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8 avril 2010 4 08 /04 /avril /2010 08:14

cite-riviere.jpgAu fond, une petite histoire du peuple de Shanghai.

Ou de cette fameuse Cité de la Poussière Rouge qui traversa les âges, résistant aux Empereurs, à la dictature du Prolétariat, à la Chine néo-capitaliste d’aujourd’hui.

De ces constructions dont on ne sait si elles sont le produit du peuple qui les habite ou le contraire, tant leur extravagante structure paraît douée d’une logique propre à organiser hardiment sa destinée. Un peuple hétéroclite quoi qu’il en soit, riche justement de la diversité qui le traverse, et le féconde, le recomposant dans une identité tout à la fois multiple et unique, unanimement tenace au final, opiniâtre et roué. De ces peuples qui ont su résister à tout en s’adaptant à tout.

Une petite histoire populaire raconté par l’écrivain chinois Qiu Xialong, lequel, à l’image de cette fantastique plasticité des habitants de la Cité, fut d’abord interdit d’école sous la Révolution Culturelle, avant de soutenir une thèse sur T.S. Eliot et partir aux Etats-Unis poursuivre ses recherches.
Une histoire éparpillée en nouvelles établies selon un ordre chronologique, de 49 à nos jours, organisant les moments clefs tout à la fois de la Cité et de l’Histoire chinoise du XXème siècle.

Et dès 49 l’on découvre la force d’inertie de cette Cité dont les nationalistes voulurent faire, avec Shanghai, une Stalingrad orientale. Le tournant qui allait les sauver, pensaient-ils. Mais rien ne put venir à bout de l’incrédulité des habitants de la cité et les nationalistes durent s’enfuirent, tandis que le narrateur passait à côté de l’Histoire, terré sous son lit, vaincu par une peur très ordinaire et non moins salutaire.

Mais de toutes les histoires que narre Qiu Xialong, la plus édifiante est peut-être celle de Bao, le poète ouvrier. Histoire construite en deux temps pour enjamber la Chine de Mao et trouver son dénouement dans celle d’aujourd’hui. Tout commença pour Bao en 1958, alors qu’on exhumait la vieille conférence prononcée par Mao en 42 sur la littérature et l’art, qu’il voulait mettre au service de la Révolution. Bao fut prié d’écrire des poèmes. Pas du tout familier de la chose, lui que l’on venait déjà d’arracher à sa cuisine pour l’envoyer secourir les forces vives de la nation dans les usines du Peuple, raconta au commissaire qui tentait de l’enrôler combien la réussite d’un plat de Tofu était chose malaisée. L’histoire plut. Bao fut sommé de composer son premier poème :

Telle fève de soja produit tel tofu
Telle eau donne telle couleur.
Tel savoir faire fabrique tel produit.
Telle classe parle telle langue.


Le poème fit le tour de la Chine et Bao devint membre de l’Association des écrivains chinois. Bien plus tard, en 1996, ayant traversé toutes les vicissitudes maoïstes, dénonçant quand il le fallait, s’auto-critiquant avec non moins d’opportunité, Bao fut encore sommé d’accepter un poste de chercheur à l’Université. Un poste qui, cependant, lui laissa le loisir de faire grandir ce genre de petite échoppe que la Chine nouvelle encourageait à développer (que cent fabriques s’épanouissent, quelque slogan post-communiste de cette sorte), dans laquelle il pouvait s’adonner à la seule passion qui ne l’avait jamais quitté : celle du Tofu. Si bien que dans cette Chine du capitalisme effréné, sa boutique put s’enorgueillir d’être l’une des rares à passer le cap du millénaire et produire un Tofu bien meilleur que le Tofu d’Etat.
joël jégouzo--.

Cité de la Poussière Rouge, de Qiu Xialong, traduit de l’anglais par Fanchita Gonzalez Batlle, Liana Levi – Piccolo, mars 2010, 222 pages, 9 euros, isbn : 978-2-86746-540-6.

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3 avril 2010 6 03 /04 /avril /2010 14:05

botton.jpgAden, Tanger, les terminaux de nuit. La Tamise entre Gravesend et le bac Woolwich. Usines au bord de l’eau, la campagne alentour, rien, personne. Mais par cargos entiers, fruits et légumes, plastiques et prêt-à-porter, l’incessant convoi des marchandises rastaquouères régurgitées du bout du monde pour repaître nos insatiables fortunes. Un tanker parti de Rotterdam, gris acier, coupe l’horizon marin. Le monde dans ses cales et personne pour l’accueillir, sinon l’effarant balai des machines penchées comme de gros insectes au-dessus de lui. Le monde, loin. Ou à peine son ombre. Ici l’exil des zones portuaires, si retirées de tout qu’elles ont cessé d’exister. Aden, Tanger. Le monde déversé à nos portes. Zones portuaires, des lieux qui n’ont pas lieu, qui échappent à notre imaginaire. Juste dans la nuit quelques badauds maniaques pour témoigner de leur existence, photographes obsédés par les hélices des cargos. Grues à portique. A peine le grutier dans sa cabine. Minéraliers. Nous sommes déconnectés des bruits du monde, et c’est peut-être le mérite de ce livre –le seul- que de nous donner à penser le balai ahurissant des frets venus de Chine, d’Afrique, du Nord au Sud, échoués là devant nos portes. Tout une trame invisible, exclue de nos imaginaires, la marchandises mondialisée, dépossédée de tout sens, containers de livres, de plis, d’écrans éteints, sans plus aucun récit pour les dire, avant qu’ils réapparaissent sur nos étals, portés par l’illusion dont nous remplissons nos discours.joël jégouzo--.

Splendeurs et misères du travail,  de Alain de Botton, traduit par Jean-Pierre Aoustin, Mercure de France, février 2010, collection Bibliothèque étrangère, 373 pages, 23,50 euros, ISBN-13: 978-2715228887.
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27 mars 2010 6 27 /03 /mars /2010 14:53

hauts_plateaux_nord_biskra.jpgMorgan Sportès écrivit Siam dans les hauts plateaux algériens.
Solitudes en raconte la nécessité.

A l’époque, la peur de rater sa vie intellectuelle l’avait conduit là.
Méprisant soudain la servilité de l’écriture journalistique, il s’était imposé l’ascétisme de vivre une année entière dans une petite ville - Ksar Saïda- qui ne comptait pas plus de 5000 habitants.

Journal de bord, Solitudes ne raconte rien du paysage des Hauts Plateaux algériens, ni de l’œuvre naissante (Siam). Sportès y décrit plutôt sa confrontation aux quelques objets qui meublent son univers. C’est cette matière si ténue qui forme paradoxalement la richesse de son inspiration. Une cafetière récalcitrante, la corvée des ordures. Mais presque rien du paysage algérien. Comme si ce paysage époustouflant n’était pas digne de devenir un objet littéraire. Un "presque-rien" si peu rassurant qu’il ne parvient pas à l’accepter dans son univers lettré. Citations savantes, exergues obsédantes, grammaire sophistiquée, Sportès convoque Pascal, Saint Augustin, Rilke, comme si l’épate intellectuelle justifiait, seule, la nécessité d’écrire. Et quand il ne reste que le silence, le sable et quelques mouches pour briser le mutisme des Hauts Plateaux, au fond l’essentiel, Sportès croit devoir encore sauver son geste en glosant sur la difficulté d’écrire. Or il n’est convaincant que mobilisé par les milles détails auxquels s’accroche sa vie, quand presque tout lui manque. Dans ce dépit il découvre, après Virginia Woolf, que ce n’est pas autre chose le vrai lieu de l’écriture, et nous enchante d’écrire sans n’avoir plus aucune raison d’en nourrir le projet – le paysage algérien, finalement, a opéré un secret retour pour traverser l’œuvre de part en part, la trouer et la vider de ses vaines prétentions.—joël jégouzo--.


Solitudes, Morgan Sportès, éd. Du Seuil, sept 2000, 160p., 13,60 euros, isbn : 2-02-033746-0

Image : les Hauts Plateaux au nord de Biskra.

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25 mars 2010 4 25 /03 /mars /2010 13:21
chine.jpgMémoire de Chine. Mémoires plutôt, plurielles, fragiles. Mémoires enfouies, biffées, jamais révélées, risquées là pour tenter de recomposer l’imaginaire collectif d’une nation. Mémoires en forme d’hommage, superbe travail d’anamnèse, et d’identité, conduit par la journaliste Xinran autour de la génération de ses parents et de ses grands-parents, en forme de traversée du XXème.
Mémoire ambitieuse donc, résolue, rien moins que cela, à forcer la vieille «culpabilité» chinoise venue du fond des siècles, pour dire une autre histoire que celle des musées anthropographes… Travaillant au corps cette culpabilité surgie à la suite d’une réforme juridique qui, dès le IIème siècle, étendit la faute à la famille du criminel. Par parenthèse, cette idée de la responsabilité collective dans le droit pénal fut introduite en France en 1670 par le roi louis XIV, avant d’être de nouveau abrogée, pour ressurgir aujourd’hui dans le débat parlementaire, en particulier au cœur d’un prétendu discours sur l’éducation, à propos de l’absentéisme scolaire…

Mémoire difficile, affrontant des siècles d’inhibitions savamment orchestrées. Travail de Mémoire plutôt que Devoir de Mémoire, scrutant avec force un passé ravagé par la Révolution Culturelle, revisitée aujourd’hui par toute une nation un peu trop prompte à se moquer des idéaux des générations précédentes.
Un travail de mémoire pour établir des vérités, les explorer du moins, dans un livre tendu en miroir à la nation chinoise, l’un de ces ouvrages que l’on aimerait voir surgir chez nous, à propos de « Nous »…
Les témoins proposés dans l’ouvrage ont ainsi plus de 70 ans. Des bandits de la Route de la Soie aux rescapés de la Longue Marche, ils confessent ce que furent leurs temps, marqués par l’un des plus grands événements du siècle : la Révolution maoïste.
Comme celui de la Longue Marche. Ouvert par le puissant témoignage de M. Changzheng, né en 1916, qui participa d’un bout à l’autre au périple, aujourd’hui disqualifié, nombre de jeunes chinois se demandant même si cette Longue Marche a eu lieu, et si elle fut vraiment aussi longue qu’on l’a prétendue : plus de 12 000 kilomètres…
A ces deux questions, les historiens répondent oui. Mais il vaut la peine d’entendre ce témoignage pour comprendre que loin de l’historiographie officielle, elle fut à bien des égards moins un événement fondateur qu’une tragédie pour les centaines de milliers de chinois qui y ont pris part.
Rappelons en à grands traits les moments. Dès 1933, le Guomindang mobilisait 1 millions de soldats pour attaquer chacune des bases rurales de la guérilla communiste et 500 000 supplétifs pour lancer leur attaque sur le soviet du Jiangxi.
A cette époque, le secrétaire du PCC, Qin Bangxian, se rallia à la stratégie de Li De (l’allemand Otto Braun), qui préconisait une attaque frontale du Guomindang. Attaque qui échoua : Otto braun ne disposait que de 100 000 hommes mal équipés et 30 000 guérilleros. Si bien que l’année suivante, l’Armé Rouge ne savait plus que faire, ni où aller. Les officiers, désemparés, ordonnèrent un repli désordonné, véritable fuite hagarde au gré de décisions contradictoires. Ainsi démarra la Longue Marche, en une fuite éperdue, incohérente, en incessants allers-retours, jusqu’en janvier 1935, date à laquelle, seulement, les choses s’organisèrent un peu mieux, Zou Enlai reprenant le commandement militaire tandis que Mao devenait son second. Un Mao qui ne devait pas y prendre part en fait, contrairement à ce que l’Histoire officielle martela pendant des années…

Rares en sont les survivants aujourd’hui, et rares ceux qui l’ont faite en entier, et à pieds : les officier montaient des chevaux.
Quelle vision ce témoignage nous offre-t-il alors, d’une marche insensée, folle à bien des égards, hallucinée et terriblement coûteuse en vies humaines. Ils furent des milliers à fuir leurs colonnes, errants, jetés dans les campagnes sans plus savoir que faire. Comme ces hommes venus du Nord du Sichuan, une région dans laquelle on ne mangeait pas à sa faim, et qui ne s’étaient enrôlés que parce que l’Armée Populaire promettait de les nourrir. Des femmes aussi, des enfants essaimés sur le bord des chemins. Et des milliers de disparus, des milliers d’égarés dans les franchissements douloureux des pics enneigés (le mont Jiaping culminant à plus de 4000 mètres, franchi dans tous les sens en allées et venues dispersées, ses sentiers jalonnés des morts des précédentes ascensions).  La pluie, la grêle, la neige, la glace, le froid, les steppes marécageuses, hommes et femmes épuisés, affamés, mangeant l’herbe des routes, les racines des buissons et le cuir de leurs ceintures, marchant souvent en une longue file de somnambules accrochés à la queue leu leu dans le brouillard. Des témoignages poignants, fascinants, une époque livrée sans fard à notre compréhension avec en arrière-plan une Chine surprenante, celle d’aujourd’hui, à scruter aussi résolument son Histoire.
joël jégouzo--.

Mémoire de Chine, de Xinran, éd. Philippe Picquier, janvier 2010, Collection GRAND FORMAT, 672 pages, 23,50 euros, ISBN-13: 978-2809701494
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21 mars 2010 7 21 /03 /mars /2010 14:15

white.jpgUn été 48 à New York, devenue alors "la Capitale de Tout".
A l’origine, une commande passée par un magazine.
C’est l’époque où la presse américaine lance dans le monde ses reporters, bien souvent des écrivains, des poètes, plus ouverts au monde tel qu’il va, qu’attirés par un stupide exotisme.
La littérature américaine de voyage explose alors, encouragée par la montée en puissance du dollar et de sa civilisation.
White vit dans le Maine. Il exècre les voyageurs et croit prendre le contre-pied d’une littérature dont il ne comprend pas les enjeux. Peu importe : si les écrivains américains reconstruisent le genre, lui-même y participe à son insu.

Il accepte donc de vivre l’été 48 à New York. De fait, il se bornera surtout à évoquer Manhattan, à travers une poétique de la ville qui rappelle le Berlin de Walter Benjamin.

En poète, White décrit New York comme une ville déterminée, détruisant les individus autant qu’elle les magnifie, qu’ils sachent ou non saisir les occasions qu’elle leur offre. Et insiste beaucoup sur ce caractère d’occasion à saisir - le Kaïros des grecs -, dans lequel se régénère la civilisation américaine. New York est la ville des occasions, du Kaïros, occasions qu’elle démultiplie à l’infini en séparant les individus des événements. On peut donc ne jamais rien y voir, aucun événement n’étant assez fédérateur pour mobiliser toutes les populations qui y vivent.

Ecrit dans une prose superbe et simple, White y paraît cependant nostalgique. Mais saisi à son tour, le récit finit par s’installer dans le présent de la narration, pour ramener à la surface, entre autres, la vision d’un vieux saule rafistolé de bouts de ferrailles, extraordinairement édénique.--joël jégouzo--.

 

 

Un air de New York, E. B. White, traduit de l’américain par Martine Leroy-Battistelli, préface de Roger Angell, éd. Buchet-Chastel, avril 2001, 76p., ISBN-13: 978-2283018569, épuisé.

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20 mars 2010 6 20 /03 /mars /2010 15:25

somerset.jpgJamais titre n’aura été plus approprié. Somerset Maugham, plus attaché aux conventions de sa classe que curieux des paysages qu’il découvre, n’a pas vu l’Asie, ou pas grand chose. C’est à peine s’il a jeté un œil maussade sur ces paysages souvent plombés par la chape grise du soleil des tropiques. Dès le premier chapitre, le ton est donné. Il s’émerveille de l’élégance du point-virgule, de la discrétion de la parenthèse et s’emporte contre le trop brouillon et fruste tiret. Certes, accordons-lui quelques notations vraiment biens senties sur des points essentiels de l’art de ponctuer un texte. Mais le voyage dans tout cela ? Refusant de tomber dans la facilité du pittoresque, Maugham ne veut consommer que des plaisirs intellectuels, autrement plus satisfaisants à ses yeux que les médiocres aventures dans lesquelles ces terres lointaines prétendent vous jeter. La jungle n’est enivrante qu’élever à la dignité du poème. Quant aux villes… Saigon lui rappelle une modeste bourgade française, Hanoï l’ennuie. Lorsqu’il débarque dans la baie de Tourane, proche de la capitale impériale de l’Annam (Hué), il n’en veut conserver qu’une impression fugace, celle d’un premier contact énonçant plus de promesses que la ville n’en saurait tenir. Haïphong lui paraît plus médiocre encore et il refuse tout net de se rendre dans la baie d'A-Long, lui préférant sa recension dans un numéro de l’Illustration, assis confortablement dans un bar huppé de Haïphong. Pour délaisser évidemment bien vite les pages consacrées au pittoresque de l’Asie du sud-est, et se pencher sur une aventure plus féconde : lire ses contemporains, "occidentaux" s’entend. Et là encore, tout n’est que prétexte à célébrer sa propre indolence désinvolte : Proust l’ennuie, mais à tout prendre, il préfère cet ennui à l’amusement que procurent les autres livres.

Un dandy fumant son cigare avec condescendance dans un wagon de luxe, en définitive. Une idée du voyage tel qu’il se pratiquait dans les hautes sphères de l’intelligentsia européenne, qui a au moins le mérite d’afficher son dédain du monde.–joël jégouzo--.

 

UN GENTLEMAN EN ASIE, Somerset Maugham, traduit de l’anglais par Joseph Dobrinsky, coll. Domaine étranger, éd. 10-18, novembre 2000, 292p., ISBN-13: 978-2264029195 .

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18 mars 2010 4 18 /03 /mars /2010 08:10
tropique2.jpgLa recherche, on le sait, doit se trouver de nouveaux modes de financements. Aussi, le responsable d’une association presque humanitaire (Understand Earth), et forcément nécessiteuse, décide-t-il de financer l’expédition de deux de ses plus mauvais scientifiques maisons d’une façon originale. Les russes ayant inauguré le tourisme orbital, rien n’interdit Understand Earth d’inventer le safari anthropologique.
Un touriste – le plombier Krobba - accompagnera l’expédition. Or l’érudition de ce dernier en matière de singes est à couper le souffle !


La mission porte sur le rire des singes râleurs. Helen, une scientifique du genre gouvernante irlandaise sadique, et son co-équipier, qui ne cesse de loucher sur ses minces appâts, découvrent un groupe de singes particulièrement râleurs au cœur du territoire Vani Vani. Ces derniers, réducteurs de tête et supporters de l’équipe de France de football (à l’époque, il en restait), se trouvent eux-mêmes en manque de subventions. Il s’en suivra, tant du côté des singes que de celui des Vani Vani, un imbroglio invraisemblable au terme duquel notre plombier, initié à l’observation scientifique, fera à vrai dire la plus belle découverte du siècle…

twist-1.jpgLe roman, mené tambour battant, est servi par une écriture d’une drôlerie peu commune. Mais il est aussi d’une pertinence achevée, le journal de l’anthropologue plombier s’avérant un modèle du genre. Il n’est pas un scientifique qui n’y reconnaisse ses travers, sinon ses méthodes. Une belle leçon de civilisation en outre !
joël jégouzo--.


Twist Tropique de Francis Mizio, Points, coll. Points Virgule, n°67, mars 2003, isbn : 978-2020591944, épuisé. - 1ère édition, Baleine (au temps où Baleine était Baleine et non Seuil), avril 2001, 220p., ISBN : 2842193199, (couverture du haut).

Il est possible de se procurer l'ouvrage sur le site de l’auteur, à l’adresse suivante :
http://francismizio.blogspot.com/2009/03/o-n-brade-suite-twist-tropique-version.html

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17 mars 2010 3 17 /03 /mars /2010 12:40

voyage-siam.jpg"Une envie d’Indochine sous le second Empire", sous-titre avec une très grande justesse cet ouvrage publié chez Arléa.
En fait la réédition d’un très ancien récit de voyage, celui de Henri Mouhot, publié en 1863 dans la revue Le Tour du Monde.
Naturaliste, savant autodidacte, grand voyageur, Henri Mouhot parcourut l’Asie du Sud-est à la faveur d’une bourse que lui octroya la Royal Geographical Society de Londres.
L’ouvrage, bien évidemment, est empreint de tous les préjugés de l’époque : c’est à travers le prisme de sa propre culture que notre explorateur appréhende les sociétés et les peuples qu’il découvre, avec une "franchise" telle qu’il en est devenu un classique des études orientalistes.

Un document donc, impossible à lire sans ce recul. Hélas, la préface destinée à nous le présenter, elle, manque cruellement de ce recul. On en tombe des nues même, à lire sous une plume aussi peu informée desdites études orientalistes une apologétique tentant de nous faire passer l’ouvrage pour autre chose que ce qu’il est. L’expression de "la vérité toute nue" s’extasie le préfacier, presque salutaire dans la France d’aujourd’hui, à cause de cette franchise que Mouhot aurait osé, à ne pas négliger "les humains parmi les espèces vivantes qu’il se propos(a) d’observer"… On reste pantois de découvrir que ce préfacier n’a pas cru judicieux de relever dans le récit de notre savant les préjugés pointant sans rire "la paresse" congénitale des autochtones, ou faisant du Siam un "nid de voleurs et d’assassins"…

Certes, Mouhot n’hésita pas à dénoncer les systèmes corrompus d’une administration coloniale naissante, ses gouverneurs stipendiés et les régimes d’esclavage qu’ils mettaient en place. Mais sous sa plume, cela relevait de notre responsabilité, pas de celle des "sauvages" qu’il rencontrait. Car Mouhot voyait les peuples à travers les yeux des évangélisateurs chrétiens et, partisan de la politique de la canonnière, il pensait lui aussi, partageant en cela les préjugés de son époque, que la colonisation, réformée par les soins de politiques avisés, serait un vecteur de développement économique et social. Qu’in fine, notre préfacier en appelle à la "la curiosité avide de l’enfant" pour savourer ce récit de voyage comme un récit d’aventure, on se dit pour le coup que l’éditeur aurait pu tenter une meilleure envie d’Indochine en l’encadrant d’un appareil critique autrement solide. L’ouvrage, historique, méritait en tout cas un meilleur traitement…--joël jégouzo--.

 

 

Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos : Et autres parties centrales de l'Indochine, 1858-1861, de Henri Mouhot, préface de Patrick Salès, éd. Arlé, coll. Essai, février 2010, 302 pages, 20 euros, ISBN-13: 978-2869598843.

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8 mars 2010 1 08 /03 /mars /2010 12:58

sukkwan.jpgRoy, treize ans. Et son père.
Lui et son père.
Seuls au milieu de la forêt, des ours, du froid polaire.
Perdus, littéralement, quelque part sur une île du sud de l’Alaska où Jim, le père, a entraîné le fils dans une aventure qui aurait dû leur prendre une année entière.
Une initiation, une quête, l’espoir de se retrouver, d’apprendre à vivre de nouveau.
Roy et son père.
Un père qui ne sait pas, n’a jamais su.
Un père qui pleure la nuit.
Un père défaillant, fragile.
Un père qui s'embourbe en lui comme dans un monde désolant, improvisant leur vie au cœur d’une nature hostile, où l’on ne peut rien improviser. Un père qui joue à mourir, à aimer, qui se confesse sans pudeur à son fils, incapable de lui parler la langue des pères sans parvenir à lui parler celle des fils et qui se hisse sur les épaules du fils pour l’écraser de tout son poids de désespérance. Un père chevillé à son fils dans le grand nulle part des âges, la confusion des générations soudain imbriquées pour le pire à l’écart du monde. Huis clos, certes, mais sans la ligne de fuite d’un face à face interdit au fils par la conjuration de ce père plongé dans l’immanence de ses déroutes. Emphatique, à dramatiser et mettre en scène ses abaissements, jusqu’à tendre au fils le revolver dont il n’a su tirer sa délivrance, dans un geste doucereux, et que le fils retourne contre sa tempe.
Ô l’étrangeté absolue de ce roman ! Roy s’est tiré une balle dans la tête. Roy ne s’est pas suicidé : il s’est tiré dans la tête la balle que son père n’a pas osé tirer dans la sienne. Ensuite la dérive du père. Tantôt fou, tantôt rusé. Jamais lucide. Le père heurté cependant enfin par quelque objet tenace, la mort de son fils le réconfortant, en un sens, car elle l’arrime enfin au monde dont il a décroché. Roy, au fond, n’était-il pas venu sur l’île pour tenter de sauver son père ? Ce père exaspérant, seul lieu d’une vie trop courte pour avoir pu dresser les contre-feux disputés à l’aulne d’une existence à peine contractée. Et puis la nature derrière tout cela. L’impossibilité d’y vivre dans une pure immanence. Quel singulier roman au sein d’une maison d’édition dédiée au Nature Writing, convoquant ici toute l’étrangeté du monde naturel où rien ne semble plus pouvoir tenir de ce qui est humain, pas même après une lutte âpre, parce que les choses n’y sont que d’être, de toute éternité, ce qu’elles sont loin de nous.
joël jégouzo--.


Sukkwan island, de David Vann, Traduit de l'américain par Laura Derajinski, Editions Gallmeister, Collection NAT WRITING, 7 janvier 2010, 212 pages, 21,70 euros, ISBN-13: 978-2351780305.

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20 février 2010 6 20 /02 /février /2010 10:58

sylvia.jpgUne critique unanime, unanimement dithyrambique. Mérité.


1960. Michaels est pris de passion pour Sylvia Bloch. Ils ont vingt ans, lui beaucoup plus, elle un peu moins. Vingt ans tout de même : cette manière d’être en chemin de soi dans le monde, encore. Ils ont l’âge des équilibres précaires. Lui n’a pas terminé sa thèse et se lance à corps perdu dans l’écriture, raturant, griffonnant, revenant sans cesse aux mots qui lui résistent, tandis que Sylvia s'allègue fiévreusement dans ces années de frénésie généralisée. Ils s’installent à New York. Dans le Village, on trouve encore des vieilles qui crient en italien d’une fenêtre l’autre, et par la fenêtre de leur piaule minable, ils aperçoivent l’Hudson River ou les falaises du New Jersey, ou le désordre brutal qui travaille la ville.
Sylvia, lourde crinière noire. Yeux noirs. Long cou fin. Son exotisme est foudroyant. Est-elle belle ? Au delà de toute beauté. Fin de l’été 60, ils s’installent donc ensemble. Déjà l’un avec l’autre comme de toujours. "Cette histoire a commencé sans début", note Leonard dans son Journal. Car il tient un journal, très vite, dans lequel il note les tumultes de cette passion, ses égarements, ses excès.

Sylvia est brillante, ses parents viennent de mourir. Non : il ne faudrait pas la réduire à cette mesure. Sylvia est brillante. Elle s’en fiche et vit le contraire. Ils se disputent épouvantablement. Tous les jours. Sous n’importe quel prétexte. Pour se construire, peut-être, un espace de rage où tenir. Corps à corps frénétique. Sylvia est véhémente. D’une véhémence que rien ne peut soumettre : celle de l’Autre. Tandis qu’autour d’eux la grosse Pomme trépide. Charlie Mingus, Mile Davies, les débuts de l’héroïne, de la coule, de l’étrangeté d’être en vie dans les années 60… Sylvia décline sa vie en latin, en grec. Homère. Virgile, son poème : Plaine fumantes de poussières. Dans les affres de son hystérie, elle trouve toujours le temps d’une pause et d’un rien d’élégance froide. Sa demande d’amour demeure pourtant exorbitante : la véhémence de l’Autre. Bien qu’elle ne soit pas dupe de sa comédie. Mais New York en ce temps-là est comédie, Kennedy flirtant avec des actrices de cinéma, Ornette Coleman "éviscérant" le jazz… Tout y est fringant. Il faut donc l’être -tandis que les français brimbalent, entre Staline et Sade. Bientôt Kerouac entre dans leur entourage, puis Ginsberg et la marijuana. Et l’époque tout entière, dans son injonction la plus arrêtée : rien n’existe plus en soi, tout doit relever d’un sens caché. Le paradigme linguistique officie désormais, structurant et la Connaissance et l’émotion du monde, de soi – et accessoirement il nourrit, abreuve, sature la paranoïa de Sylvia tant les sixties l’imposent.

Alors au terme de cette aventure, Leonard vagabonde dans les couloirs d’une fin qui le sépare de lui-même. Dire que les pages sont belles ? Que l’écriture est forte ? Cela n’a pas de sens. C’est superbe. Subsumant toute réalité pour la soumettre à la seule nécessité d’une écriture mûrie pendant trente longues années. La vie évanescente, saisie enfin dans la mort disparue. Un journal mais autre chose, une autobiographie mais autre chose, un récit, un roman et plus que le roman, moins pénétré par le réel d’une culpabilité équivoque que par l’absence d’un Discours qui aurait pu, jadis, porter secours à l’un et l’autre : il n’y avait pas de discours pour dire Sylvia, et surtout pas celui de la psychanalyse bientôt triomphante. Mais tous l’ignoraient, à commencer par Sylvia qui ne pouvait que le chaos de sa geste imparfaite. Il n’y avait pas de Discours. Pas même celui de la confusion des sentiments, pas même celui du dérèglement des sens, juste la nécessité, à trente ans d’intervalle, de la chose achevée et de son lieu aujourd’hui : l’écriture.—joël jégouzo--.

 

Sylvia, de Leonard Michaels, traduit de l’américain par Céline Leroy, éd. Christian Bourgois, janvier 2010, 17 euros, ISBN : 9782267020618.

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