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25 mai 2010 2 25 /05 /mai /2010 12:08

talking.jpgTalking with Sartre. Des conversations. Entre Sartre et son filleul John Gerassi, professeur de sciences politiques – filleul sans parrain, Sartre s’obstinant à jouer les non-parrains les plus attentionnés… Une intimité dont John Gerassi profita pour fréquenter la pensée de l’auteur célèbre. Un livre qui sans doute connaîtra une traduction française, et dont on peut souhaiter que sa réception en France s’organisera selon une lecture moins people que celle de la recension offerte négligemment au Nouvel Obs par Bernard Loupias (Quand sartre voyait des homards partout)… Recension qui ne retient guère que la petite histoire d’un Sartre "défoncé" à la mescaline, victime d’hallucinations "au point qu'il lui arrivait parfois de se croire poursuivi sur les Champs-Elysées par des bataillons de homards"… On pouvait espérer mieux que cet article centré sur le rapport d’un écrivain à la drogue, cherchant qui plus est à comprendre l’œuvre dans son rapport à ladite drogue : "des hallucinations qui, à l'évidence, eurent une influence sur l'écriture en 1938 de " La Nausée, roman considéré comme le manifeste de existentialisme, ou sur certaines scènes des Séquestrés d'Altona, sa pièce de 1959."… De qui se moque-t-on ?…

Voilà donc le Nouvels Obs à cours d’estomac si l’on peut dire, relevant Sartre de sa tombe de la pire des façons. Sartre… Voyons… Ce qu’il en reste dessous la terre -moins meuble qu’il n’y paraît-, une vraie chape de plomb posée sur lui : notre mémoire du monde comme il va, comme nous savons qu’il va – mal – et ne cessons de le taire pourtant, de l’enfouir, comme s’il n’y avait plus de causes à défendre ou plutôt, comme si toutes les causes ne devaient plus êtres vraiment défendues. Oui… C’est ça, c’est exactement cela : comme si nous vivions dans un monde d’oubli et de renoncement. Alors Sartre… Vous imaginez ! Et son oubli : un genre qui serait celui de la société française d’aujourd’hui et pas même, car décliné sans y prendre garde, comme une fiction qui tiendrait à la fois du roman noir et du roman de famille, au sens cette fois où Freud pouvait l’entendre… La société française, une fiction ? Allons bon !joël jégouzo--.

 

Talking With Sartre: Conversations and Debates, de John Gerassi, Yale University Press, janvier 2010, 336 pages, 16 euros, ISBN-13: 978-0300159011.

lien vers l'article du Nouvel Obs :

Quand Sartre voyait des homards partout

 

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25 mai 2010 2 25 /05 /mai /2010 10:14

huis-clos.jpgLa première de la pièce eut lieu en mai 1944. Sartre découvrit une interprétation si forte de son texte, qu’elle passa à ses yeux pour la meilleure possible, son aboutissement scénique le plus exact. En 1964, les acteurs de cette Première furent réunis de nouveau. On en fixa cette fois l’interprétation dans sa matière sonore, pour l’éternité, avant d’en confier à Sartre la présentation. C’est le document que les éditions Frémeaux ont choisi d’offrir au public. Un document historique, l’expression prend ici tout son sens. Historique, parce que de 44 à 64, Sartre ne voit pas de différence, applaudissant à l’un comme à l’autre avec le même enthousiasme. Historique également pour ce moment rare d’écoute de la parole de Sartre dans ce grain si métallique qu’on lui connaissait, ce phrasé si pédagogique et l’étonnement, in fine, de découvrir un propos dont la langue s’enracine dans un usage du monde qui n’est plus le nôtre. Sartre si familier à la France des années soixante, voire soixante-dix, mais homme d’un autre siècle, discourant dans un vocabulaire désuet sans renoncer à se faire comprendre, c’est-à-dire à décanter les modes du dire qui se croisent dans l’enjambement des époques, mais empruntant des formes langagières si désuètes qu’elles révèlent qu’il ne saisissait peut-être déjà plus les enjeux d’un monde échappé de son monde. Un document qui mériterait une approche philologique presque, pour témoigner de ce que ce temps n’est plus et comprendre où il nous importe encore.

 

Un document en outre peut-être plus pertinent dans cette forme sonore que ne l’était, vingt ans plus tôt, la mise en espace de ce texte. Le médium libérant, par la résorption de l’espace, un sens nouveau. Espace occulté mais non annihilé, les bruits du monde, incertains, pauvres, raréfiés, le bruissement des déplacements, minuscules pérégrinations d’un monde étriqué, une porte qui n’ouvre sur rien recelant les bruits de l’ailleurs au point de faire du monde un décor suspendu dans un vide sidérant.

 

 L’action se situe dans la marge insolite des Enfers. Un espace artificiel méticuleusement agencé, occupant presque laborieusement toute l’exposition de la pièce. Espace existentiel tout entier assujetti à l’artifice d’une démonstration intellectuelle. On se rappelle l’équivoque du propos sartrien : "L’enfer, c’est les autres". Equivoque ayant longtemps ouvert au malentendu sur lequel Sartre revient en préambule, réaffirmant qu’il n’est possible de se connaître que sous le regard et le jugement d’autrui, possible inscrivant donc nécessairement cette limite que si nos rapports avec les autres sont empoisonnés (l’un de ses mots), si le rapport avec autrui devient tordu, alors nous nous apprêtons à vivre l’enfer. Lâche ou méchant, enfermé dans un rapport vicié à l’autre pour parfois s’y loger avec délectation et s’y encroûter lamentablement, chacun se fait mort-vivant entamé par l’étreinte dont il ne sait se défaire. Puis l’on retrouve le philosophe paradoxal de la liberté, tirant plus du côté du comportement que de l’histoire de l’individu, instruisant l’idée que seuls les actes décident de ce que l’on est, la liberté s’affirmant comme volonté, même folle, de changer un acte par un autre : l’introduction, en d’autres termes, psychanalytiques cette fois, d’un signifiant nouveau dans une chaîne sémantique verrouillée. Quel que soit ce signifiant.

 

 Inaugurée par un "c’est comme ça" déprimant, Huis Clos s’affirme pourtant comme une situation fausse très peu commode à l’épreuve de la théorie. Une situation qui en outre semble ne pas permettre à Sartre de construire la règle qu’il s’était fixée. Qu’est-ce à dire ? Symboliquement, Sartre a échafaudé un espace sans miroir : il n’y a pas de recours possible à soi, pas de face à soi possible. La vieille notion moyenâgeuse si belle de for intérieur n’a pas cours ici –non la subjectivité : le for intérieur. Nous sommes dans le face à face, où il ne reste qu’à s’accommoder les uns des autres et poser des actes depuis lesquels se dépêtrer de ce face à face.

 

Qu’est-ce qui nous réunit ?, se demandent les protagonistes de ce huis clos. Ne pourrait-on chacun vivre en paix dans son coin ? Chacun s’avoue, mais sur un mode ironique. Sans regret, sans réconciliation possible. Trop de ruse dans le monde ? Trop de ruse dans la raison ? Mais l’Enfer de Sartre ressemble moins à un Enfer qu’à un Purgatoire. Chaque personnage finit par évaluer ses raisons de persévérer dans son être et s’aventure de la sorte, même à contrecœur, au seuil de l’Autre. Les femmes surtout. Les yeux grands ouverts sur ces images de soi et de l’autre apprivoisées par l’opportunité de l’amour. Au fond, la pièce tourne autour d’un point aveugle, inscrit en creux : la question de la réconciliation. Ce qui manque cruellement aux êtres jetés les uns contre les autres, c’est la compassion. Dans la pièce, la liberté s’écrit en filigrane sous les espèces de la compassion, avec des personnages qui cherchent la pitié, quand ils devraient découvrir le Pardon.joël jégouzo--.

HUIS CLOS - JEAN-PAUL SARTRE, Précédé du commentaire de JP Sartre: L’enfer c’est les autres, Interprété par : Michel Vitold, Christiane Lénier, Gaby Sylvia, R.J. Chaudffard, direction : Moshé Naïm pour Emen, Label : FREMEAUX & ASSOCIES, 1 CD-rom, 2010, ancien exploitant : Gallimard Collection A voix haute (Prune Berge).

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23 mai 2010 7 23 /05 /mai /2010 07:23

M2MOIRES-D4UN-ROUGE.jpgHoward fast fut pendant douze ans, à l’un des pires moments de l’histoire idéologique des Etats-Unis, membre du Parti Communiste américain. Mais c’est au fond moins cette histoire qu’il nous raconte dans cet ouvrage, que le sens d’une vie attachée à dénoncer l’injustice à travers son engagement politique et romanesque, avant de rompre avec les formes sclérosées que le militantisme communiste avait prises, sans parvenir ensuite jamais à donner un autre poids à sa vie que celui de cet engagement passé. Il flotte ainsi comme un air de nostalgie dans ces mémoires, le recul pris n’ouvrant qu’à l’expression de ce grand vide qui nous effare, d’un passé avec lequel nous avons rompu en l’ensevelissant sous des tonnes de regrets, sans que rien n’ait pu contrebalancer, ni le libéral-socialisme que nous connaissons, au fond pas si éloigné que cela du modèle démocrate américain, ni notre désormais coutumier anti-communisme. Peut-être parce que ce communisme était trop viscéral, sans abstractions, touchant au plus intime de cette foi de charbonnier qui le saisit d’un coup, un jour de dèche à Brooklyn. Il faut dire qu’il y avait de quoi : l’Amérique d’avant la Seconde guerre mondiale était celle de la misère extrême, celle des masses jetées sans vergogne dans la plus effroyable pauvreté. Une société en décomposition, grande consommatrice de vies humaines et dont H. Fast développa une conscience aiguë. Il n’est que de relire son œuvre : Il fut, après Jack London, le premier auteur américain issu de la classe ouvrière. Toute sa trajectoire romanesque en témoigne, dès sa première réussite de romancier, dans sa nouvelle The Children qui dépeignait la misère des enfants des rues du New-York yiddish. Vint ensuite le succès avec Conceived in Liberty (1936), vendu à plus de 15 000 exemplaires, qui lui permit de partir pour un long périple vers l’Ouest, dont il revint avec l'incomparable The Last Frontier, qui devait le consacrer définitivement comme l’un des auteurs américains les plus intéressants, roman dédié à la redécouverte du peuple spolié — Amérindien. Freedom Road (1943) enfin, bouleversant sur ce Sud tant haï et tant aimé.

 

Entré au Parti en 1944, jeté en prison en 1950 pour avoir refusé de devenir un délateur, à une époque où l’on pouvait se faire agresser dans la plus totale impunité simplement parce que l’on était communiste, à une époque où les sbires sans scrupules du capitalisme tabassaient au grand jour, difficile, aujourd’hui, d’imaginer que ce qui fut la grande question du siècle ait passé si vite au rang d’aveuglement criminel. Vint alors l’heure du renoncement. L’Amérique fut sauvée in extremis par la Seconde guerre mondiale. La machine économique repartit, préservant ici des vies qu’elle dévorait ailleurs, loin des espaces américains. L’opulence vint à bout des idéologies de révolte, ainsi que le silence abaissé comme un couvercle de plomb sur ces révoltes. Déjà, l’idéologie de la croissance l’emportait et les américains avec elle, enfin presque tous, vers de nouveaux horizons politiques. C’est là certainement la force du témoignage qu’il nous délivre : que cette rupture, au fond, ait été portée par l’oubli des causes de l’enrichissement national. Mais c’est aussi là que s’enracine notre conscience politique, en deuil d’un nouvel engagement que nul ne sait plus oser. Et cette conscience, en devenant mémoire, s’affirme en définitive conscience historique, peu dupe d’un avenir dont Howard Fast devine les mensonges et l’hypocrisie.joël jégouzo--.

 

 

MEMOIRES D’UN ROUGE, de HOWARD FAST, Rivages/Noir, traduit de l’américain par Emilie Chaix-Morgiève, janv. 2005, 352p., isbn : 2-7436-1352-1

 

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22 mai 2010 6 22 /05 /mai /2010 11:50

avenir-radieux.jpgRomain Rolland à Moscou, Sartre à Cuba, Sollers en Chine…

De convictions militantes en emportements romantiques, les intellectuels français ramenèrent de l'autre côté du miroir toute une littérature dont ils ne soupçonnaient pas qu'elle finirait un jour par s'élever au rang de genre littéraire : le récit du retour socialiste.

Fortement codé, François Hourmant nous en dévoile les règles, les schémas. L'ensemble du dispositif par lequel ce genre de récit se constitue est ainsi passé au peigne fin : toutes les stratégies narratives sont mises à jour, toutes les représentations qui les accréditent. Succédanés des récits des grandes découvertes, auxquels ils empruntent leurs figures, leur mise en série produit alors un effet incroyable. Le "village potemkine" et ses ombres inquiétantes viennent se réfracter dans une économie narrative qui se révèle n'être qu'un simulacre de dévoilement, où l'on se joue la comédie de l'objectivité. Contribution intéressante à l'étude de la constitution d'un genre littéraire, elle n'oublie pas même de nous livrer une sociologie convaincante du monde intellectuel français d'alors. Mais si le mode de diffusion des mythologies politiques semble bien cerné, en revanche, la conclusion paraît faible. Faisant retour à Julien Benda (La trahison des clercs), François Hourmant croit pouvoir de nouveau assigner à l'intellectuel (français, ça existe encore ?) la charge de dévoiler la mauvaise conscience du monde. A quand l'actualisation du genre en question après les nouveaux retours socialistes ? --joël jégouzo--.

 

Au pays de l'avenir radieux, de François Hourmant, Aubier Montaigne, janvier 2000, Collection historique, 281 pages, 19 euros, ISBN : 978-2700723147.

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20 mai 2010 4 20 /05 /mai /2010 12:54

journal-froid.gifPar un beau matin le narrateur découvre dans son jardin un charnier. L’événement est assez important pour qu’il se décide à tenir un journal, qu’il écrit sur un répertoire téléphonique, n’ayant rien de mieux sous la main. Aussitôt le ton est donné : cette contingence matérielle vouera l’écriture à la désinvolture. Drôle et macabre, sa langue se fera volontiers candide, aussi étourdie que son geste inaugural.

Ne sachant que faire de l’événement, le narrateur accomplit tous les jours la tournée du chantier qu’est devenu son charnier, avec la bonhomie d’un néophyte s’émerveillant du travail de fouille. Le chantier, à ce qu’en disent les ouvriers, est un beau chantier : il sait se développer, prendre de l’ampleur, faire sens, comme chantier s’entend : c’est-à-dire qu’il s’étend. Il contraint d’ailleurs à raser la maison voisine. Recueillant justement sa voisine, le narrateur vivra tout naturellement une aventure érotique avec elle. Puis il sera contacté par une école de "carniercologie", sise à New York. C’est que son charnier est un magnifique charnier, recelant un éclatant secret : il est le pôle négatif de notre mémoire collective. Une sorte de tubercule qui ne demande qu’à germer. Mieux : un rhizome, dans l’entrelacs duquel nos civilisations ont plongé leur être. L’étourderie d’un siècle, le défunt XXème siècle, qui n’a cessé de jouer les espiègles. Un chantier qui n’en finit donc pas, tant ce siècle savait aller jusqu’au bout de ses visions. Au point que l’on s’interroge tout de même, in fine: ne vaudrait-il pas mieux stopper les fouilles, les cadavres n’en finissant pas de remonter à la surface ? Placé sous le signe d’un humour décalé, ce premier roman très réussi émerveille par sa justesse et sa célérité.joël jégouzo--.

 

Journal du froid, de Yves Nilly, Mercure de France, juin 2001, 126p., 11,43 euros, ISBN : 978-2-71522286-6.

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11 mai 2010 2 11 /05 /mai /2010 10:12

suicide.jpgLes parents d’Agathe vivaient à Rome, lisaient Baudrillard, étaient convaincus que le réel avait disparu pour céder la place à des jeux de simulacre bien plus stimulants. Le Cinéma avait pris fin à l’époque de la Nouvelle Vague et le roman avec le Nouveau Roman. De toutes ces fins émanait une logorrhée réjouissante. Leurs mots, ceux d’un milieu social protégé, où l’on mangeait Naturalia, l’écharpe Benetton au vent, des discours psychologisants plein la bouche. Le père, qui était partie en quête de lui, avait fini par vendre des parfums de luxe aux belles romaines. Et puis le couple n’avait pas tenu. Les parents d’Agathe avaient divorcé. Sa mère l’avait ramenée à Paris, dans le XIIème arrondissement. Agathe se rappelle l’année 82 à Paris. Un tournant dans l’histoire des mentalités françaises : Le Père Noël est une ordure venait de sortir. On prenait en pleine gueule la gentillesse d’Anémone. Partout se mit à croître l’ironie, le cynisme, la moquerie, voire la malveillance. Agathe, malgré l’éducation que sa mère lui donnait, ne comprenait rien à ces changements et restait désespérément gentille, bonne, généreuse. Les dents s’affûtaient, les discours se travestissaient, pas le sien, au grand désespoir de ses proches. En rade, Agathe, tandis que les socialistes se convertissaient aux valeurs de la bourgeoisie libérale, lisaient L’air du vide, de Lipovetsky, en tournant résolument le dos à sa critique de l’individualisme. Les bobos –on y était-, voulaient se leurrer et prendre leur part du gâteau.

bobos-in-paradise.jpgAgathe devint ado en 88. La bourgeoisie, à l’époque, affectionnait de s’acheter des bijoux en plastique. La vie est un long fleuve tranquille sortait sur les écrans. Agathe se fit redskin, adopta le look Saint-François d’Assise, croyant vomir la société de consommation. Puis elle passa son bac, entra en prépa, fêtait déjà son entrée dans une grande école de commerce –on ne pouvait faire moins, dans le nouveau Paris qui s’installait. Elle se lança du coup à corps perdu dans la quête de son seul plaisir : si l’on voulait demeurer performant, il fallait s’affirmer désirant. A donf’. Et cultivé. Tous les bobos l’étaient. C’était la norme. Même si l’on ne savait pas trop ce que cela revêtait. On s’en foutait : on l’était, point barre. Agathe aussi, donc. Et puis elle entra en analyse. Comme tout le monde. Sauf qu’Agathe sentait que quelque chose n'allait pas. Elle demandait pitié. Pour sa quête truquée. Quelque chose déconnait dans cette mentalité bobo qu’elle finissait par vomir. Manque de générosité, méchanceté. Agathe s’en voulut tout d’abord de rameuter des vocables aussi sots pour parler de sa souffrance. Alors elle se réfugia dans la maladie. Comme au bon XIXème siècle. Avant de se suicider. Mais pas trop. Pour finir d’écrire ce roman. Sur la souffrance. Sa souffrance.
joël jégouzo--.

Suicide et inversement, de Jeanne Rivoire, éd. Jacqueline Chambon / Actes Sud, février 2010, 200 pages, 18 euros, ISBN-13: 978-2742790142.

Bobos in Paradise : The New Upper Class and How They Got There, David Brooks, Simon & Schuster Ltd, new edition, aug 2001, 288 p., 13 euros, ISBN-13: 978-0684853789.

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27 avril 2010 2 27 /04 /avril /2010 14:07

l-execution.jpgL’exécution. Paris. 3 heures du matin. Robert Badinter raconte que ce jour-là, il se rasa longuement. S’habilla avec respect. Paris. Rue de la Santé. La rue vide. Une petite porte sur le côté. La cour. La guillotine était là. Dressée. Immédiate. Avec ses hauts montants très minces. Très hauts, se souvient-il. Deux grands bras maigres desséchés. Un dais noir tendu dans la cour pour la masquer à la vue des prisonniers. Autour de lui, tout le personnel de l’exécution. Des hommes. Les avocats. Le Procureur qui avait requis la peine de mort, le Directeur de la prison et une silhouette sombre en chapeau : le bourreau, s’excusant : «Faut y aller. Il est temps».

Bontems, torse nu, attendait dans sa cellule. Courage. A phrases décousues, son avocat lui parle. Voix basse, de confidence. Il l’étreint avec une infinie tendresse. Le berce de ses paroles aimantes, comme pour interdire à l’horreur d’entrer là, comme pour fermer Bontems à la peur.

Bontems fait un brin de toilette. «Eh bien, allons-y». La Rotonde ensuite. Une dernière lettre à sa famille. Autour de Bontems, Badinter note la hâte d’en finir. L’immense silence jeté soudain sur ces hommes. Et le bourreau, chapeau sur la tête. Ses aides qui bientôt empoignent Bontems, l’emportent, le ligotent, le happent. Le claquement sec de la lame sur le butoir. La débandade soudain, les officiels s’enfuyant tandis qu’on asperge déjà la cour à grand jet d’eau.

Le récit est poignant, d’une force inouïe. Il faut entendre l’exécution lu par Charles Berling. Une diction au-delà du souffle. D’un tenant. Mesurée, roborative. Berling ne lisant plus mais témoignant de ce qu’est la Justice, le besoin de justice. Un long récit imposé par la fièvre. Robert Badinter devait ensuite passer sa vie à militer contre la peine de mort. Pour que le crime ne change pas de camp. Un récit confident, entaillé au plus intime de l’être. Sincère. Sidérant : comment avons-nous pu. Si longtemps. Le récit d’une tragédie. Un récit comme un homme n’en écrit jamais qu’un seul dans sa vie.joël jégouzo--.

 

 L’exécution, de Robert Badinter. Lu par Charles Berling. Présentation lue par l’auteur. 2 CD audio, durée 2 heures, Audiolib, 2009, isbn : 978-2-35641-202-7

 www.audiolib.fr

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19 avril 2010 1 19 /04 /avril /2010 10:13

petite-gare.jpgLa Russie aux lendemains de la mort de Staline, immergée dans son immensité continentale.

Une toile d’araignée flamboie d’un éclat irisé entre les fleurs. ce monde minuscule, façonné des gestes simples qui viennent se perdre dans l’étendue du paysage russe, sa seule conscience. Le paysan, l’ouvrier moscovite, ne cessent d’éprouver dans leur chair la viduité d’un monde où le temps s’étale comme un espace. Et les gestes qui remplissent leur vie s’effilochent dans le règne de l’ici. Au point que toute notation historique a disparu : la Russie des années cinquante n’est qu’une clause de notre style à nous. Tout est exactement comme toujours, tout respire le repos, ou plutôt l’absence de mouvement dans cette immensité que l’Histoire n’atteint pas. Tout est toujours comme par le passé, mais ce passé n’est pas. S’il existe une littérature du terroir, assurément, celle-ci en est un bel exemple, avec son monde enchanté de récits s’élargissant en vagues concentriques comme les ronds dans l’eau. Une pie se détache de la cime d’un arbre. Une matinée tranquille. Volodia se noie en pêchant. Dans la fraîcheur un peu amère de la prairie, quelque chose d’étrange ébranle soudain la nouvelle, bouleverse son fil et déferle sous les mots, charriant leur poids d’images. Un événement sourd, afflue. Tout a basculé déjà, enfanté par le pur talent de l’imagination souveraine : le récit se déploie enfin dans sa propre immensité. Il se fait pèlerin. La vie ne prend fin nulle part, ni l’écriture, qui inscrit dans son rythme sa propre élévation infinie.joël jégouzo--.

 

 

La petite gare et autres nouvelles, Iouri Kazakov, traduit du russe par Robert Philippon, L’imaginaire Gallimard, février 2000, 270p., 8,56 euros – titre original : Na Poloustanki, 1ère édition française, éditions Gallimard, 1962.

 

En titre : Rimbaud, Une saison, etc. …

 

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13 avril 2010 2 13 /04 /avril /2010 08:06

sophie.jpgRecueil de nouvelles au fond désirantes, ébouriffées et piquantes, éprouvant, littéralement, la difficulté d’aimer, de l’être, d’y souscrire pour se porter au devant de soi ou d’autrui, introduites par l’énoncé divinateur de Fernando Camon : «Il est difficile d’être une femme, toutes s’en plaignent. Il est impossible d’être un homme, aucun n’y parvient.»
Nouvelles écrites au féminin, récidivant d’une aventure l’autre, de mal en pis si l’on osait, pour autant que le pis a, ici, cédé la place à la calamité de vivre entre mari alcoolique, compagnon infidèle et dragueur éreintant. Des histoires pleines de futurs ex-maris et d’une vision du monde assez juste pour tout dire, dans sa placide épouvante. Un monde où l’on se ment beaucoup, où l’on foire beaucoup, un monde dont l’érotique confine au grotesque, le cocasse disputant au bouffon son attirail fumeux. Un monde dont la gîte est celle d’un clochard échoué le nez dans le ruisseau, à tenter de déboucher une bouteille qui lui résiste.
Dans l’autre, ma folie me guette et ma vie pourrait bien se défaire, n’était le réconfort d’un poème de Nerval, qui assuma pour nous la folie dont aucun être humain ne parvient à se délivrer, sinon dans la poésie, dont la parole si intrigante borde nos frontières effarantes.

Des nouvelles qui peu à peu montent en puissance, dès qu’on a passé le cap de Julio ou de la touche bis. Et montent sous la pression de la pulsion descriptive. Tempêtes de Normandie. Les falaises d’Arromanches battues d’un ressac organique. Corps à corps avec les éléments, c’est dans cette dilection de la matière pour l’humain que la narratrice se découvre le mieux, réalisant sans trop savoir qu’en faire, que le monde est resté plus grand qu’elle. Superbement, deux espaces contigus se font face soudain : l’univers et nos mondes minuscules. Le Pneuma battant la roche Tarpéienne, d’avoir si grand ouvert nos portes à de si piètres amours.

 

C’est dans l’art de la description que ces nouvelles révèlent leur nature profonde. Face au monde, ainsi que l’impose sa récollection comme paysages, l’alentour décliné en façades. Comme si, dans ce rapport de frontalité au monde, la narratrice avouait mieux que dans sa relation aux hommes, cette solitude égologique dans laquelle la vie nous a jeté. Là-bas le monde, l’Autre. Territoire indu, donné dans une frontalité excessive.joël jégouzo--.

Le fou de l'autre, de Sophie Képès, les éditions Noir sur Blanc, avril 2010, 232 pages, 12 euros, isbn : 978-2-88250-231-5

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11 avril 2010 7 11 /04 /avril /2010 11:48

julius.jpgLima. Le petit Julius est né dans un palais et passe sa petite enfance dans le carrosse de son grand-père. Sur sa table de chevet se trouve la photo de sa sœur Cinthia, qu’il ne connaît qu’à travers cette image. Plus tard Julius saura éloigner cette photo avec laquelle il comprend confusément qu’il ne peut vivre. Cinthia ira sur la commode : il lui reste tant de choses à découvrir.  Du collège au Country Club, en passant par la première communion, Alfredo Bryce-Echenique nous dépeint la lente prise de conscience de soi d’un petit garçon trop seul pour affronter pareille épreuve. Car n’en doutons pas : c’est une épreuve que d’être appelé, chacun, à ce moment de son existence, à se façonner soi-même. Surtout dans la solitude de l’autre, frère ou sœur disparue. C’est aussi ce singulier passage de l’âge de raison qu’il tente de nous raconter. Et y réussit, parce que son récit s’organise autour du point de vue de l’enfance, qui ne saisit le monde qu’à travers une chaîne de causalités insolites. Comment trier dans le foisonnement du monde environnant ? Sa langue épouse alors cette structure un peu circulaire des nécessités enfantines : s’il faut des raisons à l’ordre du monde, il en trouve dans la proximité du merveilleux auquel le réel se plie volontiers, quand on l’observe avec des yeux de sept ans. Assez étrangement, cette langue est aussi celle du narrateur adulte. Comme si elle le surplombait pour lui imposer ses vertus : le trouble, devant l’immense perspective qu’ouvre le monde.joël jégouzo--.

 

Un monde pour Julius, d’Alfredo Bryce-Echenique, traduit de l’espagnol par Albert bensoussan, éd. Métailié, mais 2001, 502p., ISBN : 2864243903.

 

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