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15 décembre 2009 2 15 /12 /décembre /2009 11:00

amour-crime.jpgAffronter qui on est.
Qu’est-ce que j'attends de cet étrange énoncé: «Je t’aime» ?
Et que me veut autrui, de pareillement m’interpeller ?
La demande d’amour, affirme J.-C. Lavie «est un des ressorts secrets de nos façons d’être et de nous manifester» à autrui, autant qu’à nous-même.
Un ressort tout de même bien singulier dirait-on dans ce cadre de compréhension psychanalytique, qui ne s’autorise que de lui-même, extorquant autant qu’il se dérobe, se mérite ou se mendie. Ou encore se fait attendre. Et du temps, certes, il en faut pour que les aspérités de l’un et l’autre amoureux apparaissent.
Offre ou demande, la force de la déclaration ne serait pas dans ce qu’elle désignerait, mais dans ce qu’elle renseignerait : ce dire qui se déploie, dissimule et détourne, dans le geste avant le mot, le souffle avant la bouche. «Je t’aime» serait au fond un mot de passe. Pour preuve, ce qu’en son nom chacun inflige ou endure. L’amour serait le crime parfait : qui l’énonce énoncerait un Droit inaliénable. L'amour aurait ainsi la troublante qualité de justifier à l’avance tout ce qui se manigancerait en son nom. De l'empressement à la caresse, du dépit à la fureur, il serait sa seule justification. Qui vous aime est sans recours et vous expose au pire, comme au meilleur.
Ici, tout de même, c’est le point de vue psychanalytique qui construit la perspective. Et curieusement, pris dans ces filets, l’Amour s’énonce à mi-distance «du masochisme ou du sadisme dont (il a) l’apparence, les modes de nous faire aimer répét(ant) indéfiniment l’archaïsme qui les a institués». C’est même dans la relation à la mère et la conscience de l’enfant souffrant découvrant que grâce à cette souffrance il devient l’objet d’attention, que l’auteur fonde le terrain propice à la compréhension de la demande d’amour. Et la rapprochant de la technique analytique, convoquant l’intuition freudienne de ce que le discours de la cure prenne forme de prière, sinon de chantage, Lavie construit un sujet qui s’énoncerait comme un piège, plutôt qu’un autre (rimbaldien).
joël jégouzo--.

L’amour est un crime parfait, de Jean-Claude LAVIE, Folio essais, nov. 2002, 203 pages, 6,10 euros, EAN : 978-2070423804

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13 décembre 2009 7 13 /12 /décembre /2009 10:23

Proust1Le baron Charlus, Morel, Léa, leurs rapports compliqués. Les travestissements sous lesquels leurs désirs se cachent. Fuir, se dissimuler sans cesse, provoquer la dispersion du moi dans un monde fragmenté à l’envi. L’équivoque des sentiments amoureux, dans l’œuvre de Proust, se donne comme l’exacte traduction et la claire transposition du malheur ontologique qui frappe l’homme de la modernité : il n’est pas d’être pour incarner l’amour que je lui porte, car cet amour est lui-même en dérive de mon être, qui ne sait exister de sa piètre insistance à être néanmoins, sans trop savoir d’où ni de quoi cette possibilité d’être lui échoit. Par confusion, par erreur peut-être féconde, l’Amour s’est-il ainsi dangereusement rapproché de la question de l’être. L’esse. Aimer, c’est-à-dire Être, saisir l’esse dans ce que Lévinas nomme "le frôlement de l’Il-y-a", et dont il ajoute que c’est "l’horreur". Il n’est pas d’être pour incarner l’Amour que je lui porte, parce qu’il n’est pas d’étant pour cristalliser assez d’Être. Et l’homme de cette modernité malheureuse est condamné à renouveler sans cesse l’objet de son amour, sur le mode d’une révélation énigmatique : "Et aussitôt je l’aimai" (I, 177).

L’Amour, en définitive, ne peut se fixer que sur un personnage imaginaire, -reconstruit-, une image préalablement rêvée, avec laquelle on tente, désespérément, d’entrer en contact. Surgit ici le thème de la Rencontre, de la première rencontre dont la fonction est si importante dans le récit proustien. Soit qu’il faille, pour que la relation perdure, se défaire de cette image première qu’elle a formée, auquel cas l’Amour devient geste dramatique (l’Amour de Swann pour Odette), soit qu’elle enchaîne heureusement tout le développement de la relation à ses prémices. Et dans les deux cas, l’inadéquation du rapport à l’autre qu’elle induit consitue-t-elle une voie d’accès à une vérité perdue.—joël jégouzo

 

Image : Marcel Proust

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12 décembre 2009 6 12 /12 /décembre /2009 10:42

luhmannpassion"L’AMOUR N’EST PAS SEULEMENT UNE ANOMALIE, MAIS UNE INVRAISEMBLANCE TOUT A FAIT NORMALE". (Niklas Luhmann)

L’étude de Niklas Luhmann est avant tout centrée sur l’analyse d'une sémantique destinée à illustrer sa théorie de la communication. L'auteur n'y fait ainsi pas l'histoire du sentiment amoureux, mais invite à comprendre comment les comportements amoureux sont inférés par des symboliques sociales et codifiés par des discours. Une problématique somme toute voisine de celle du Michel Foucault de l’Archéologie du savoir.

L'Amour est ici perçu comme un médium dont la tâche est d’opérer aux rétributions communicationnelles de l'individualité. Un médium dont l’évolution témoigne de l'émergence de l'intimité dans notre monde depuis le XVIème siècle. Evolution qui témoigne à ses yeux d'un "accroissement de vraisemblance de l'invraisemblable". Qu’entendre par là?

De l'Amour, Luhmann pose tout d’abord qu’il est une sorte de réponse à la logique de déliaison à l’œuvre dans toute liaison. Réponse qui normalise des structures culturelles et des liens sociaux toujours plus invraisemblables (la sociabilité facebook par exemple). Examinant l’évolution interne du médium — de l'amour courtois à l'amour romantique— Luhmann observe qu’à l'époque contemporaine, l'amour libre, indépendant, souverain, a fini par se confondre avec la quête de l’autonomie personnelle, voire de la revendication autotélique de son individualité, exprimant de la sorte avant tout la "validation de la présentation de soi". C’est réactualiser la thèse de Simmel, en l’approfondissant. L’horizon de l’amour-comme-passion serait ainsi celui de l’érection d’un Moi somptuaire où chacun, laissé seul face à lui-même, se trouve désormais aux prises avec un problème de communication obscur, sinon improbable (comment communiquer adéquatement sur ce Moi somptuaire ?). La société se trouve de la sorte confrontée aujourd'hui à une circulation des désirs où l'Amour-comme-passion impose un niveau d'exigence (de soi pour soi) toujours plus tendu, tout en produisant en retour des attentes presque toujours vouées à la déception (la passion amoureuse ne durerait que trois ans, selon certains). L'Amour-comme-passion, qui a permis ainsi le développement réflexif de l'intimité en la subsumant essentiellement sous son éclat sexuel, semble finalement peu apte à ‘soigner’ ce qui en est résulté…--joël jégouzo--.


Amour comme passion, de la codification de l’intimité, de Niklas Luhmann,
Aubier Montaigne, janvier 1992, 300 pages, EAN : 978-2700734119, épuisé.

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11 décembre 2009 5 11 /12 /décembre /2009 08:18

SimmelAu cours du XIXème siècle,la conception de l’amour subit de profonds bouleversements. Dans un monde où le mariage n’avait qu’une fonction de régulation sociale, les Romantiques, George Sand notamment, furent les premiers à défendre l’idée du mariage d’amour. Emerge alors une production littéraire nouvelle : le roman d’amour, qu’on accuse de corrompre les mœurs et dont le scandale est énorme. Madame Bovary, de Flaubert, est au nombre de ces romans ; il connaît un pharamineux succès. Mais ces nouvelles idées, le droit à l’amour-passion dans la vie du couple, sont farouchement combattues, non seulement par les conservateurs mais aussi par la Gauche naissante qui, comme c’est le cas avec la misogynie d’un Proudhon, considère le mari comme l’être éclairé qui sait définir ce qui est bon pour son épouse. Ainsi les femmes, rejetées de ces débats sur leur libération, ne parviennent-elles que très minoritairement à s’organiser. Cette contradiction traversera tout le XIXè siècle. Malgré une réalité réglée par le poids des conventions sociales, les femmes contribueront tout de même à la formation d’un nouvel imaginaire amoureux, au sein duquel l’individualité s’épanouira dans ses choix intérieurs, comme pure revendication subjective.

Lentement mais avec obstination, cet imaginaire va accélérer l’effondrement de la logique patrimoniale du mariage. Dans la logique conjugale qui se dessine, l’égalité des conditions existentielles devient désormais majeure ; l’affect détermine le choix. Mais cette liberté à vivre ses passions ne va-t-elle pas mener l’amour à de nouvelles difficultés ? Dans cette voie, analyse le sociologue Georg Simmel à la veille du XXè siècle, «l’amour relève du tragique le plus pur : il enflamme seulement par rapport à l’individualité et se brise par rapport à l’invincibilité de cette individualité».—joël jégouzo--.

 

Philosophie de l'amour, de Georg Simmel, préface de Georg Lukacs, Rivages Poche, coll. Petite Bibliothèque, n° 55, Grand format, 200 pages, paru le : 01-10-1991, 9.00 €, GENCOD : 9782869304925, I.S.B.N. : 2-86930-492-7
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10 décembre 2009 4 10 /12 /décembre /2009 08:35
gangeDe l'Amour fut le premier livre publié dans la collection Bréviaires, dirigée par Thierry Bouchard et Max Schvendorff. Mais le texte fut tout d'abord édité par le Centre International de l'Estampe URDLA, à Villeurbanne.
Dans sa préface, plus amicale que scientifique, chaleureuse, émue même, Edgar Morin souligne d'emblée ce qui lui semble fonder la conception que Dionys Mascolo se fait de l'amour : son caractère contradictoire et son essence Tragique. Il n'hésite pas à parler à son propos de "voie négative". L'expression est excessive et semble imposée par la construction en effet "négative" du texte : écrit en réponse à une enquête inspirée par l'apologie de Benjamin Péret -Le Noyau de la comète (introduction à son Anthologie de l'amour sublime)-, les réponses s'en trouvaient à ce point orientées que Mascolo ne pouvait s'inscrire qu'en opposition pour affirmer la nécessité de la sienne.
Certes, il déploie bien un contenu "tragique" dans son propos, mais moins comme vision du monde que saisi dans la simplicité de son sens le plus commun : siège de tensions contradictoires. Tensions qui s'actualisent toutefois en une métaphysique de l'aimer où il ne s'agit ni de les surmonter, ni de les ignorer, mais de les "accueillir".
On retrouve là l'habituel schéma dialectique de la pensée marxiste, assez curieusement orienté vers une métaphysique qui en fait un très beau texte d'inspiration Lukácsienne (le jeune Lukács). C'est sur les ruines de la transcendance et leur "relèvement", parce que l'amour ne peut pas ne pas lui emprunter ses matériaux, que ce dernier parvient à prendre corps. Sans doute sommes-nous là, pour le coup, plus proche de la Vision Tragique du monde d'un Pascal, par exemple, qu'on ne l'aurait cru : c'est dans la solitude égologique que se forme le projet d'ouverture à l'autre. Il n'y aurait là rien de bien neuf toutefois, si l'on songe à la manière dont Proust en a posé les termes : parce que la question de l'amour s'est dangereusement rapprochée de la question de l'être, l'engageant tout entier dans un chemin qui ne mène nulle part ailleurs qu'au pas douteux d’une foulée impatiente, il n'est pas d'objet qui puisse répondre à mon attente. Mais Mascolo ne s'en tient pas à ce constat tragique du malentendu qui pèse sur la demande d'amour. Il dessine une échappée sous les traits de la mystique chrétienne (Thérèse d'Avila), qui repose sur la casuistique pertinente des tonalités d'aimer (amour-amitié, amour-tendresse…), dont il retient celle de la compassion (réciproque) comme la plus à même de garantir et de pérenniser le sentiment d'amour. S'ouvrir à l'autre s'inscrit ainsi dans un double mouvement, de don absolument de soi mais non absolu, dans l'accueil compassionnel du don qui m'est fait. Là où l'élan amoureux me démunit de moi, je puis fonder dans le projet d'aimer l'assurance de mon recouvrement.
"L'amour est une invraisemblance tout à fait normale", écrivait Niklas Luhmann. Mascolo parle d'utopie et nous invite à la risquer simplement, comme désir sans objet précis "qui me fait placer ma nature hors de moi", dans l'énoncé salutaire de l'aporie amoureuse.
--joël jégouzo--.

De l'Amour, par Dionys Mascolo, Préface d'Edgar Morin, Urdla éd., 1993, 65 pages, 6 euros, ASIN: B000WH3GHU
Dionys Mascolo, né en 1916, est décédé le 20 août 1997, à Paris.
Image : La femme du Gange, de Marguerite Duras, avec, sur la photo, Christian Baltauss, Gérard Depardieu, Dionys Mascolo.
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29 mai 2009 5 29 /05 /mai /2009 12:32
Rappelez-vous la dédicace du Petit prince : "A Léon Werth, quand il était petit garçon". Est-il important d'en apprendre plus long sur celui dont Saint-Exupéry disait qu'il était... sa "morale" ? Est-il important du reste, de l'apprendre dans le contexte d'un hommage rendu à Saint-Exupéry ? Ne devrions-nous pas nous efforcer bien plutôt de lire ou de relire son œuvre, l'une des plus fortes de la littérature française ? Je vous y encourage, tenez, vous y découvrirez un auteur de talent !

Quelqu'un aura-t-il un jour l'audace d'écrire un livre sur l'amitié, se demandait Léon Werth, en songeant à celle, si profonde, qui le liait à Saint-Exupéry. Blanchot exauça son vœu sans le savoir, en pensant, lui, à Lévinas. Et bien plus tard, dans un autre registre, le philosophe Giorgio Agemben.

- Bien des années après, je revois du reste cette pensée de Blanchot s’accomplir en un geste humble et tout puissant, au moment où se réunissaient à la Sorbonne quelques témoins en l’hommage de Lévinas, qui venait de décéder. Maurice Blanchot devait rejoindre cette assemblée émue, mais il ne vint pas et fit passer un petit billet griffonné de sa main sur un bout d’enveloppe déchirée : « soyez mes répondants ». Outre qu’il y a un peu de cela dans toute lecture accordée aux textes qui le méritent, quelle autre preuve d’amitié que celle de répondre d’autrui, quand il nous est cher ? -

Qu'est-ce qui fait qu'une amitié est profonde ? Werth y répond page après page. Mais il y répond sans s'y adosser : le livre est fait de notes éparses, de lettres, de photos souvenirs. C'est Viviane Hamy qui les a rassemblées. Belle intelligence d'éditeur !
A ceux qui cherchent le portrait de Saint-Exupéry, conseillons d'autres lectures. Werth a fait mieux : il vit jusqu’à la dernière ligne la passion qui le portait auprès de son ami. Le livre est superbe, d'une composition pascalienne, en fragments laissant dériver les images ténues de leur amitié. La terrasse de l'auberge de Fleurville, un goût d’accomplissement à siroter un Pernod tout en mordant dans un saucisson et du pain de campagne. Jamais Werth n'enferme Saint-Exupéry dans aucune explication. "La certitude qu'il est vivant s'est installée en moi. Mais que cette certitude est inquiète !", écrit-il en 1948, au moment de confier l’ouvrage à ses lecteurs – nous, qui en répondons aujourd’hui.
Ne jouons donc pas les créateurs de "cadavres sublimes". L’amitié qui se dévoile là est si intimement liée au dessein de la prose qui la manifeste, qu’elle rend possible et comme par un enchantement auquel je ne saurais renoncer, l’intimité entre le lecteur et l’auteur, de part et d’autre du texte. Cette intimité entre lecture et écriture est si profonde que l’une et l’autre y pointent en effet le texte, dans son nom même.--Joël Jégouzo--


Saint-Exupéry tel que je l'ai connu. 100 photos et dessins inédits, de Léon Werth, éditions Viviane Hamy (25 mai 1993), Collection : Domaine français - Les Aînés, 159 pages, ISBN-10: 2878580532, ISBN-13: 978-2878580532
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