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27 novembre 2023 1 27 /11 /novembre /2023 11:40

Au trait. Cela commence par un trait, son Aux pays des lignes. Une fille, un garçon, en plan serré puis large. Un trait perdu dans l'immensité de la page. Un trait, mais deux représentations. Deux personnages qui ont toutes les chances de ne jamais se croiser. Dans le foisonnement des lignes, c'est bientôt comme chercher Charlie au creux des pages. Bien sûr, le garçon et la fille finiront dans le même plan. Il n'y a plus l'immensité, mais la complicité de cette rencontre. L'un et l'autre et nous-mêmes, au cœur de cette complicité errante, jamais perdus. Jamais ? Si : le garçon la perd, la petite fille. Un diable l'a capturée. Le dessin se fait de plus en plus complexe, au bout surgit une ville, en jaune, irréelle. C'est quoi le réel ?

L'album suivant (Les amoureux) exalte toujours ce jeu des traits. Toujours un garçon, une fille et cette rare économie de moyens. Ai-je dit qu'il n'y avait peu ou pas de paroles ? Pas de commentaires. Le dessin, seul, porte le sens. Sans les béquilles du langage écrit, parlé, articulé.

Noire la pluie, rouge la fille, bleu le garçon. Ils courent, sortent de la zone pluvieuse, jouent, lisent, s'embrassent, s'endorment. Un nuage gris semble vouloir fondre sur eux. Petit, gros, énorme. Les rochers en burinent la présence. Les deux s'assoient sur l'un, qui se met à grossir à son tour et qu'il faut escalader. Au loin, la mer, qui envahit la page.

Quelle liberté dans cet imaginaire ! Les personnages sautent d'une page à l'autre, trouvent des stylos, des crayons de couleur, crayonnent la page. Continents, foules et musiques, s'il pleut, ils dessinent leur abri. Et un escalier pour sortir de l'album.

Et puis ce Gaufrier, en cases minuscules, en noir et blanc, accentuant l'effet case de la bande dessinée, ses repères, les nôtres. Le Gaufrier est une grammaire de combinaisons turbulentes qui déclinent les possibilités de la forme «bande dessinée»... Une grammaire construite sur des thématiques ou des systèmes de formes libérant l'invention de l'auteur : Voisinage, damier... Les personnages, traditionnellement enfermés dans leurs cases, les franchissent. Ou bien l'auteur propose des cases en miroir les unes des autres ! Une ville surgit, genre Mode d'emploi (Perec). Une planche composée comme un Tétris... Ou bien une prison, quand ils 'agit d'enfermer dans des cases. Et des combats qui occasionnent des franchissements multiples. Envers / endroit, il ne s'agit plus de lire, mais de voir, d'éprouver. Et l'on peut rester des heures sur chaque planche, dont la première comporte 121 cases !

Dans Clown, c'est le clown sous tous ses états qui nous est proposé. Précieux, subtil. Dans le vacarme de la ville, qu'il fuit, où il doit s'inventer et se réinventer sans cesse. Il y a dans cet album des débuts d'historiettes, sur une page, deux pages, à peine plus parfois. Aventures, mésaventures, tout ici joue de l'absurde. Le clown rencontre sa clown et ensemble, à errer, se mêlent au paysage. Il est dessin. Ils sont dessin. C'est cette logique qu'ils épousent : tout est permis, puisqu'ils sont clowns. Ainsi de ces grandes pages vides. L'auteur se rit de nous, finissant un tour sur la page suivante. Récréation ?

Récréation... L'espace de la cour, le temps d'une récréation. Là encore l'auteur se joue des cases. Petites, avec des blancs entre les colonnes. La mise en page est cette fois encore exceptionnelle, pourvue d'une immense liberté : les personnages se cognent à ses limites physiques qu'ils bousculent, ou bien on assiste à un cache-cache interactif : il faut chercher le dernier copain caché, derrière le cadre ! Nous plongeant hors réalité : c'est notre imaginaire qui doit composer ce qui manque au dessin !

L'album se recentre autour d'un personnage : Paul, le rebelle, dont l'auteur nous confie qu'il le «rend perplexe». Paul se tourne vers lui du reste. S'interroge, l'interroge, l'interpelle. Nous interpelle donc. Il finira par lui prendre la main et dessiner les conditions de sa libération : «La liberté, la vraie, hors du blanc», affirme-t-il... Mais c'est un paradoxe, puisque c'est le blanc qui permet de le dessiner.

Comment fonctionne une BD ? Comment s'arranger des cases, des bulles, des textes. Tout le travail de Victor Hussenot, outre qu'il est infiniment subtil et poétique, questionne et son genre et ses moyens graphiques. Superbe !

 

 

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www.facebook.com/victor.hussenot.77

 

 

 

 

Victor Hussenot, Au pays des lignes, éditions La joie de lire, janvier 2014, ean 9782889081998.

 

Victor Hussenot, Les amoureux, éditions La joie de lire, 2019, ean 9782889084852.

 

Victor Hussenot, Le Gaufrier, éditions la 5ème couche, 2021, ean 9782390080572.

 

Victor Hussenot, Clown, éditions La joie d elire, mai 2021, ean 9782889085545.

 

Victor Hussenot, Récréation, éditions La joie de lire, août 2022, ean 9782889086030.

 

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