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12 novembre 2012 1 12 /11 /novembre /2012 05:11

 

deux-ou-trois.jpgLe ton est presque badin, Ha-Joon, professeur d’économie à Cambridge, ouvrant sur les sept façons de lire son essai, selon que l’on soit ou non informé, selon que l’on veuille ou non s‘informer. Economiste hétérodoxe, attaché au système capitaliste, il nous livre ici une réflexion réjouissante, sinon inquiétante, sur l’issue d’une crise dont on nous promet qu’elle sera bientôt presque derrière nous. C’est ce "presque", on l’aura compris, le nœud du problème, qui invite les peuples à se serrer toujours davantage la ceinture, dans l’illusion d’un sacrifice collectif salutaire…

L’économie mondiale est en lambeaux, nous dit sans ambages Ha-Joon. Ça, on le savait. Mais personne ne veut en prendre acte : on ne cesse au contraire de renflouer un navire qui est en train de sombrer. A fonds perdus donc Littéralement. Et tandis que l’argent fait défaut dans l’économie réelle, il abonde dans les places financières, qui l’ont presque totalement capté. Dans ces conditions, affirme Ha-Joon, nous avons des années de vache maigre devant nous : la pauvreté est notre horizon commun. Et il y a de fortes chances pour que l’économie mondiale connaisse de nouvelles phases de récession. Des phases que nos dirigeants politiques sauront imputer à de nouveaux secteurs d’une économie trop peu concurrentielles…

Les chômeurs ? Dans leur immense majorité, ils ne réintègreront pas les circuits économiques normaux.

Pourquoi ce désastre ? Pour une grande part à cause de la liberté totale dont jouissent les marchés financiers. Une liberté soutenue par une idéologie dévastatrice : le néolibéralisme, qui a fini par liquider totalement le "take care" du libéralisme philosophique. Et Ha-Joon, de s’employer à démontrer combien la vision du monde néo-libérale est étriquée. Malheureusement, au cynisme des économistes néo-libéraux s’est ajouté la collusion du milieu politico-médiatique. Car ce qui est arrivé n’était pas un accident : nous aurions pu l’empêcher –nous le pouvons toujours. Le marché libre, ça n’existe pas. Cette liberté se définit politiquement. Pour les banques, le choix était simple : il était possible de ne pas offrir 700 milliards de dollars, aux Etats-Unis par exemple, sinon sous condition, aux banques qui se sont empressées de les partager en dividendes…

Passons sur les démonstrations, simples et chiffrées. Ha-Joon revient sur nombre d’idées reçues concernant l’économie, qu’il faudra bien entendre un jour.

Prenez les entreprises : faut-il les gérer dans l’intérêt des actionnaires ? Il est bien évident que non : les actionnaires, contrairement à une idée reçue, ne sont pas les propriétaires des entreprises, mais les parties prenantes les plus versatiles et les moins soucieuses de leur avenir à long terme. Jetant par millions des salariés à la rue, un simple calcul rétrospectif permet de constater que depuis les années 1980, l’un des facteurs de déstabilisation le plus important de l’économie mondiale aura été l’insécurité de l’emploi, et non son manque de flexibilité.

Autre exemple : enrichir les riches n’enrichit pas les pauvres. Cette idée d’économie du ruissellement est un pur fantasme, la politique en faveur des riches n’ayant jamais permit d’augmenter la croissance d’un pays, chiffres à l’appui toujours : depuis 1980, nous n’avons cessé de donner toujours plus aux riches, en vain. La croissance par habitant, elle, n’a cessé dans le même temps de s’effondrer. Dans la même période, l’investissement des riches n’a cessé de chuter : les riches gardent l’argent pour eux. Point.

Prenez encore les systèmes de rémunération des dirigeants des plus grandes entreprises : ils sont unilatéraux, jamais fixés par leur fameux marché libre, jamais corrélés sur la moindre performance, ni moins encore sur le résultats de l’entreprise, mais bien plutôt le fruit d’un pillage systématique et ordonné des biens produits.

Et quant aux marchés financiers, contrairement à ce que l’on peut entendre dire, ils ne sont pas inefficaces, mais au contraire, particulièrement performants : avec leurs nouveaux outils mathématiques, ils ont trouvé de quoi générer des profits immenses à court terme, même et surtout en temps de crise, en fragilisant toujours davantage l’économie mondiale. Si bien qu’il n’est pas possible de concevoir autrement ces outils financiers que sous la vision d’armes de destructions massives.

  

 

Deux ou trois choses que l’on ne vous dit jamais sur le capitalisme, de Ha-Joon Chang, traduit de l’anglais par Françoise Chemla et Paul Chemla, éd. du seuil, coll. Philo.Gener., octobre 2012, 356 pages, 21 euros, ean : 978-2021083736.

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