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La Dimension du sens que nous sommes

essais

THE WIRE : FUCK BALTIMORE, FUCK LES EXPERTS, FUCK LA SOCIETE…

5 Janvier 2012 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

the-wire-essai.jpgDes universitaires français se sont toqués pour la série américaine diffusée par Canal Jimmy en 2004. Un engouement qui nous vaut un ouvrage étonnant, ne proposant aucune synthèse d’ensemble mais désarticulant au contraire la perspective que l’on aurait aimé avoir sur la série. Chaque contributeur est ainsi appelé à présenter les principaux personnages comme bon lui semble, traitant à sa guise les grandes lignes de la série et pour compliquer le tout, chacun ne s’affairant que de sa saison sans l’articuler aux autres, le plus souvent dans une approche formelle de l’esthétique mise en place par le réalisateur, au risque de rejeter l’explication socio-politique aux calendes et cela, bien que la série soit clairement identifiée ici comme l’une des plus incroyables qui ait jamais été proposées, composant littéralement la diagnose du monde dans lequel nous vivons. Mais une diagnose syncopée, détraquée elle-même, que chaque essayiste saisit comme il le peut, sans éviter les divergences avec les autres contributeurs, exhibant même à loisir sa différence d’interprétation, voire les contradictions qui aboutissent au fond à nous présenter six versions de The Wire… Fuck le savoir, la science, l’unité d’un texte qui prétendrait surplomber cet étrange objet télévisuel !

saison-1-episode-4.jpgLa saison 1 est d’ailleurs tout entière appréhendée sous cet angle. Fuck Baltimore. L’une des villes les plus riches des Etats-Unis. Où rôde la plus sauvage misère. Baltimore où s’ouvre la boîte de pandore : un meurtre vieux de six mois. Caméra à l’épaule, documentaire. Le dossier de police mentionne un certain Dee, neveu d’Avon Barksdale. Deux inspecteurs lui colle aux fesses, bien que le crime ait été perpétré en dehors du périmètre de leur juridiction. D’où la nécessité de monter une équipe spéciale pour cette opération très spéciale. Episode 4, saison 1. La scène est médusante. Aphone. Lourde de son silence. Au-delà de tout ce que les séries savent faire. La reconstitution, théâtrale : The Wire n’est pas une série d’enquête policière. Fuck les Experts, si prévisibles. Mais c’est aussi le Fuck des flics sur la scène de crime, disant l’ennui d’être là, la déception d’une piste qui mène à l’impasse, l’horreur d’un théâtre urbain aussi parfaitement compulsif.

Les flics enquêtent sur un réseau de trafic de drogue dirigé par Avon Barksdale et son bras droit, Stringer Bell. Intouchables. Fuck. On en compte pas moins de 66 dans l’épisode. Dédaigneurs ou vengeurs. Dans un spectacle parodique de tout l’univers du polar américain. Un Fuck adressé en somme à tout ce que la série ne veut pas être, de FBI porté disparu aux Experts. Refusant leur narrations naïves. Fuck le show des fictions, marmonné par des comédiens trouant de part en part leur personnage sous la pression de l’odieux qu’ils doivent animer.

thewireCar The Wire refuse la fiction plus encore que les habitudes de la fiction policière, et fait de son refus un effet. Fuck. Une grande série ironique donc, cabotine peut-être. Entre le plain-pied documentaire, le reportage et l’épaisseur de l’esthétique télévisuelle. Une série difficile à suivre par le nombre de ses personnages, de ses intrigues, dont elle ne cesse de ré-élaborer les effets dans le temps, cultivant à l’envi sa volontaire illisibilité –mais le monde n’est-il pas comme ça, après tout ?

Et pourtant The Wire ne cesse de dresser le portrait d’une vraie ville, Baltimore, pour y démonter les rouages du politique, du social. Une diagnose, oui : celle d’un monde en perdition, le nôtre, de plus en plus brutal, de plus en plus cynique, corrompu au-delà de tout ce qu’il est possible d’imaginer, et où la soif de justice a définitivement tourné court. Et cela sans démonstration, dans un fonctionnement narratif qui est pourtant celui du journalisme, s’efforçant de restaurer ainsi, dans la fiction télévisuelle, ce que nous avons perdu dans la réalité de la Polis : la question du vrai. Narrer le vrai. Restaurer le royaume de l’information, tellement biaisé désormais, factice dans ces médias qui n’ont eu de cesse de nous tromper, de nous leurrer, de nous aliéner à l’encan du profit. The Wire ? Une machine à fabriquer de la bonne télévision en somme. Mais une série qui fracture la structure du savoir, montrant plus qu’elle ne démontre par des artifices conceptuels, que le savoir est nécessaire et impossible tout à la fois, disponible et inutilisable désormais. Une série animée de la volonté de dire le politique aujourd’hui, au sein duquel la chaîne de commandement somme de se détourner de toute exigence de Vérité. The Wire est ainsi une fable à la recherche d’une morale introuvable –plus introuvable encore que ne le serait ce fameux Peuple passé il y a peu pour pertes et profits par la classe politique, en attendant que son retour ne nous submerge ici et là. --joël jégouzo--.

 

The Wire, reconstitution collective, sous la direction d’Emmanuel Burdeau et Nicolas Vieillescazes, éd. Les Prairies ordinaires / Capicci, sept. 2011, 174 pages, 16 euros, ean : 978-2-35096-004-3.

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OTTO GROSS : PSYCHANALYSE ET REVOLUTION

19 Décembre 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

Otto.jpg"La psychologie de l’inconscient est la philosophie de la révolution", affirmait le plus tranquillement du monde Otto Gross, l’enfant terrible des pères fondateurs de la psychanalyse viennoise. La psychanalyse, école de la Révolution ? Mais alors : permanente. Presque au sens où un trotskiste saurait l’entendre : Otto Gross était persuadé que toute l’éducation reposait non seulement sur le refoulement, mais sur la soumission des passions, et que ce refoulement était le produit d’un système culturel qu’il fallait d’abord déconstruire si l’on voulait permettre aux individus de libérer en eux l’éros créateur. Il fallait d’abord changer le monde si on voulait changer l’homme. Mais pour y parvenir, il fallait former des caractères anti-autoritaires capables de mettre à bas les structures répressives de la société patriarcale. Pour ce faire, il existait au sens d’Otto Gross deux alliés de premier plan : les femmes tout d’abord, sur qui s’abattait la plus forte répression sexuelle de la société, et les enfants. Les femmes, c’était annoncer là tout le programme de la gauche freudienne des années à venir, qui vit dans la montée en puissance du combat des femmes pour leur émancipation la possibilité concrète d’une révolution non seulement sexuelle, mais sociale.

Les enfants, parce que pour Otto Gross, le vrai problème n’était pas d’ordre sexuel, mais subjectif : la solitude était le vrai lieu de l’aliénation humaine. Parce que l’enfant est tout entier tournée vers la demande de contact, tant physique que psychique, qui le place dans une situation de dépendance totale vis-à-vis d’autrui, la solitude devenait le vrai obstacle à son épanouissement. En elle s’enracinaient toutes les angoisses névrotiques à venir, qui verraient la pulsion du moi se retourner contre elle si rien ne venait lui barrer la route. La sexualité même de l’enfant soumis à la terreur de la solitude pouvait s’égarer dans l’acceptation du chantage affectif, dont la demande morbide pouvait ainsi le conduire à adopter des réponses masochistes, ou sadiques lorsque cette angoisse rencontrait sur son chemin la volonté de puissance. Malades d’une société qui isole, nos enfants oscillaient ainsi fatalement entre masochisme et sadisme. Otto Gross devait non pas en faire la démonstration magistrale, mais l’étude intelligente au travers de ses recherches sur le masochisme féminin. Malades de la société… On voit se profiler là les thèses de Rousseau, Otto Gross les réactualisant pour dessiner assez étrangement les contours d’un âge d’or de l’humanité, situé dans la préhistoire humaine et les vertus d’une sorte de communisme primitif, le conflit intérieur, propre à chacun, s’énonçant finalement comme celui entre l’inné et l’acquis…

Cela dit et malgré cette réserve, on lui doit de superbes pages sur le sens de l’éducation à offrir aux enfants : "L’amour doit être prodigué à l’enfant absolument sans condition et sans aucun lien, même en apparence, avec une exigence de quelque ordre qu’elle soit, comme une pure approbation de l’individualité pour elle-même dans toute son originalité naissante". --joël jégouzo--.

 

Psychanalyse et révolution, Otto Gross, traduit de l’allemand par Jeanne Etoré, préface de Jacques Le Rider, éd. du Sandre, août 2011, 230 pages, 22 euros, ean : 978-2-35821-061-4.

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CYRULNIK, ONFRAY ETLA PSCHYCANALYSE

16 Décembre 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

cyrulnik.jpgEtrange échange entre Boris Cyrulnik et Michel Onfray, dans une langue si peu académique. Le ton est léger, presque badin, à micro ouvert devant une salle conquise. Rien de châtié, un témoignage enjambant l’autre, Boris Cyrulnik racontant son entrée en psychanalyse, distillant des souvenirs parfois truculents, les aventures de la psychanalyse en France, à l’époque où elle cherchait à s’inscrire comme discipline plutôt que mouvement, peut-être à tort, songe Cyrulnik. Un Cyrulnik défendant tout de même au plus près de son vécu la psychanalyse, même si elle ne peut se targuer d’être une science, et Freud dans la foulée, malgré ses errements. Les sciences ne démarrent-elles pas toujours dans l’incertitude et dans la tricherie ? On arrondit les angles, on arrange, on exclue des publications ce qui gêne la démonstration… Cyrulnik se fait volontiers taquin à dévoiler les origines éthologiques de la psychanalyse, avant de parcourir avec malice la bibliothèque de Freud, pleine d’ouvrages philosophiques, Schopenhauer à l’évidence, annoté, Freud récupérant le concept d’inconscient de ses lectures, et quand même bien ? Un Cyrulnik décrivant l’histoire de la psychanalyse comme celle d’une passion dont ses acteurs ne se seraient jamais lassés. Ni son public, dès le départ au demeurant, Freud connaissant un succès immédiat et bâtissant ensuite la légende de l’adversité.

Au terme de l’échange, il reste les interventions passionnées de Cyrulnik, livrant presque ici une sorte d’autobiographie parlée. Un Cyrulnik moqueur des dérives que la psychanalyse aura connu, mais soucieux d’en affirmer l’efficacité. Ne serait-elle qu’un mythe, cela suffirait affirme-t-il : elle est à notre mesure et soigne, même si l’on ne sait pas comment. La cure ? une aventure. Une foi si l’on veut à l’entendre, une croyance peut-être, mais on peut guérir d’une dépression. Un changement de représentation de soi peut s’opérer dans cette élaboration qui s’organise lentement autour du tiers analysant. Et qu’importe que ce travail de la cure ne concerne que de très loin celui de la théorie. Elle soigne, rétorque Michel Onfray, à la manière d’un ex-voto confié à quelque chapelle obscure. Mais peut-être moins, croit-on percevoir dans ce discours, que ne le faisait la philosophie de l’Antiquité grecque, que Michel Onfray, dangereusement, définit comme une thérapie. Parce qu’elle produit un discours sur le monde et sur l’homme, et que ce discours peut déclencher de vraie crise de représentation, il ouvre au possible de la conversion. Mais une étrange conversion dans son propos, qui fonde la vie philosophique sur la droiture morale construite en point de fuite à la vision philosophique… "La philosophie n’est pas faite pour les philosophes, elle est faite pour les gens qui veulent construire une existence, qui veulent une existence droite"… (souligné par moi). Quid alors des cyniques grecs, qui se seraient faits  volontiers plus chiens encore à l’attendu de ce discours ? Quid de l’école de Platon, si élitiste et si rétive à ce partage du sens philosophique ? Que notre culture ait besoin de psychanalyse, voilà qui nous mettra d’accord avec Cyrulnik. Parce que les lieux où l’on ne sait plus parler, où l’on parle avec difficulté, ceux de la famille en particulier, ont ouvert une béance dans notre relation à nous-même. Et qu’importe, conclue cyrulnik, si une partie de la psychanalyse peut devenir scientifique, alors qu’une autre n’a pas besoin de science pour fonctionner : " c’est avec des récitations partagées qu’on fait de la culture ", la psychanalyse en est l'écho.  --joël jégouzo--.

 

CYRULNIK - ONFRAY / DEFENSE ET CRITIQUE DE LA PSYCHANALYSE, BORIS CYRULNIK - MICHEL ONFRAY, Direction artistique : Lola Caul-Futy Frémeaux, Label : FREMEAUX & ASSOCIES, 2 CD-rom.

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QUE DIT L’ŒUVRE DE FREUD SUR LE PLAN DES IDEES ? (LUC FERRY)

15 Décembre 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

freud-ferry.jpgC’est sous l’angle de la conception que Freud se fait de la condition humaine et non sous celui de l’étiologie des maladies mentale, que Luc ferry entreprend de comprendre et d’expliquer l’œuvre de Freud. Approche de philosophe donc, contournant les difficultés d’un affrontement à la validité scientifique de l’œuvre, tout comme renonçant à chercher dans l’auteur les raisons de sa démarche. Raisons judicieusement écartées, à l’inverse de Michel Onfray, publié par le même éditeur (Frémeaux), qui s’était ingénié à passer par la biographie pour expliquer l’œuvre, construisant une lecture généalogique souvent douteuse. Car après tout, que Freud ait couché avec sa belle-sœur ne nous dit rien du fond de sa pensée…

Au demeurant, la méthode généalogiste, comme le rappelle intelligemment Luc ferry, n’a jamais réussi à démontrer quoi que ce soit : prétendant bâtir sa légitimité de ce que tout discours ne soit qu’un masque, elle n’est à tout prendre qu’un masque supplémentaire ajouté à ceux qu’elle validait.

Luc Ferry donc, au rebours de Michel Onfray, ne mâche pas ses compliments à l’égard de Freud. Il voit même dans son Introduction à la Psychanalyse un chef-d’œuvre de profondeur philosophique et de pédagogie scientifique.

Dans ce chef-d’œuvre, c’est moins la théorie de l’inconscient dynamique qui le retient, partagée en effet par nombre de contemporains de Freud et devancée par non moins autant de penseurs avant lui, que sa construction des trois instances de la personnalité humaine, à son sens vraie description de notre condition, tragique par excellence dans les convictions de Freud. Au passage, Ferry égratigne encore Onfray en récusant ses réductions de la libido freudienne à la génitalité, le coup de génie de Freud ayant été de décrire la libido dans son développement temporel, ici étonnamment expliqué à travers la métaphore de la migration des peuples : tout au long de son périple, un peuple en migration ne laisse pas que de s’égarer même s’il se reprend continuellement, et en chemin, d’abandonner sur le bord de sa route comme des points de fixation (le stade oral, le stade anal, etc. …) auxquels une partie de la libido va se corréler et vers lesquels le sujet, à l’occasion de l’une ou l’autre des difficultés qu’il pourra rencontrer dans sa vie, s’il ne peut la surmonter, reviendra se fixer, comme dans une régression vers un lieu connu, jouissif, où vivre l’illusion d’un plaisir protecteur.

freud.jpgPhilosophe, Luc Ferry relève aussi le défi de penser le sens du vrai en psychanalyse, argumentant ici son approche en l’appuyant sur les deux fondements métaphysiques de la notion de vérité, pour conclure que la psychanalyse si, à l’évidence, ne peut être considérée comme une science exacte, n’en est pas pour autant une métaphysique. Elle ne l’est pas au sens où, par exemple, la vérité se conçoit dans la métaphysique comme adéquation entre la chose et le jugement, bien que l’on puisse déduire de l’autre sens dévolu par la métaphysique à la notion de vérité comme a-léthéia, dans laquelle la dimension du temps entre avec force, un horizon où articuler la question du vrai en psychanalyse : la temporalité de l’analyse induit en effet l’idée d’une part qu’il ne peut y avoir de dévoilement sans la venue en présence du temps et que d’autre part, et parce qu’il ne peut y avoir de savoir absolu, l’analyste n’est pas placé dans la situation de révéler une vérité quelconque sur l’être, mais de placer une interprétation révélante. L’être n’étant pas un prédicat du concept, et parce que nous ne serons jamais dans la parfaite adéquation avec nous-même, aucun discours ne pouvant se clore dans un discours achevé, le tirer au clair de la cure ne peut fonctionner que comme une entrée en analyse, au creux de laquelle la guérison ne peut être perçue que comme un idéal régulateur.

Balayant enfin la fortune de la psychanalyse après Freud, balayage largement consacré au décryptage des discours de Lacan, Luc Ferry revient heureusement aux différences qui fondent les écarts entre le discours de la psychanalyse et celui de la philosophie. La philosophie grecque tentait de prendre soin de l’âme, non des âmes en particulier. Un soin articulé à celui de la pensée, du jugement. Un soin tentant de fonder une réflexion sur le sens et les dimensions de la Vie Bonne, mais à la différence de la psychanalyse, un soin qui n’était pas consacré aux âmes, en ce sens que la psychanalyse, elle, lutte contre des angoisses pathologiques qui naissent de conflits psychiques. Et si les philosophes semblent eux aussi s’occuper de certaines de nos angoisses, c’est exclusivement dans leur dimension métaphysique, comme dans la question de la finitude de l’existence humaine. Une angoisse, certes, mais qui n’est en rien pathologique, même si elle peut s’actualiser dans une angoisse psychologique. --joël jégouzo--.

 

  

SIGMUND FREUD, UN COURS PARTICULIER DE LUC FERRY, LA PENSÉE PHILOSOPHIQUE EXPLIQUÉE, LUC FERRY, Direction artistique : CLAUDE COLOMBINI FREMEAUX, Label : FREMEAUX & ASSOCIES, 3 CD

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ONFRAY : LA PSYCHANALYSE N’EST PAS UNE SCIENCE…

14 Décembre 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

onfray-freud.jpgMichel Onfray déplorait que Freud n’ait pas enfermé son inconscient dans une définition formaliste. Il dénonçait aussi les maladresses de Freud : ce dernier avait cherché, cru trouvé, s’était repris, etc. Mais à vrai dire, il n’y avait là rien de bien nouveau pour le milieu scientifique, où la bonne compréhension n’est jamais l’état naturel dans lequel se trouve le chercheur à l’orée de vérifier ses hypothèses. En outre, du point de vue de la conscience historique, il paraît aujourd’hui difficile d’en faire le reproche à Freud : nous ne sommes plus au XVIIIème siècle, qui se plaisait à construire des systèmes rationnels auxquels prêter une validité universelle. Un Dilthey en avait déjà ruiné l’illusion : les notions de causalité ne sont guère que des résidus d’abstraction. Et si l’univers n’est pensable, ce n’est pas parce qu’il serait essentiellement raison, mais bien plutôt parce que nous lui cherchons des raisons d’être ce qu’il est. Raisons qu’il n’est enfin pas si aisée d’établir : les catégories de cause ne sont jamais totalement claires à l’intelligence. Ainsi, la validité des déductions logico-mathématiques doit-elle être proposée avec humilité, une instance non rationnelle se trouvant toujours dissimulée dans le concept de rationalité, ainsi que l’avait démontré Heidegger.

Reste à savoir si la psychanalyse est ou peut devenir une science… Non au sens des mathématiques, mais à celui des sciences de la nature, qui s’appuient sur un raisonnement par induction, l’observation, dont on essaie de tirer quelques lois plus générales. De ce point de vue, l’objection de Hume pourrait paraître pertinente, pour qui toute science était une croyance, dans la mesure où elle se fondait sur une expérience qu’elle prétendait ensuite généraliser. Karl Popper, on le sait, avait brillamment contourné l’aporie : le but de la science, énonçait-il, est de faire des hypothèses qu’on essaie ensuite de vérifier et, surtout, de réfuter -ou falsifier plutôt : la falsification ouvre la possibilité de conclusions valant certitudes. Dans ce système de pensée, on le voit, une dissymétrie s'incise entre la certitude qui porte sur la vérité et celle qui porte sur l’erreur : cette dernière est totale. Mettre en place un système de falsification est ainsi constitutif de la vraie démarche scientifique.

freud-2-.jpgOr la psychanalyse n’est pas falsifiable : elle génère toujours des hypothèses ad-hoc a posteriori pour contourner une difficulté, rajoutées ensuite à la théorie pour la vacciner. Comme le suggère Onfray, oui, la psychanalyse a raison à tous les coups. Ce qui la condamne aux yeux d’un Popper, ou du moins, ce qui prouve qu’avec la psychanalyse on n’a pas affaire à une théorie scientifique. Pour autant, cela ne veut pas dire que la psychanalyse soit sans fondement théoriques possibles. Car à ce titre, l’économie également ne serait qu’une métaphysique… Or tout comme dans le cas de l’économie, une grande part des énoncés psychanalytiques ne peuvent être totalement soustraits de leur poids et de leur efficacité. La seule conclusion à tirer, c’est qu’il faut garder une certaine prudence vis-à-vis des énoncés psychanalytiques. Les neurosciences par exemple, ont permis de relativiser les études de Freud sur le lapsus. Mais non de les passer par pertes et profits.

Quant au transcendantalisme de Michel Onfray, qui se complaît à chercher un bruit lointain dans la raison du devenir freudien, pour le dire en employant une image propre au vocabulaire des astrophysiciens, il n’est pas non plus exclu qu’il n’ait quelques raisons de le faire : l’universalisation du modèle psychanalytique répond peut-être à un besoin humain profond dont on aurait sans doute intérêt à comprendre pourquoi il fonctionne sur ce mode et sous ce modèle, plutôt que sous celui de la Tragédie grecque par exemple, ou du discours philosophique. Pour le dire autrement : pourquoi, par exemple, vaut-il mieux que la psychanalyse soit une thérapie, plutôt que la philosophie ? --joël jégouzo--.

 

 

CONTRE HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE VOL 15 et VOL 16, FREUD (1) et (2) PAR MICHEL ONFRAY, Direction artistique : PATRICK FREMEAUX

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PLATON, PERIPATETICIEN DEGRISE (SLOTERDIJK)

13 Décembre 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

Academie-Platon.jpgDans son dernier ouvrage, Sloterdijk ne cache pas les affinités quasi existentielles qu’il entretient avec la pensée de Platon. Un Platon très singulièrement recouvré en réalité, celui dont on il croit devoir ré-avancer que les procédures de pensée sont au fond très proches de celle de la psychanalyse et qu’elles pourraient nous être très utiles aujourd’hui, ne serait-ce que dans la convocation des scènes primitives qui en traversent le théâtre. Tout le monde a en effet à l’esprit le mythe de la caverne de Platon, avec au delà du dispositif, la douloureuse révélation pour l’être humain de devoir toujours compter en toute chose avec un supplément d’obscurité. Car si Platon avait assigné pour tâche à la philosophie d’éclairer la pénombre dans laquelle nous vivons, du moins avait-il aussi consigné la tragédie de ne pouvoir faire mieux qu’éclairer faiblement cette scène sans parvenir jamais à l’éclairer tout à fait. Il nous resterait en somme l’ivresse sobre du philosophe platonicien, cette lucidité critique qui ne cesse de nous conduire de déconvenue en désenchantement, instillant de la lumière, certes, mais comme venue d’un ailleurs inaccessible et fournissant ainsi les arguments au dégoût de la philosophie elle-même, tout comme de l’homme à lui-même –ce même dégoût central dans toutes les doctrines fascistes…

Rien d’étonnant alors à ce que Sloterdijk parle de l’école platonicienne comme celle d’une pédagogie de la distinction. Rien d’étonnant à ce qu’il décrive le projet originel de la philosophie non comme celui d’éduquer mais celui de fabriquer de la distinction entre les êtres. Et qu’il nous décrive la philosophie non comme une source de savoir, mais de conversion. Une conversion au dégrisement : après Platon, que vaudrait la pensée philosophique ? Des bibliothèques de plus en plus nombreuses, certes, mais pas d’illumination. Il faudrait alors, nécessairement, en revenir à Platon qui se tient sur le seuil, entre l’oral et l’écrit, entre la poétique et la poésie, pour évaluer ces certitudes supplémentaires que la philosophie nous aurait apportées, sans aucun savoir nouveau pour les soutenir. Il faudrait recommencer à penser. Depuis Platon. Avec Platon. En disciples. Dégrisés enfin, pour ne pas recouvrir de nos voix bêlantes l'étalage des planètes... --joël jégouzo--.

 

Tempéraments philosophiques : de Platon à Michel Foucault, de Peter Sloterdijk, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, Libella-Maren Sell Editions, Collection : ESS.DOCUM, nov. 2011, 155 pages, 18 euros, ean : 978-2355800283.

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CULTURE : L’ECLECTISME, NOUVELLE ARME DE DISTINCTION SOCIALE…

3 Décembre 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

distinction-3.jpgSoyez éclectique, ou vous ne serez pas…

Dans le prolongement des études de Bourdieu et Pastoureau, Philippe Coulangeon a cherché à comprendre ce que devenait leur fameuse Distinction et quelles en étaient les formes aujourd’hui. Un essai qui ouvre à une réalité plus complexe qu’on ne saurait l’imaginer, où la France de Sarkozy, si méprisante de la culture, aura joué le rôle d’allié "objectif" de la culture populaire enfermée dans la condescendance des cultures savantes… C’est donc d’abord dans le divorce entre les élites de savoir et les élites de pouvoir que l’auteur a cherché à inscrire la compréhension de cette collusion pour le moins inattendue. Un divorce entériné par l’attitude du plus inculte des présidents de la Vème République, emblématique du triomphe de la culture de l’argent, annoncé sans bruit une décennie plus tôt par la montée en puissance des bobos.

Cette culture si ouvertement anti-intellectualiste, partagée par les nouvelles élites financières, aura en effet contribué à brouiller davantage les repères, aidant à l’éclatement des normes de la validité culturelle et ouvrant à la possibilité d’une pluralité des échelles d’excellence, à laquelle la culture populaire avait, elle, autrement préparé le terrain.

L’éclectisme triompherait ainsi, promu négativement par l’anti-culture des cercles du pouvoir actuel et positivement par les contre-cultures de la rue, ennemies de ce même pouvoir… L’éclectisme triompherait et serait le nouveau deal de la légitimité culturelle. Mais attention : un deal qui continue cependant de s’inscrire à l’intérieur des espaces symboliques scarifiés entre les classes, à l’intérieur de hiérarchies culturelles qui, elles, non seulement subsistent mais se renforcent. Les enquêtes sur les pratiques culturelles des français le montrent à l’envi : les écarts dans les structures de consommation des postes "loisirs et culture" se sont creusés, et sont plus importants en 2006 qu’ils ne l’étaient en 1979 ! Se renforcent et se spécifient : dans tous les groupes sociaux, à l’exception des cadres supérieurs, les taux de non-fréquentation des équipements culturels s’accroissent.

vitry05.jpgEt si les formes anciennes de la légitimité dans l’espace des pratiques culturelles paraissent perdre de leur valeur distinctive, au profit de nouveaux opérateurs de la domination symbolique tel que l’éclectisme, cet éclectisme n’est pour autant pas celui de la relativité du goût de tout le monde, la légitimité ne pouvant décidément se poser en ces termes. Non : le "profit de distinction" va aux personnes qui manifestent cet "éclectisme" à l’intérieur d’un bon goût dont le périmètre est prescrit exclusivement par les cadres supérieurs et leurs ordonnances. Alors cet éclectisme peut bien s’enticher du "mauvais goût" des classes inférieures, exhibé avec drôlerie, on le voit, il traduit moins une ouverture qu’une forme nouvelle de domination. Indigénant le Kitsch de la culture de masse, le cadre supérieur sait, mieux que les masses, juger de sa valeur culturelle. Là s’arrête aussi l’impact du sarkozysme sur la notion du Beau. Lui est vulgaire. Quant à la rue, elle le redevient tout aussi vite dans la pensée de nos élites. On l’observe par exemple à la faveur de l’entrée dans les musées des arts de la rue, celui des graphes par exemple : celui qui classe se tient à l’intérieur du musée, à l’intérieur de l’institution légitimante, non dans la rue. Et il classe d’une main sûre, produisant en retour un effet de déroute en légitimant telle forme au détriment de telles autres, jusqu’à remodeler les canons d’une expression qui n’a bientôt plus rien de populaire. --joël jégouzo--

 

Philippe Coulangeon, Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d'aujourd'hui, Paris, Grasset, coll. " Mondes vécus ", 2011, 168 pages, 15 euros, ean : 978-2246769712.

Photos : D-nozor. Vitry-sur-Seine (près du RER des Ardoines).

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LE POILU ET LA BROSSE A DENTS…

13 Novembre 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

praticiens-art-dentaire.jpgCe n’est qu’en 1892, par la création d’un diplôme officiel, qu’est apparu le mérier de dentiste professionnel. Mais jusqu’au début de la guerre, en 1914, ces nouveaux spécialistes formés par la médecine, resteront en concurrence avec les arracheurs de dents, qui soignent en public sur les places des villes et villages, qu’une foule hilare envahit chaque fois comme au spectacle, pour se réjouir de la souffrance de leurs clients…
En 1918, enfin, le charlatan a disparu : ici encore, la guerre nous a apporté le progrès… Après la défaite de 1870-71, en effet, les analyses de l’Etat-major français avaient révélés deux facteurs de vulnérabilité des armées : la dysenterie et les maux de dents, qui avaient singulièrement décimés leurs troupes. On ne voulut point, en 1914, subir de nouveau pareille mésaventure militaire… Il fallait donc élaborer un système de soins assez efficace pour mettre les soldats à l’abri de ces maux. Une grande campagne d’éducation hygiénique fut mise en place. Pour gagner la guerre, brossez-vous les dents… Pour la première fois, des brosses à dents et du dentifrice furent distribués en masse aux soldats français. Des cours leur furent donnés, au petit matin, les troupes joyeuses mâchaient leur dentifrice. Les progrès ne furent certes pas immédiats : les enquêtes du service de l’hygiène des armées se désolèrent longtemps de l’emploi que les poilus eurent tôt fait de trouver aux ustensiles qui leur étaient confiés : la brosse à dents n’avait pas son équivalent pour le nettoyage des fusils...
L’essentiel était tout de même de lancer une dynamique : la médecine savait désormais garder les hommes en bonne santé et les retaper, presque tout organe affecté était devenu soignable. L’Etat prenait même en charge la fabrication massive de prothèses dentaires…
Accessoirement, cela voulait dire que les êtres humains savaient désormais contrôler la douleur au lieu de la subir. Mais une fois cette toute puissance acquise, de nouvelles responsabilités apparurent, installant un apport trouble entre le médecin et son patient : la douleur n’appartenait plus à l’ordre de la providence. Souffrir devenait intolérable et le malade, remis entre les mains du médecin, se chargeait d’une attente nouvelle : ne plus jamais avoir mal, pas un jour, pas une minute. Mais comment faire confiance aux dentistes, qui ne savaient toujours pas éviter la douleur à leurs patients ? –joël jégouzo--.
 
Autour de Hortense à dit je m’en fous, de Feydeau, Joël Jégouzo, Annette Geiger, éd. Intelligere, Paris, 1999, isbn : 978-2-91106008, épuisé.
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Du Hortense de Feydeau à la guerre de 14-18…

12 Novembre 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

couv-hortense---copie.jpgHortense est la dernière pièce écrite par Feydeau, en 1916. Elle s’ouvre et se referme sur les borborygmes de Vildamour : dans ce gargouillis verbal, c’est tout le langage du vieux monde qui s’effondre.. Un siècle court à la rencontre d’un autre, Feydeau en prend acte, s’en détourne et puis se tait, définitivement. Or tout cela, il a l’intelligence de nous l’offrir comme sans y prendre garde. La force de son rire se joue de tout, du siècle qui s’efface comme de sa propre fin personnelle.
Dans Hortense a dit je m’en fous, deux systèmes de pensée s’affrontent, inconciliables : celui du dentiste Follebraguet et celui de Marcelle,sa femme. Et la ligne de front qui les sépare trace moins les contours d’une farce conjugale que ceux d’une faille dans laquelle tout le XIXème siècle se voit précipité avec la guerre de 14-18. Follbraguet ne comprend plus ce qu’on attend de lui : l’honneur qu’on lui commande de défendre ne se recommande plus à ses yeux que comme sottise…
Lors de la création d’Hortense, en 1916, la guerre contre l’Allemagne entre dans sa phase la plus cruelle : sa machinerie atteint une efficacité qui rompt de manière radicale avec toute la conception traditionnelle de la guerre. Un nouveau genre d’affrontement, hautement technicisé –artillerie lourde, gaz, mitrailleuse-, réussit à décimer des bataillons entiers, français ou allemands, dans des dimensions jamais connues, et cela sans qu’aucun terrain ne soit gagné, ni perdu. Pour l’opinion publique, la guerre est devenue non seulement inhumaine, mais absurde. Les journaux des tranchées, écrits par les soldats eux-mêmes et diffusés au front avec les moyens du bord, reflètent cette chute du moral des troupes. La propagande de l’arrière, même lorsqu’elle fonctionne sur la dénonciation des atrocités commises par l’ennemi, s’abat sur des oreilles sourdes : le sauve-qui-peut a fait place aux sentiments patriotiques. L’ennemi, au fond, ce n’est plus le soldat d’en face, c’est la machine, sinon ces technocrates qui, à l’état-major, scellent leur sort. La crise de confiance est alors double : elle ne s’arrête pas à remettre en question les stratégies de l’état-major, elle interroge tout le système de valeurs qui cimentaient la société d’hier. Le "il faut" rencontre désormais sur sa route l’obstacle d’un "je m’en fous" désabusé. --joël jégouzo--.
 

Autour de Hortense à dit je m’en fous, de Feydeau, Joël Jégouzo, Annette Geiger, éd. Intelligere, Paris, 1999, isbn : 978-2-91106008, épuisé.

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LA FRANCE EST GROTESQUE VUE DE L’ETRANGER…

7 Novembre 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais

vieux-nouveau.jpgUn portrait au vitriol par l’historien britannique Perry Anderson…

 

 

La Vème République ? L’image même d’un pays dévasté, à la croissance atone, d’un pays en voie de paupérisation, souffrant d’un chômage de masse endémique mais se voilant la face sous les injonctions d’un système politique corrompu, méprisable, orchestré par une Assemblée Nationale qui passe pour le parlement le plus faible du monde occidental, et ressemble de plus en plus à cette chambre d’écho du Premier Empire qui ne cessait d’œuvrer à la violation de l’égalité des droits des citoyens…

La Vème République ? Une Constitution à l’agonie, encrassée par une culture politique cynique, une politique étrangère qui n’est plus que la parodie grimaçante du gaullisme, à la solde des vrais puissants de ce monde.

La France, examine Perry Anderson, est un pays sans éclats ou plutôt, dont les seuls chatoiements sont ceux, clinquants, des grands travaux dispendieux salués par une scène artistique stipendiée, des écrivains rutilants, des philosophes salonards.

La France offre ainsi à ses yeux la vision d’un pays qui n’a cessé de s’appauvrir politiquement et intellectuellement, pour camper désormais dans un abêtissement sans pareil, gavé de corruption intellectuelle, financière et politique.

Sa presse ? Elle a sombré dans les pratiques incestueuses du renvoi d’ascenseur. Prenez Le Monde, cette feuille conformiste, étriquée, épuisée par ses flagorneries, ses vendettas politiques et qui n’a cessé, dans ses pages culturelles, de multiplier les échanges de faveurs…

Complicités, servilités, les intellectuels français ont perdu tout prestige, toute envergure. Voyez comment BHL a fini par confisquer, avec Finky et Onfray, la vie intellectuelle du pays, l’engageant dans une inversion sans pareille des critères de goût et d’intelligence. "Verrait-on fleurir pareil grotesque dans une autre des grandes cultures occidentales aujourd’hui ?", nous demande Perry Anderson… Assurément, non…

Et que dire de la littérature française, où trône Houellebecq en Baudelaire des supermarchés, l’auteur par qui les lecteurs français aiment le mieux être choqués, déployant son épate à coups de phrases plates et monotones, reflétant certes à la perfection ce monde français démoralisé. Houellebecq et sa poésie de mirliton, servie par une critique littéraire nationale qui relève de la réclame. Aucun équivalent dans le monde libre. Une critique à mille lieux de celle du Time Literary Supplement, ou de la rigueur de Die Zeit. Jetez juste un œil sur ce que sont devenus les Cahiers du cinéma, vendus au merchandising façon Elle, et vous comprendrez que même le cinéma français ne soit justiciable que du très sirupeux Amélie Poulain.

Mais le plus passionnant de la charge de Perry Anderson, c’est ce qu’elle pointe au niveau des raisons d’un tel affaissement. D’où vient-il donc ? De la conversion massive des élites françaises au néo-libéralisme, affirme-t-il. Cela dès 1983, quand Mitterrand tourna le dos au socialisme. Dans aucun pays du monde occidental, affirme Perry Anderson, l’idéologie néo-libérale n’a connu un tel succès. En masse, la génération 68, qui est celle qui a le moins fait bouger les choses sociologiquement, n’aura cessé de se renier et de se vautrer dans son provincialisme intellectuel, pour produire in fine des intellectuels de gouvernement, des artistes de gouvernement, des hebdos de gouvernement, "national" serions-nous tenté de dire avec Todd, dans une France qui s’achemine lentement vers un ordre ethnicisé, au creux duquel une majorité blanche post-chrétienne fonde son identité sur l’hostilité à la minorité immigrée. Une France stipendiée, de laquelle s’est retirée ce genre de sensibilité culturelle dotée d’un vrai caractère politique incisif, qui forme ailleurs le contrepoids nécessaire à l’idéologie néo-libérale. --joël jégouzo--.

 

Le Nouveau Vieux Monde, sur le destin d’un auxiliaire de l’ordre américain, Perry Anderson, traduit d el’anglais par Cécile Arnaud, éd. Agone, coll. Contre-feux, octobre 2011, 738 pages, 30 euros, ean : 978-2-7489-0143-6.

 

 

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