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11 janvier 2013 5 11 /01 /janvier /2013 05:45

 

penserviolence.jpgL’ordre social est une économie de la menace.

Que désigne la violence dans nos sociétés ? On se rappelle les leçons de Max Weber sur la violence et son usage légitime dès lors que seul l’Etat en détient le monopole. Il faudrait peut-être partir de là pour comprendre qu’au fond, si le projet d’égalité dans les démocraties occidentales est resté formel, c’est peut-être parce que l’ordre social y était resté une économie de la menace, construisant la citoyenneté comme l’accès au pouvoir de violence –on le voit assez dans la figure du politique, qui ne se soucie d’abord jamais rient tant que des conditions de l’accès au pouvoir politique maintenu comme l’une des formes primitives de la violence sociale, qui n’aura ensuite de cesse de s’affranchir de la volonté populaire pour la dominer et penser accessoirement un mode d’accès au pouvoir politique interdisant aux femmes d’entrer en politique.

Notre ordre social est ainsi toujours fondé sur la distribution asymétrique des pouvoirs (aux élites le pouvoir, au Peuple souverain la soumission, aux hommes, etc.), qui a essentiellement besoin de construire socialement l’existence d’un sexe menaçant et d’un autre supposé inoffensif pour fonctionner.

L’état civil se charge de fabriquer ces deux groupes distincts dont cet ordre a besoin, pierre angulaire des discours sociaux qui vont ensuite conférer un sens à cette partition et distribuer les éléments de langage qui en consolideront le bienfondé a posteriori, à travers une mise en récits typiques établis sur des corrélations fallacieuses, ainsi que le démontrait avec brio l’ouvrage collectif Penser la violence des femmes, premier du genre en France à avoir tenté de saisir le sens de cette violence, réfléchie dans nos sociétés occidentales comme un événement minoritaire, quand en réalité elle est socialement organisée pour le rester.

A travers cette violence, déniée mais pas moins "fondatrice" que ne le prétend celle des hommes, l’ouvrage montrait qu’au fond les mauvaises raisons de la taire s’inscrivaient à l’intérieur d’un discours sur les genres dont la société se nourrissait. Pourquoi ? Parce que notre ordre social est fondé sur la distribution asymétrique des pouvoirs et des vulnérabilités supposées, distribution commode, effarante car destinée entre autres à interdire l’irruption de la jouissance dans la sphère du social.

godard(2)A quoi ressemblerait donc une société sans genre et sans sexe ?

L’ouvrage auquel je fais référence ne tranche pas, mais soulève mille interrogations passionnantes à ce sujet.

Ce serait une société qui aurait dévalué la violence.

Ce serait une société au sein de laquelle l’autonomie sociale n’aurait rien à voir avec l’anatomie sexuelle. Imaginez à quoi ressemblerait le social des êtres qui ne serait plus dominé par le recours à l’explication biologique, celle-là même qui, dans l’Histoire, n’a cessé d’enfermer, de maltraiter, d’exterminer les êtres…

Imaginez-en les conséquences sur le plan politique : il nous faudrait repenser les modes d’accès au pouvoir en sortant du cadre de la violence pensée comme fondatrice des rapports humains… Imaginez même à quoi ressemblerait la géographie de la discipline sociale dans une société sans genre, et à ce qu’elle pourrait enfin devenir en terme d’égalité non plus seulement formelle mais réelle, et ce à quoi cela nous obligerait : le dépassement de cette économie de la menace qui a fondé jusque là l’ordre social des sociétés humaines. L’heure est toujours aux vœux. Qu’il soit le nôtre en 2013 !

 

Penser la violence des femmes, collectif sous la direction de Coline Cardi et Geneviève Pruvost, éd. La Découverte, août 2012, 440 pages, 32 euros, isbn 13 : 978-2707172969.

Voir lien sur le site k-libre, à propos de cet ouvrage : http://www.k-libre.fr/klibre-ve/index.php?page=livre&id=2504

image : Godard, masculin féminin.

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10 janvier 2013 4 10 /01 /janvier /2013 10:40

7rb7_transport.jpgA l’heure où l’Agence Française de sécurité sanitaire vient de remettre son rapport sur l’impact de la pollution atmosphérique, révélant que toutes les villes étudiées en France présentaient des valeurs de particules et d’ozone supérieures aux valeurs guides recommandées par l’Organisation Mondiale de la santé, peut-être serait-il temps de prendre enfin en compte le problème au sommet de l’Etat, d’autant qu’il se révèle particulièrement dramatique au regard des menaces qui pèsent sur la santé des enfants.

La voiture est devenue quelque chose d’affreusement désagréable. Quelque chose comme une punition ou un plaisir négatif, un peu comme celui du grand fumeur ou de l’alcoolique immobilisé dans la répétition de sa souffrance, provoquant désormais une sorte de vraie gueule de bois collective qui nous fait perdre de vue que les déplacements sont liés au mode d’organisation sociale et économique de notre société. Un aveuglement au fond caractéristique de ces dénis et de ces inconséquences dont le libéralisme est coutumier, incapable qu’il est de penser un problème jusqu’au bout, tout comme les conséquences que sa doctrine génère.

A l’heure où tout semble reposer sur la bonne volonté des usagers, faisant de nouveau peser sur eux la culpabilité d’un mode d’organisation bricolé à la hâte, expiant à longueur d’onde sa faute par des sermons malingres sur le civisme du co-voiturage et les bénéfices du vélib’ quand il faudrait tout revoir de fond en comble, force est de constater qu’il n’y a pas d’érosion du déplacement automobile. On a beau vouloir urbaniser des modes alternatifs, transports en commun, pistes cyclables, rues piétonnes, le partage de la voirie ne s’en trouve que faiblement amélioré.

Alors peut-être ce petit guide technique à l’usage des élus leur permettra-t-il de nourrir cette réflexion que beaucoup évitent sur les raisons de nos cheminements et les voies qu’il faudrait défricher pour venir à bout d’un usage aussi absurde de notre mobilité…

 

 

Transport et écologie, Inddigo, éd. le Passager clandestin, nov. 2012, 144 pages, 10 euros, isbn : 9782916952741.

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8 janvier 2013 2 08 /01 /janvier /2013 05:55

occupynetwork.jpgPlutôt que de rester les corps souffrants de l’antique rébellion, devenons des corps opaques à cette lecture triviale de notre être que le capitalisme, dans sa mouture néolibérale, propose : entrepreneurs de désirs lisibles en termes d’une dépense économique qui seule déterminerait la valeur de leur être…

Devenons des êtres et non plus seulement des genres, ou des nombres, des êtres réfractaires à l’exploitation de la vie individuelle que le néolibéralisme assigne, acharné qu’il est à traduire les compétences des uns et des autres en termes financiers pour renflouer un marché de la Vie Bonne qui prend l’eau de toute part. Des êtres réfractaires à l’extension du domaine de la domination que le néolibéralisme ordonne, obstiné qu’il est à étendre son emprise sur ces espaces de la vie individuelle qui lui échappent encore et dont il cherche les moyens de les thésauriser pour les forclore.

Recousons ce qui a été déchiré : cette vie relationnelle que le néolibéralisme, promettant le déploiement d’hommes talentueux mais aux relations exclusivement intéressées, a détruit. Et réalisons que le néolibéralisme a beau promouvoir des individus riches, libres, épanouis, dans la réalité, il n’a ajouté aucune valeur à l’être, lui soustrayant au contraire ce qui faisait sens d’être : le politique.

Echappons donc aux règles du néolibéralisme précarisant les individus, précarisant les collectifs, les assignant à des lieux clos sur eux-mêmes, des temps verrouillés pour les rabattre sur l’infime de l’instant, de la performance qu’il saura vendre dans l’enceinte de la galerie, du stade, du temps d’antenne ou d’information exploitable jusqu’à la nausée.

L’expérience nouvelle, aujourd’hui, c’est refuser d’être assigné à un temps ou un espace où vivre des expériences lacunaires, sans lendemain, petites secousses insatiables qu’il faudra demain réitérer pour nourrir l’illusion d’une vie féconde quand elle n’est déjà plus de ce monde mais de cet autre, virtuel, que le néolibéralisme nous alloue bien volontiers, réalité sans esse, sans fondement ni perspective.

giotto.jpgL’expérience nouvelle, c’est déserter l’espace marchand, y compris celui de la culture, pour rendre nos événements publics, illimités, in-assignables. C’est inventer des modèles économiques précaires, incertains, où tenter néanmoins de tisser des résonances et prendre le risque de les déployer le plus largement possible.

Partout s’invente du reste ces échappées belles d’un monde autre déjà. Ici même, sur ces réseaux sociaux si manifestement naissants et malgré les sirènes que les plateformes déploient. Un blog n’est pas une marchandise, quand bien même la structure qui l’accueille voudrait en exploiter l’audience. Un blog n’est pas un savoir universitaire, aujourd’hui monnayé au prix fort. De même qu’un collectif d’artistes, une communauté d’information peuvent être des territoires libérés, quand bien même ce collectif ou cette communauté seraient tentés de devenir la vitrine d’une posture intellectuelle et se verraient bientôt rattrapés par le nom vide (Culture, Création) de toutes ces choses auxquelles nous n’avons plus voulu croire :critique sociale, politique, etc. …

L’essentiel se joue ailleurs : entre les êtres, dans la trans-individualité que ces réseaux, dans leur balbutiement, inventent, et qu’importe la naïveté qu’on y met : il s’y lit, s’y entend des échanges souvent inouïs, une sorte de prise en charge collective des raisons d’exister qui témoignent, peut-être, de ce frémissement d’un autre monde possible. D'un monde qui sait défricher ce qu'il en coûte d'être avec d’autres au monde, non dans le dépassement de la vision politique du monde, non dans le dépassement de l’être-avec de la Polis pour un être-pour maculé de son seul souci du monde, non pour sortir de la vision politique du monde, mais au contraire, pour faire enfin rentrer dans la polis la zoê qu'il lui manque, cette ouverture à la contemplation qui est peut-être la secrète éthique perdue de la préoccupation, que pointait Heidegger.



 

image : Giotto, Padoue, détail, la prière des prétendants...

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7 janvier 2013 1 07 /01 /janvier /2013 05:58

occupy.jpg"Pour que l’économie fonctionne, (…) il faut qu’il y ait des humains qui acceptent de voir leurs vies conduites par les règles de l’économie", affirment les auteurs du Collectif pour l’intervention.

Des règles qui se sont mises en place à partir des années 1980. Des règles qui changèrent le visage du capitalisme, pour l’orienter non plus vers l’exploitation du travail, mais celle de la vie : il lui fallait désormais contenir les expressions de la vie pour qu’elles restent compatibles avec le maintien de son existence. A savoir : il ne devait subsister que des populations (catégorie biologique), non des Peuples (catégorie politique), des individus plutôt que des masses, entrepreneurs de leurs propres désirs, lisibles en termes de dépense économique. Des individus producteurs des dépenses qui seules détermineraient la valeur de leur être. Excluant toute autre lecture, le néolibéralisme tout comme la social-démocratie, s’employèrent à repérer les compétences des uns et des autres en termes de marchandise potentielle. Et ce n’est qu’en ces termes que la mondialisation balbutiante accepta de lire les parcours individuels, à commencer par ceux des artistes et des acteurs de la culture qui, non content de devenir une marchandise, devint le lieu d’exaspération de ce vide existentiel où nous nous abîmions, le nom de toutes ces choses que nous pratiquions désormais sans y croire : critique sociale, révoltes, révolutions, au point que nos affirmations culturelles devinrent de tragiques fausses idoles. Et quant à la politique, elle devint peu à peu l’art de l’administration experte comme politique sans politique, ainsi que l’analyse avec talent Slavoj Žižek,  tout comme la réalité virtuelle est devenue notre commune réalité, sans l’être (esse).

Et des années 1980 à nos jours, la néolibéralisme, fort de nos renoncements tout autant que de notre enthousiasme à abandonner le front des luttes sociales et politiques, a confisqué toute l’initiative entre ses mains.

collectif-copie-1.jpgLe soit-disant système économique dont on nous rebat les oreilles, loin d’être autonome, n’existe donc que parce que nos conduites le perpétuent. Tout autant qu’il n’existe pas de système capitaliste : il y a des gens à l’origine du capitalisme financier qui nous étrangle.

Ce qu’on appelle économie n’est ainsi en réalité rien d‘autre qu’une politique. Celle d’une classe au pouvoir, que l’on ne peut plus appréhender du reste à l’intérieur d’une vision strictement sociologique mais politique : la classe du pouvoir, la classe politico-médiatique.

Une classe qui n’a cessé de nous faire la guerre et contre laquelle, désormais, se dressent des millions d’humains décidés à récupérer leur être. D’Athènes à Wall street, on sent partout bouger les lignes de cette guerre mondiale.

La crise est politique, il n’en faut pas douter. Non économique.

Et d’Athènes à Wall street, en passant par Notre-Dame des Landes, ce que les révoltes ont en commun, c’est de constater l’épuisement des formes conventionnelles des luttes.

Ce qu’elles ont en commun, c’est de dénoncer le pouvoir de cette classe politico-médiatique à décider de quelle manière les 99% que nous sommes doivent conduire leur vie.

Ce qu’elles ont en commun, c’est de refuser que seul l’Etat ait la possibilité de confectionner notre monde.

Ce qu’elles ont en commun, c’est de dénoncer la fastidieuse mascarade électorale qui nous prive, toujours, de nos droits les plus élémentaires.

Ce qu’elles ont en commun, c’est de contester la séparation entre les luttes politiques et la lutte pour une vie meilleure.

Il faut cependant, ici, nuancer l’analyse : toute la culture des années 60, 70 visait au dépassement du politique pour privilégier la lutte pour l’invention de formes de vie nouvelles, sans attendre de grand soir, voir pour sortir de l’impasse dans laquelle avait fini par sombrer la lutte des classes. Des collectifs organisèrent des formes originales de sécession, d’auto-subsistance pour se passer des médiations du capital, sans s’apercevoir que celui-ci se recomposait et s’orientait désormais précisément vers l’exploitation de la vie, et non plus du seul travail.

Sans doute ces utopistes ont-ils su défricher des territoires neufs. Il faut poursuivre dans cette lignée, nous passer autant qu’il est possible des médiations du Capital.

Mais ce n’est pas suffisant. Il y a aujourd’hui dans le monde une profusion de potentialités révolutionnaires. Des comités, des associations, des regroupements, des collectifs qui forgent peu à peu les outils d’une lutte enfin mature, où concrétiser des choix politiques nouveaux.

Il faut pousser à la roue, élargir la base sociale de nos révoltes, confronter nos discours, nos exigences, et ne jamais perdre de vue, ainsi que les Indignés français l’ont fait, que l’AG n’est pas le terme de la lutte. Il faut nous projeter dans des actions concrètes, prendre en main, collectivement, nos revendications. L’égalité ne peut s’imposer : elle se construit. Construisons-la.

 

 

Communisme : un manifeste, Collectif pour l'intervention, éditions NOUS, hors collection, septembre 2012, 96 pages, 8 euros, ISBN: 978-2-913549-78-4.

 

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24 décembre 2012 1 24 /12 /décembre /2012 05:58

 

 

Mallarme.jpg«Je t’apporte l’enfant d’une nuit d’Idumée !», s’exclame Mallarmé dans ce poème qu’il vient d’écrire : Le don du poème. Mallarmé a veillé toute la nuit, toute la nuit il a tenté d’écrire son poème en songeant à une œuvre plus grande qu’il ne parvient pas à finir. Sa femme vient de se lever et s’occupe de leur enfant, une fille. L’entend-on pleurer dans le poème, que ses cris ne sont que barbares, hostiles, tourments infligés à la création poétique. Car cette enfant lui confisque la seule naissance attendue, celle du grand œuvre poétique. Mallarmé travaille à Hérodiade. Toute la nuit. Mais au petit jour, il n’a pas avancé d’une ligne. Il vient tout de même d’écrire ce curieux poème, jeté à la figure de sa femme qui lui a certes fait le don d’une fille, mais qui est incapable de lui donner un meilleur enfant, celui qu’il attend et qui n’est pas de chair et qui n’est pas de bosses, de cris ou de succion. Elle s’est recouchée, l’enfant dort. Mallarmé sait que bientôt, tout ce monde se réveillera de nouveau, fera du bruit, balbutiera, l’interrompra et que lui-même devra se lever, se laver, s’habiller et se rendre à l’école, où il enseigne. A Tournon. Avec sa vue plastronnée sur le Rhône — «fuir, là-bas fuir, je sens que les oiseaux sont ivres d’être parmi l’écume inconnue et les cieux… », etc.

Dans les reflets de la vitre, Mallarmé saisit le chatoiement de sa lampe à pétrole. La mèche se consume indûment, dégage une fumée maussade. Le pétrole est de médiocre qualité. Il sent mauvais. Tout l’appartement empeste. Pourtant, à Tournon, dans cette ville bâtie en bordure du fleuve toujours impétueux, dans l’humble salon au parquet impeccablement ciré et dont les lattes sont disjointes par endroits, Mallarmé transpose sa vision, ouvre son logis à l’inconnu des intervalles orientaux, file ses nuits en afféteries lexicales, ciselant ses joyaux jusqu’à ce que l’aurore se jette sur la lampe, en brise le verre  «brûlé d’aromates et d’or», et qu’il ne reste au milieu des «palmes» de sa chimère endormie, que les cris d’impatience de la jeune Mallarmé cherchant le téton de sa mère. Cet insomniaque toute la nuit à son texte, au moment où le jour aborde, ne peut alors retarder l’angoisse qui l’étreint, tout comme le dégoût à la vue du bébé, les lèvres lourdes du lait qui goutte au sein. C’est qu’il déteste cette enfant. Elle est comme le décor avachi du quotidien qui l'emmure : l’école, son épouse malade, l’inanité de l’écriture, sa viduité quand elle croit s’emparer du monde et ne fait que camper à sa porte. Bordel, n’a-t-il pas à recréer le monde pour le faire mieux corner dans l’acte poétique ? Alors cette enfant, c’est l’exténuation dans laquelle le jour l’embobine. Qu’on lui donne trois jours et Mallarmé aura réinventé la poésie ! Trois jours, pas un de plus, il aura dit le monde inédit où il accoste, déployant son drapeau en une dernière frénésie. Après lui, le siècle sera mort et la littérature défaite. La poésie aura rendu son souffle, les versificateurs ne feront plus qu’arpenter son champ désolé. Alors cette enfant, Dieu !

Et pourtant, aujourd’hui, je ne peux entendre que Valéry sur le même sujet, qui épela dans la joie l’acte tendre de sa paternité, «d’être et de n’être pas», «vivant de l’attendre quand son cœur n’est pas même encore dans ses pas».

 

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23 décembre 2012 7 23 /12 /décembre /2012 05:33

Les quartiers interdits de la Cité Pourpre, à l’intérieur des palais impériaux de Pékin, sont construits sur le même plan que Khanbalic, la grande cité des empereurs mongols fondée en 1267 par Kubilai-Khan (1215-1294, petit-fils de Gengis Khan, il régna à l’époque de Marco Polo -voir image). Ce plan offre la forme d’un rectangle divisé en lots rectangulaires, les Fang, orientés selon les quatre points cardinaux.

Le Palais impérial proprement dit, le Kong Tch’eng, ou Cité Pourpre, est une sorte d’enclos presque carré, mesurant un peu plus d’un kilomètre du Nord au Sud, et sept cent quatre vingt six mètres d’Est en Ouest. Il est entouré d’un large fossé et d’un mur de plus de sept mètres de hauteur, de couleur rosâtre, qui ne donne pourtant pas son nom à la Cité, lequel vient d’une allusion à l’étoile polaire : le Palais impérial est le centre de gravitation du monde, comme l’étoile polaire (Tsen-weising) est le centre du monde céleste.

A l’intérieur de ses nombreux quartiers, celui du T’ai Ho tien (pavillon de l’Harmonie Suprême), le premier des trois grands pavillons construits sur la grande terrasse de marbre à trois gradins. Le plan de cette terrasse est celui d’une double croix dont il manquerait la tête. On y accède par un triple escalier qui se répète à chacun de ses étages. Ici encore, sur l’axe médian, les marches sont remplacées par des rampes inclinées, sur lesquelles les dragons impériaux planent au milieu des nuages et des vagues. Sur les deux escaliers latéraux, les degrés sont ornés de sculptures de bêtes diverses et entre les escaliers se trouvent dix-huit bassins en argent massif. Sur la terrasse proprement dite, deux énormes grues et deux tortues de bronze montent la garde. Plus loin, sur les côtés du pavillon, quatre immenses bassins servent de lampes à huile - des mèches flottantes voguent sur cette mer grasse. Le T’ai Ho Tien est le lieu des cérémonies du Jour de l’an chinois, du solstice d’Hiver et de l’anniversaire de l’Empereur. Sur une haute estrade à laquelle accèdent trois escaliers se trouve le trône, entouré de vases, de brûle-parfums, de paravents de coromandel, de dressoirs.

Le Pao Ho Tien (pavillon de l’Harmonie Protectrice) est situé le plus au nord de tous les édifices de la Chaussée du Dragon. Il est construit exactement sur le même plan que le T’ai Ho Tien, avec une salle à cinq nefs dont la plus large est rehaussée d’un plafond à caissons. Son toit est divisé en deux parties ; sur son petit côté, il forme des demi pignons et non des pentes entières, forme qui est censée être la moins recherchée. C’est, avec ses proportions plus modestes, le seul élément d’architecture qui le différencie du T’ai Ho Tien. Le pavillon de l’Harmonie Protectrice est le lieu où l’Empereur reçoit les Lettrés qui ont conquis les grades les plus élevés. La salle est remplie de vieux livres ; des murs percés de galeries secrètes la rattachent aux galeries latérales de la cour extérieure et marquent la limite de la zone accessible au public : ses portes en demeurent immuablement fermées.

Dans les appartements impériaux, les quartiers de l’empereur sont beaucoup plus petits que les appartements de l’impératrice douairière. Ils se composent de trente-deux salles, dont beaucoup ne sont jamais utilisées. Toutes sont cependant meublées avec la même richesse. Derrière ce bâtiment se trouve le palais de la jeune impératrice, plus modeste encore. Plusieurs autres bâtiments servent de salles d’attente aux visiteurs. Il y a également plusieurs bâtiments qui paraissent ne servir à rien et dont l’affectation est inconnue ; les portes en sont scellées et personne ne sait ce qu’ils contiennent. L’impératrice elle-même n’y est jamais entrée et la porte de l’enclos qui enferme ces bâtiments est toujours solidement gardée. Ils ne ressemblent à aucun autre édifice du palais et paraissent vétustes. De place en place, on y devine des ornements en céramique jaune et verte. Les murs sont d’un rouge délavé, l’entrée est taillée dans d’énormes blocs de marbre noir. Il y a un tabouret d’ébène en laque rouge incrusté d’émaux posé en permanence sous le porche de la porte principale.

 

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22 décembre 2012 6 22 /12 /décembre /2012 05:38

 

islande.jpgOctobre 2008, une poignée de militants d’un genre nouveau, gauche radicale et ménagères excédées par le comportement des banques et de leurs dirigeants politiques, descend dans la rue, s’empare des réseaux sociaux et lance une pétition nationale exigeant la démission des politiques au pouvoir. Manifs à la louche –de cuisine. La ménagère de plus de cinquante ans, raillée par les médias occidentaux, n’en démordra pas, faisant le siège du Parlement jour après jour. Par deux fois, le peuple islandais va tout d’abord refuser de payer les dettes des banques privées et dans la foulée, réalisant combien il est vain de demander aux politiques d’accéder à ses vœux, va changer le monde, refuser que l’on touche aux acquis sociaux et contraindre ses élus à la démission. Mieux : les islandais vont concevoir -vous avez bien lu : «les» islandais- une sortie de crise démocratique qui tournera résolument le dos aux recettes néolibérales !

Sur le terrain civique, l'exemple est foudroyant. La mobilisation citoyenne de ce pays que l’on avait transformé en laboratoire néolibéral, va opérer un tournant politique sans précédent, faisant de la démocratie participative l’expression  souveraine de sa nouvelle Constitution !

Chronique d’une révolution européenne à nul doute aussi importante dans l’histoire de la démocratie que le fut la Révolution française, l’ouvrage publié par les éditions de la Contre-Allée rend compte de cette expérience unique dans les annales du monde occidental : celle de l’élaboration collective, via les réseaux sociaux, d’une «proposition pour une nouvelle Constitution pour la République d’Islande».

C’est tout le cheminement des consciences qui nous est offert, tout autant que celui, politique et social, de l’élaboration de cette Constitution -qui n’est certes pas encore adoptée officiellement, tant les résistances sont grandes, autant à Droite que dans la Gauche de pouvoir.

Une expérience où l’initiative citoyenne fut un modèle de législation par démocratie directe, introduisant une rupture décisive dans l’histoire du développement du principe démocratique.

Du grand forum national, de son organisation concrète à l’élection d’un Comité Constitutionnel, évidemment conspué par le personnel politico-médiatique, à la mise en place de leur Constituante, un tel processus, une telle maturité politique laissent rêveur… Car tout au long du changement introduit dans la vie politique nationale, c’est assurément un changement des mentalités qui s’est opéré, conduisant à une réflexion collective sur l’identité islandaise qui aura abouti à la production d’un tableau des valeurs fondamentales de la république islandaise (700 pages), base de la délibération qui a permis aux délégués élus du Comité Constitutionnel de rédiger cette nouvelle Constitution !

Ce mécanisme, qui était aussi un processus électoral, s’est mis en place dès l’année 2010. Pétitions en ligne, convocation d’un referendum légal, élection d’une Assemblée Constituante (illégale), scrutin au suffrage universel direct, avec au final une représentativité supérieure à celle des parlementaires en titre ! Vingt-cinq élus en sortiront, quinze hommes et dix femmes. Vingt-cinq délégués qui se mettront aussitôt au travail dans la plus grande transparence, publiant tous les jours leurs discussions, mettant en ligne sur le compte facebook de cette Constituante leurs délibérations, ouvertes jour après jour aux commentaires et suggestions des internautes pour nourrir ce dialogue exceptionnel !

Du document produit, qui est intégralement publié dans l’ouvrage, on retiendra l’affirmation de la propriété collective des ressources naturelles de la nation  islandaise, l’introduction de l’initiative populaire dans l’élaboration des lois, les modalités du contrôle de l’exécutif et du pouvoir législatif enfin remis au corps électoral -ce qui est loin d’être le cas chez nous, par exemple ! Et bien évidemment, la création de commissions indépendantes pour le contrôle du monde de la finance et des banques. Un exemple à méditer !

 

 

La Révolution des Casseroles. Chronique d'une nouvelle constitution pour l'Islande, Jérôme Skalski, éditions La Contre Allée, coll. Un singulier pluriel, octobre 2012, 120 pages, 13,50 euros, ISBN-13: 978-2917817117.

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21 décembre 2012 5 21 /12 /décembre /2012 05:22

gargouille.jpgL’Homme surgi des méditations cartésiennes est solitaire, inachevé.
Cet inachèvement devient sa matière même, qui le contraint au recours à la nécessité : dès la Deuxième Méditation, le cogito est fondé en Dieu, sans autrui, sans durée.
Dans cette solitude égologique, il ne peut compter que sur une seule certitude : il sait qu’il pense.
Mais il ne sait pas où…
Car tout le reste est demeuré dans les Ténèbres : autrui, la durée, Dieu lui-même.
L’ego de la deuxième Méditation est d'une certaine manière autiste.
Ce n’est qu’à la Sixième Méditation que Dieu le réassure dans un environnement, à commencer par le sien, immédiat : sa corporéité.
Tout se joue alors, comme l’expliquait magnifiquement Rogozinski, dans la césure qui sépare les Méditations deux et trois : dans la Deuxième, l’ego est sujet, dans la Troisième, Dieu le précède.
Il y a ainsi une faiblesse ontologique du sujet cartésien, qui n’arrive pas à se fonder comme sujet, parce qu’il n’arrive pas à s’assumer dans la durée. Le cogito est intermittent de son propre spectacle. « J’existe, mais combien de temps ? Autant que je le pense » (2ème Méditation). Car dès que je cesse de me penser, je ne suis plus certain d’exister… Dans la brèche de la durée surgit le menace d’un Dieu trompeur. Peut-être le Temps est-il finalement plus puissant que le Malin…
Le cogito doit s’affirmer comme rassemblement, mais il ne parvient à se focaliser qu’en un point qui ne cesse de se dérober. De sorte que l’ego devient la proie d’un Autre.
A moins qu’un seul instant suffise à l’assurer dans son évidence, comme les modernes ont voulu le croire : cogito ergo sum. A moins qu’il ne s’agisse d’une vaste fumisterie, car pour penser, il fallait déjà être (ergo), si bien qu’il connaissait la conclusion de tout cela avant même de s’en poser la question.
Nietzsche, avec malice, se demandera de quel droit l’on peut énoncer que c’est moi qui pense, dans cet intitulé cartésien. Sinon d’un droit purement formel : celui d'une opportunité langagière. Si bien qu’il finira par se demander si des fois Descartes ne serait pas resté prisonnier des mots, et nous avec : tant que nous croirons à la grammaire, l’ego devra se réclamer du secours divin. Mais si, ainsi que le reformulait Lacan, j’étais où je ne pensais pas et je pensais où je n’étais pas ?


Image : John Taylor Arms (American, 1887-1953), Le Penseur, Notre Dame, 1923.

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20 décembre 2012 4 20 /12 /décembre /2012 05:56

ghandi.jpgLe petit anthropos est comme ça : il danse, bouge. Il remue et place toute son attention dans le montage de ce qu’il met en scène : des gesticulations d’abord imprécises, inadéquates, et puis des gestes qui finissent par dessiner un mouvement.

On le voit ainsi s’affairer dans le monde avec beaucoup de fébrilité et beaucoup d’obstination.

Dès le début.

Bien sûr, ses tentatives se révèlent tout d’abord erratiques. Il tourne autour d’un geste, le pose en équilibre devant lui, l'observe. Où trouve-t-il l'intelligence de bâtir avec autant de méthode l’architecture de sa réalité ?

La curiosité de l’enfant devant les gestes que le monde lui offre est à peine croyable.

Plongé dans le bruit de la vie, il n’en finit pas de recomposer en lui ce qui s’est joué à lui d’une façon souvent anodine.

Tout joue devant lui, là-bas, sans que l’on sache si ça joue pour lui ou non, sans que l’on sache si ça joue pour que tout puisse se rejouer ensuite en lui, ou bien s’il ne fait que jouer lui-même dans l’ignorance de ce qui s’est joué, pour que le monde puisse encore, là-bas, se jouer.

Alors il bouge. Et chacun de ses gestes est doublé d’un bruit, peut-être un son, demain un mot qui saura le remplacer.

Car les mots proférés vont bientôt creuser son destin et dans leur triomphe, le geste corporel deviendra pour ainsi dire inutile. Pourtant, ce geste manquant ne cessera d’affleurer, de remonter à la surface pour devenir à son insu la vraie profondeur : la berceuse et son balancement, l’enfant au bout d’un bras, enroulé dans son rythme corporel.

 

Images : Gandhi jouant avec l'un de ses petits enfants sur la plage de Bombay copyright ybnag.

à Marcle Jousse, pour son anthropologie du geste...

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19 décembre 2012 3 19 /12 /décembre /2012 05:41

 

walter.jpgDes récits, des histoires, des contes, rédigés en même temps que Sens unique (1928), et Enfance Berlinoise (1932-1938). Des aphorismes, de très courts textes en fait la plupart du temps, quelques lignes, quelques pages. Walter Benjamin entendait apporter sa contribution à un débat initié par Adorno. Hors du concept, hors de toute cohérence théorique, s’exposant, se risquant, risquant dans ces formes fugitives une réconciliation qu’Adorno affirmait "prématurée", illusoire : celle que l’art propose.

Benjamin fourbissait une réponse le plus possible éloignée de toute prétention au système, déployant ses exercices littéraires dans l’ordre de l’insignifiant mais renouant pourtant avec les romantiques allemands, dans la substitution de la mythologie de la ville à celle de la forêt et campant l’immanence sans espoir de la bourgeoisie moderne comme le vrai lieu de son intériorité. Avec presque une note de dérision dans l’emploi de la forme du conte, auquel il portait un vif intérêt. Explorant les impasses, déjà, de ce qui allait devenir notre horizon commun avec ces littératures enfermées sur elles-mêmes, dans les plis d’une grammaire sûre et stérile, n’offrant pour tout virage formel que les ficelles où elles paressent, les lisières où elles pontifient. Et mine de rien, il offre ça et là des réflexions superbes sur l’art de lire les romans, ce petit tour d’adresse dans un monde pauvre en histoires, tout entier porté désormais vers l’apologie de l’information, ce genre de communication plus ou moins philosophisante où le village littéraire se complaît, déballant des bibliothèques que ne recouvre que l’ennui feutré du classement.

Contre l’ironie maladive de ce que le genre est devenu, Walter Benjamin salue le fatras que les livres hasardent, où renouveler non l’art d’écrire, mais celui d’exister.

  

 

 

N’oublie pas le meilleur, Walter Benjamin, traduit de l’allemand et annoté par Marc de Launay, éd. de l’Herne, novembre 2012, coll. Romans, 120 pages, 15 euros ISBN-13: 978-2851972484

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