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21 novembre 2023 2 21 /11 /novembre /2023 11:38

La Révolution d'octobre 1917, au jour le jour, sans préjuger de ce qu'il en adviendra. Au jour le jour : pour tenter de l'incarner à travers une troupe de théâtre et le portrait de deux jeunes femmes qui s'y engagèrent totalement, deux sœurs, Tatiana et Lena. L'engagement est d'ailleurs l'une des questions fondamentales que le roman pose, une autre étant celle de savoir ce que c'est que d'être révolté, ce que cela implique et ce que peut bien être l'horizon de la révolte. Le tout sous l'ombre magnétique de Maïakovski «porteur d'eau et de vidange, mobilisé par la révolution, recruté par elle» (A pleine voix, 1930), dont l'hymne aux révoltés ne peut, aujourd'hui encore, laisser de marbre. Un Maïakovski qui pourtant ne se jeta à corps perdu qu'éperdu dans la foule des émeutiers dont il chérissait le tumulte et la liesse. Mais réticent quant aux fourches caudines qui se pressaient au-dessus des fronts des poètes pour enrôler l'Art au service du politique : «L'Art est notre affaire», ne cessera-t-il d'affirmer, malgré les malentendus et ses propres errements...

De février à octobre 1917 donc, on traverse la Russie dans la tourmente de la famine, de la misère. En février le tsar abdique, les soldats se mutinent. Un gouvernement provisoire est formé, tandis que la colère s'amplifie. Vient octobre à pas de loups tant les embûches sont nombreuses.

Tatiana s'interroge. Quelle y serait sa place à elle, née pauvre, destinée à mourir pauvre ? Lena, sa sœur, s'exprime déjà haut et fort et l'une et l'autre sont emportées bientôt dans le tourbillon révolutionnaire.

Au gré de leurs rencontres, le roman s'affine et s'enrichit d'une multitude de personnages émouvants sinon poignants, toujours incroyablement fécond en intrigues, en rebondissements, en péripéties et coups de théâtre qui forcent la réflexion, plutôt qu'elle ne l'engourdit par des réponses hâtives. On y croise Stanislavski et son Théâtre d'Art, et tant d'autres dans le bouillonnement intellectuel du Moscou de l'année 1917. Non pas un décor, la fresque brossée, mais l'aiguillon d'une réflexion qui ne peut pas ne pas devenir personnelle au détour des situations, et engager chaque lecteur auprès de chaque autre dans le questionnement de ce qu'on est, tout comme de ces grands problèmes de la vie : qu'est l'amour, l'amitié, le désir de liberté, la violence, l'outrance, la mesure ou l'art ?

Ce dernier, comme en écho au roman que l'on est en train de dévorer. Qu'est-ce que l'art ? Doit-il être révolutionnaire ? Comme... au service de la Révolution, ou bien ? Car : la révolution politique peut-elle coïncider avec la révolution dans les arts ? Qu'est-ce au demeurant, l'art engagé ? Reformulons encore : qu'est-ce qu'éduquer le peuple ?

«Vive l'Art, libre de la politique !», s'exclamera Maïakovski, tout en maintenant la nécessité d'une réflexion et sur la question de son organisation institutionnelle, et celle de «L'Art pour tous» (voir la réunion du 14 avril 1917, au cours de laquelle il refusa qu'on thématise cette question pour y réciter ses poèmes). Bousculer les codes, les repères, les catégories. S'il s'agit avec la révolution de «fendre le crâne du monde», comme le souhaitait Maïakovski, du moins faut-il encore comprendre que la révolution est une entreprise politique, pas artistique, et qu'on ne peut lui aliéner la liberté que chaque révolution artistique promet, ouvrant le regard à de nouvelles manières de voir ou la danse à de nouvelles manières de faire corps dans le monde.

 

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Carole Trébor, Révoltées, Rageot éditions, octobre 2021, 254 pages, ean : 9782700277197.

 

Le roman de Carole Trébor est évidemment beaucoup plus riche que ce que j'en ai dit, en intrigue, en personnages, en émotions, en sensations. Peut-être parce qu'il s'adresse à des collégiens, des lycéens et des jeunes adultes -mais tout le monde peut le lire. Cela dit, cette intention l'oblige : il n'oublie ainsi même pas le versant pédagogique de son propos. On y trouvera tout un dossier sur la Révolution russe de 1917, un glossaire, un plan de Moscou et des lieux cités dans le récit, tout un matériel mit généreusement à la disposition des enseignants.

 

 

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