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16 février 2018 5 16 /02 /février /2018 09:07

Arnaud Théval est allé en prison. De son plein gré. Plusieurs années. Mais en excluant toute relation frontale aux taulards : il y est venu pour voir, non les voir, et donner à voir sa vision des prisons françaises. De son plein gré : écartant toute commande. Il revient ici d'une prison vidée de ses occupants. L’idiot, c’est lui. On l’aura compris. Qui a déambulé dans des lieux vides. Enfin non, justement : des lieux saturés de traces, de ces petites choses abandonnées par les prisonniers et qui révèlent tant leur présence. Dessins, graffitis, grattages, photos, magazines déchirés, découpés, égarés. Il observe. Les frottements des pieds au sol. On voit ça très bien. Et puis la vétusté du lieu. Les prisons françaises sont vieilles pour la plupart. Partout il faut les rénover. Un moment clef de notre histoire donc. Espère-t-on. Ce qu’il montre, c’est un lieu sans horizon. Métaphoriquement. Comme littéralement. Pour en accentuer le trouble, il photographie en gros plans, ou en plans américains. Et ce qui frappe, c’est son traitement de l'image en aplat. Tout y est ramené sur le même plan. Pas d’épaisseur. Pas de profondeur. Un no man’s land inquiétant. Plongé dans le silence d’une prison vidée. Et peu à peu une sorte de récit photographique s’organise dans ce partout des bouts de quelque chose. Il prend le moindre coup de crayon sur un mur, ces détails où la vie s’est accrochée. Des bouts de rien pas encore détruits par les machines de nettoyage. Car on nettoie les cellules, dont beaucoup sont d’une saleté crasse. Mais on y a logé des êtres humains. La cellule, lui a-t-on dit, est propriété de l’état, pas du détenu qui l’occupe, et qui ne peut que s’inscrire dans l’éphémère, même s’il doit y rester des années. Des cellules que l’état n’a pas songé à rénover des siècles durant dirait-on. Or chaque cellule est un univers, où il avance à pas feutré pour en reconstituer l’équilibre. Ne rien déranger. Une scène de crime… Sur l’instant, ses images dérangent, qui esthétisent la crasse et la transforme en élément pictural. Et puis on finit par comprendre le recours aux mots, ce texte qu’il leur adjoint, pour dire ce qu’elles pourraient ne pas montrer : la peur, le poids, l’effroi. Et bien que le rapport aux surveillants soit biaisé, Arnaud Théval parvient à soulever un voile et rapporter leur témoignage poignant : «Personne n’est fait pour ça». Au fil des pages, le monde qu’il a recomposé finit par dénoncer la fausseté du regard que nous posons tous sur ce lieu, qui reste à jamais extérieur à nos vies. C’est cela que disent ses images : cette fausseté, l’impossibilité à comprendre l’univers carcéral. Les bouts de scotch, une croix, un clou, un vieux sapin de Noël abandonné composent l’univers pitoyable d’une poésie désespérée dont on ne peut qu’éprouver la honte d’en être le témoin inutile…

Arnaud Théval, La Prison et l’idiot, édition Dilecta, juin 2017, 192 pages, 28 euros, ean : 9782373720266.

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