposée.
Une France bien éloignée de celle des Gens de peu (si superbement dessinée par l’immense Pierre Sansot) – avec leur marcel des bords de route du Tour de France, qui disposaient néanmoins de toute notre affection.
Non, là, il s’agit de quelque chose qui n’est sans doute plus la France mais un monde secret, celui des sillons dont on ne sait plus rien, dont il ne nous revient aucun écho, pas même des luttes, bretonnes ou occitanes, laits déversés devant les préfectures, choux et fruits de saison amoncelant une rage stupéfiée. Une réalité cachée, recluse dans ses pacages. L’autre monde, celui des cantonniers, entre bois et bêtes, la campagne, tout juste une lointaine image du Cantal dont nous ne savons où fouiller pour l’habiller encore, la campagne, ce royaume clos désormais. Deux vaches, le viaduc de Garabit, pas même celui de Millau, pensez !
Voici donc l’œuvre, un objet incongru dans le panorama des publications contemporaines. Un texte que l’on mènerait pour un peu à résipiscence dans une littérature qui semble devoir séduire autrement. En porte-à-faux avec son objet dans son déferlement lexical, logorrhée érudite, confisquant les voix de ceux qui ne parlent plus pour les remplir d’une présence qu’ils n’ont plus – fictive, donc. Le lieu sans le terroir, dans la rutilance d’une langue réquisitionnée pour un  autre chevet – le nôtre.
Un  vrai choc de civilisations en somme, avec cette petite nièce en tablier d’étoffe grossière régnant sur la famille et disputant son règne à celle qui vient d’ailleurs et prétend lui ravir ses oncles.
Fridières. Qu’il y ait des mots pour dire ça, étonne tout d’abord. Mais à bien lire, ces mots ne sont pas de Fridières. Annette, l’ouvrière du Nord, a répondu à une annonce. Elle ne voulait pas faire de sa solitude une histoire. Mais refaire sa vie plutôt. Un paysan, pourquoi pas ? Alors Annette s’exile, mais ne sait pas se placer dans l’étable et reste interdite devant les bêtes. Et avec la nuit qui vient, devant son propre corps. Les pages les plus fortes, à l’heure décharnée d’une vie trop longtemps solitaire. Annette contemplant le désastre de ses cuisses veinulées.
C’est laborieux, littéralement, à la mesure de ce labeur quand on a désappris le corps à corps de l’amour. Annette cœur simple. Presque fruste dans cette langue chatoyante. Fictive plus qu’on ne saurait l’écrire, car cette campagne ne sait plus se situer que dans l’ordre de la fiction, tant elle est démonétisée. Une fiction qui ne relève même plus d’aucun genre aujourd’hui, à peine celui du terroir, littérature confinée dans des officines régionales où s’aventure encore le souvenir d’un monde de vieux célibataires, de bêtes, de foin, de toile cirée et de corps au pied du mur.
L’Annonce de Marie-Hélène Laffon s’énonce parfois comme une Annonciation – cela lui va bien du reste, on entend l’Angélus, on l’aimerait du moins, après tout. Détonne, encore une fois, dans le paysage de la production littéraire. Embarrasse. Et la littérature de terroir, et la littérature contemporaine. Tout comme son texte s’embarrasse parfois d’une présentation trop travailleuse du récit des vies qui l’articulent. Réussi, raté ? Intéressant – sans la morgue d’avoir à le concéder.
--joël jégouzo--.

L’Annonce, Marie-Hélène Lafon, Buchet-Chastel, sept. 2009, 200p., 15 euros, isbn : 978-2-283-02398-8
Lire la suite

RENTREE LITTERAIRE : BW, L’autofiction décadrée…

8 Septembre 2009 Publié dans #en lisant - en relisant

Toujours sur le départ, BW. Vertical, faisant face au grand horizon mutique dressé devant lui.
Fuir, là-bas fuir. (« … Je sens que des oiseaux sont ivres d’être parmi l’écume inconnue et les cieux » - Mallarmé).
BW Jeté dans sa jeunesse, aux confins du monde, dans la passion du livre. Editant comme on part, et quel éditeur : Verticales. Ce qui s’expérimentait de mieux dans la littérature française contemporaine. Désertant sa passion depuis, fuyant de nouveau, cette fois son monde, celui des Lettres, trop affairé à cultiver sa médiocrité et la bassesse d’une gestion purement comptable du livre.
C’est beaucoup de cette histoire dont il est question ici, qui s’évide comme une dictée recomposée, Lidie Salvayre, sa compagne, aux commandes d’un texte dont le statut devrait tout aussi bien l’inquiéter, BW, dans cette réflexion qu’il se fait sur la littérature et ce qu’elle devient, ses nouveaux objets saugrenus l’emportant loin d’elle-même et ne faisant qu’obscurcir abusivement sa matière, comme le fait précisément le texte même de Lidie Salvayre, ce BW si « émouvant » quand il s’organise autour d’anecdotes, ce BW campant sur la parole de l’autre -comme bien des romans de cette rentrée-, narrant une époque perdue, quand le monde était assez ouvert pour y pousser jusque dans l’écriture l’expérience paradoxale d’y vivre.
Katmandou, Peshawar. Mais aujourd’hui le désastre d’un monde sans livres et celui d’une littérature acculée à la médiocrité par ses acteurs mêmes. BW règle au passage quelques comptes nécessairement mesquins. Et curieusement, évoque au gré de son propre personnage ce qui dans un texte le retient, pour en référer la nécessité, sans le dire, à ce que déjà, avant lui, Virginia Woolf avait exprimé dans nombre de ses conférences. Ici, l’expérience du froid qui transit, le halètement rimbaldien surgit dans la soudaineté de l’expression.
Un deuil littéraire au fond, triste, triste, malgré sa drôlerie, dans ce rapport confus du livre à la vie, ou l’inverse plutôt, la vie l’emportant aujourd’hui plus confusément encore que la victoire du texte sur elle, naguère.
Rien d’étonnant alors, que dans cet accablement qui pointe, BW paresse intellectuellement dans sa condamnation commode de l’image, orchestrée depuis une rhétorique convenue.
Tout de même : l’on y entend le petit fracas d’une implosion qui nous affecte tous, dans sa difficulté à prendre acte de ce que le livre, peut-être, ne soit plus la structure adéquate pour dire nos possibilités de vivre, ni leur lieu. Mais à l’heure où la cécité le frappe, au moment où, selon lui, la littérature s’aveugle, il ne donne peut-être rien d’autre à entendre que le cri mallarméen : ce n’était donc que cela, la création : un pur jeu formel ? Et s’en garde comme il peut…
Lui qui est venu au livre pour advenir à son humanité, enfermé aujourd’hui dans le plaisir de l’esthète pour cette chose rare qu’est désormais un texte, reste étrangement fidèle à des expériences qui n’appartiennent pas au textuel : l’Himalaya, avoir touché le ciel, dans ce réel des cimes opposé à la fade réalité du quotidien - l’esse mallarméen de l’écume inconnue et des cieux … Tout un romantisme (allemand) en fin de compte, intrigant le grand bluff d’une langue qui prétendrait dire l’indicible.
Mais si la littérature est aujourd’hui incapable de saisir le monde, peut-être est-ce parce que ce n’est pas son projet ?--joël jégouzo--.


BW, Lidie Salvayre, Seuil, coll. Fictions & Cie, août 2009, 208p., ean : 978-2-02-099711-9, 17 euros.
Lire la suite

RENTREE LITTERAIRE 2009 : Lyonel Trouillot, Actes Sud.

7 Septembre 2009 Publié dans #en lisant - en relisant

C’est très dangereux d’écouter les histoires des autres. Mathurin D. Saint-Fort s’était pourtant bien juré de leur tourner le dos, de ne s’occuper que de lui, de son ascension sociale, à gravir déjà péniblement l’échelle des reconnaissances truquées. Et puis un  jour, voilà Charlie qui débarque dans sa vie, convoquant son passé, ce vieil Haïti désespérant de misère crasse qu’il croyait avoir définitivement largué – sa propre famille comme une conscience embarrassante. Qu’est-ce qui lui a pris de l’écouter ? Ce n’est pourtant pas le cynisme de son milieu qui le rebutait au point d’ouvrir cette brèche en lui ! Peut-être la « franchise » de l’interpellation, cette vie de gosses des rues épris de justice. Bien que la justice, là où il en était, cela ne pouvait guère prendre de sens. Dans ce système de survie que s’était bricolé Mathurin, où chacun ne pouvait être décemment que le mercenaire de soi-même, quelle réalité un gamin tel que Charlie pouvait prendre ? A peine celle d’un conte, fantaisie vaine dans un monde où la littérature elle-même ne révèle rien, sinon une distinction de classe. Alors ce Charlie, vous pensez, lui rappelant ce qu’il cachait avec tant de soin, son prénom même, «Dieutor», tellement disqualifiant quand seule l’ambition organise la dimension de l’histoire que l’on doit être… Et donc ce Charlie, convoqué lui-même par le peu de poids de son existence, ne pouvait que disparaître à nouveau, sans laisser d’autres traces que romanesques.
Roman de la désespérance ? Pas certain. Si la misère haïtienne y fait surface, c’est sous les traits d’un personnage trop littéraire pour qu’elle y entre vraiment. Séduisant, certes. Le rêve est bien mené, mais chargé de trop d’artifices pour dire Haïti, voire le cynisme du monde dans lequel évolue le personnage principal, ou sa désespérance. Qu’importe même Haïti, ici : le monde réel est un  piètre écrivain. Reste la théâtralité du récit, son retour à l’équilibre. Le roman s’est transformé en romance, tout comme le « yanvalou », et l’épisode Charlie n’a produit qu’une réalité : un livre. C’est peu de chose, somme toute. – joël jégouzo--.


Lyonel Trouillot, Yanvalou pour Charlie, Actes Sud / Le Méac, août 2009, 176p., ean : 978-2-7427-8533-9, 18 euros
Lire la suite
<< < 1 2