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La Dimension du sens que nous sommes
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black bloc, histoire d'une tactique, Camille Svilarich

15 Avril 2023 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

Rappelons d'emblée que le black bloc n'est pas un groupuscule mais une tactique, «une formation historique contingente» comme l'écrit l'auteure, qui s'est inventée et se réinvente aujourd'hui encore dans ce que les manifestants français ont fini très justement par nommer le cortège de tête : une manière collective et spontanée de s'organiser pour faire face aux flics dans une configuration fluctuante. Une tactique qui a une histoire, que Camille Svilarich analyse.

Une histoire qui plonge ses racines dans les mouvements d'extrême gauche du début des années 70, en filiation directe avec ceux que l'on a appelé les maos spontex en France, délaissant la théorie pour la pratique et affirmant avec force la capacité à s'émanciper et à se libérer individuellement. Or ce ne sont pas les français qui ont inauguré cette tactique, mais les «opéraïstes» italiens, héritiers des maos spontex, et ce dès l'année 1973, au moment où les maos français liquidaient la Gauche prolétarienne. Les «Spontis» constituèrent alors des réseaux sur les restes du mouvement maoïste, organisés en cellules fluides et autonomes, chargées de penser la riposte à la répression policière. Très vite, ils découvrirent que la tactique ne pouvait être que « spontanée », à remodeler chaque fois pour faire face à des situations chaque fois nouvelles. Et bien que leur devise ait été de rester imprévisibles, à cause de leur ancrage universitaire, ils n'y parvinrent jamais. Le mouvement se réorienta du coup vers la création de squats. Mais ces squats étaient pensés comme leur propre fin et non un moyen. Malgré leur relatif échec, les Spontis ouvrirent la voie aux mouvements anti-autoritaires des années 80, dont les autonomistes antifascistes italiens furent les héritiers.

Les autonomistes allemands récupérèrent ensuite leurs idées en réinvestissant cette fois les luttes sur le terrain de l'écologie. Dans ce contexte apparurent les premiers Schwarzer Blocks, autour de militants autonomes. Hélas, l'état d'urgence décrété en Allemagne en 1977 mit fin à cette émergence. Ce sont les allemands qui mirent en place le dress code noir du black bloc.

L'appellation black bloc, quant à elle, apparut une première fois à Seattle, lors de la marche du 26 janvier 1991 contre la guerre du Golf. Et c'est toujours cette même ville qui en consacra le mythe, lors de véritables batailles qui y furent menées entre le 30 novembre et le 3 décembre 1999, en une démonstration magistrale. Seattle était bouclée. Une immense chaîne humaine se mit en place pour encercler ce bouclage. Et dès la première nuit, les militants se constituèrent en petits groupes autonomes qui détruisirent toutes les vitrines des banques. Le lendemain eurent lieu les affrontements directs avec la police.

 

En France, c'est la loi Travail de 2016 qui contraignit les manifestants à récupérer ce savoir militant, face à une police encouragée par le gouvernement socialiste à les violenter. Par la suite, les Gilets Jaunes durent affronter une violence inouïe à leur tour, laissant la Nation désemparée, à l'exception d'une poignée de jeunes militants qui installèrent définitivement le black bloc dans le paysage de la contestation française.

Face à l'ensauvagement de la police française, il s'agissait alors pour le cortège de tête de rester humain en usant d'une violence rationnelle, en refusant de la prendre pour une fin en soi, ce qu'elle était devenue pour ladite police. Au printemps 2016, le terme s'installa définitivement dans l'imaginaire collectif, mais aussi et surtout dans le vocabulaire répressif, en se substituant à celui d'ultra gauche. La presse l'utilisera désormais au pluriel, les Blacks Blocs, pour désigner un groupe imaginaire, fantasmé, alors qu'il ne peut s'employer qu'au singulier : le black bloc, encore une fois, est une tactique, pas un groupe terroriste. La confusion était bien sûr volontaire, donnant à croire à la constitution d'une ultra gauche terroriste, et permettait, jusqu'à aujourd'hui, d'éviter d'avoir à reconnaître que dans le cortège de tête il n'y avait plus seulement l'ultra gauche, mais des citoyens éclairés, en colère. La figure du casseur, au passage, semble désormais n'appartenir qu'au vocabulaire ahuri du népotisme médiatique.

Le black bloc a ainsi émergé en France quand la jeunesse a fini par réaliser qu'elle en avait assez de prendre des coups lorsqu'elle manifestait pacifiquement. Quant au répertoire d'action de la tactique, on le connaît bien à présent : destruction des symboles d'un modèle de société failli, vitrine de banques, mobilier publicitaire, etc. Affrontement direct avec la police, vigilance sur les nasses et désormais stratégie dite de guérilla urbaine, en réalité de mobilité et d'affliction pour épuiser sur le long terme les forces de répression. Manque une coordination réfléchie pour «piloter» le bloc.

 

Le black bloc à la française semble aujourd'hui se renouveler : on le sait, l'affrontement direct avec les forces de l'ordre n'est plus possible, la police française s'étant militarisée à outrance et déployant sur le terrain des armes de guerre. Reste la stratégie d'affliction que l'on a vu se concrétiser le soir de l'utilisation du 49.3, ou celui de la validation de la loi par le Conseil Constitutionnel : des groupes de manifestants dispersés dans Paris, avec toujours une poubelle d'avance sur des flics acculés à leur courir après. Ce genre de tactique est la forme politique «nécessaire pour penser l'époque contemporaine», celle qui révèle l'essence et la sclérose du pouvoir de la Vème république : la police, dernier rempart d'un pouvoir meurtrier, à la poursuite du Peuple français.

 

Camille Svilarich, black bloc, histoire d'une tactique, illustré par Fleuryfontaine, éditions excès, collection sciences humaines, mai 2022, 128 pages, 10 euros, ean : 9782958118815.

 

 

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La Constitution de la Vème République : une relique qui non seulement infantilise la société française, mais l'étouffe.

17 Mars 2023 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

De législature en législature, d'année en année même, elle n'en finit pas de révéler son visage autoritaire et sa seule raison d'être : confisquer le pouvoir entre les mains d'une minorité. Immature, elle traduit le fanatisme de ses sectateurs, à commencer par leur grande défiance à l'égard d'un peuple déjà dépossédé de sa souveraineté, sinon leur mépris, tout autant que leur démence à croire que l'état ainsi défini surplomberait la société plutôt qu'il en émanerait, et dans lequel l'intelligence serait du côté de ses dirigeants. Mais les exemples abondent avec les quinquennats Macron, de leur immense bêtise !

 

Article 49.2 sur la survie du gouvernement en absence de majorité, article 49.3, le plus connu, article 38 du règlement du Sénat, article 47.1 écourtant les débats à l'Assemblée Nationale, article 45 et son huis clos de la CPM, article 16 proclamant les pouvoirs exceptionnels, article 26 interdisant la poursuite des membres du gouvernement, article 38 autorisant de légiférer par ordonnance, article 40 délimitant le périmètre des amendements, on n'en finirait pas de dénombrer la nocivité de cette Constitution, on n'en finirait pas de réaliser combien elle est un leurre fait pour nous abuser, ce dont nous allons encore avoir la démonstration dans les jours qui suivent avec le débat autour la motion de censure...

 

La minorité au pouvoir ne manquera pas, à l'occasion, d'affirmer que l'existence seule de cette possibilité de censure est l'expression d'une pleine démocratie. Mais elle taira qu'avec le dépôt des motions de censure, ce n'est pas la Loi sur les retraites qui sera mise au débat, mais tout autre chose. Mais elle taira que cette motion devra être votée à la majorité absolue pour espérer renverser le gouvernement, quant ses lois n'exigent elles aucune absoluité...

 

Le grand constitutionnaliste français, Guy Carcassonne, dans son étude sur la Constitution de la Vème, parlait à propos du 49.3 d'une « arme » entre les mains du pouvoir. Une « arme » ! Se doutait-il en la qualifiant dans ce champ lexical policier, qu'il en révélait du même coup les vraies intentions ? Qu'il révélait la vocation des gouvernements sous ce régime né d'une guerre, de se tenir toujours sur le qui-vive, toujours prêt à affronter la société civile si celle-ci venait à ne pas accepter sa soumission ?

 

Il est piquant de relire les notes de Guy Carcassonne au sujet du 49.3, déplorant son usage intempestif, quand il n'aurait dû être qu'exceptionnel à son avis. Mais au regard de quelle morale puisque l'article existe ?

Guy Carcassonne déplorait l'usage qu'un Valls en avait fait... Il est mort trop tôt pour évoquer celui, banalisé, sous la présidence Macron.

Il est mordant de lire déjà l'ahurissant prologue de Vedel, exposant ses doutes sur la méthode choisie par Carcassonne, d'analyser cette Constitution article après article quand à ses yeux, chacun de ces articles ne peut être « compréhensible » que mis en rapport avec le dessein général de l'ensemble... Son dessein général ? Mais ce sont ces articles qui le révèlent justement, en en dévoilant le caractère autoritaire. Et Vedel de filer une invraisemblable métaphore musicale, parlant d' "opéra" à propos de ce texte. Un « opéra » jouit-il, ajoutant non sans rire que l'objet de cette constitution était de faire que le goût du pouvoir tourne « au service de la société et de ses valeurs » ! A son dommage plutôt !

 

Guy Carcassonne il est vrai ne s'épargnait aucune louange à l'égard de ce vieux machin qui mure la société française dans une immaturité politique sans nom. Et de rappeler à son tour comme tant d'autres les circonstances dans lesquelles elle naquit. Fort bien. Mais nous sommes en 2022, non dans l'horizon de la guerre d'Algérie... Lutter contre l'instabilité politique ? Vous trouvez que le chaos social provoqué par la stabilité politique de la Vème est à tout prendre meilleur ?

 

La Constitution de la Vème, à la vérité, est un verrou que nous devons faire sauter pour enfin moderniser notre vie politique ! Pour en finir avec les gamineries de sales gosses capricieux de nos dirigeants, forcément féroces, tant leur immaturité est grande. Pour en finir avec un pouvoir dont la seule finalité est le pouvoir. Pour en finir avec la vulgarité de ministres incompétents et dont le bras d'honneur est le seul mode de reconnaissance. Pour en finir avec un gouvernement qui devrait assumer ses responsabilités devant le peuple souverain, mais qui s'y dérobe honteusement. Pour en finir avec une assemblée qui n'est même plus une chambre d'enregistrement, ni une assemblée de godillots mais un salle d'aise meublée de playmobils. Pour en finir avec une situation dans laquelle le Président est souverain, et le parlement son représentant avili.

La IV République tenait le Peuple à distance, la Vème l'a enfermé.

La démocratie ? Elle n'est plus qu'un élément de langage. Tout comme les Droits de l'Homme et du Citoyen.

 

« Une bonne Constitution, concluait Guy Carcassonne, ne peut suffire à faire le bonheur d'une nation. Une mauvaise peut suffire à faire son malheur ». Voilà, c'est précisément là où nous sommes.

Car la vérité d'un état démocratique réside en fait dans la nécessité d'un sommet contingent, labile. Cette déstabilisation fondatrice de la puissance suprême est l’essence même du caractère démocratique de nos sociétés, qui inclut dans le pouvoir politique la particularité de valeurs nécessairement opposées. De sorte que ce qui est fondamental, en politique, c’est la fonction d’opposition. Or en France, les derniers présidents de la Vème République se sont employés à mettre fin à cette vertu d’opposition, sans laquelle aucune démocratie digne de ce nom ne peut survivre. C’est pourquoi la rue a dû récupérer et devra récupérer demain ce principe d’opposition. Et devra mettre fin à ce régime présidentiel : la Constitution de la Vème République est devenue un outil obscène qui entrave la venue d’une société nouvelle.

 

La Constitution, introduite et commentée par Guy Carcassonne et Marc Guillaume, préface de Georges Vedel, 16ème édition, Points Seuil Essais, août 2022, 490 pages, 11.90 euros, ean : 9782757897034.

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Pas dormir, Marie Darrieusseq

4 Février 2023 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #LITTERATURE, #en lisant - en relisant

Non pas « ne pas » : pas dormir. Qu'il faut peut-être entendre en effet dans son adresse enfantine. To Die, to sleep... viendrait trop tôt, trop vite clore une vie d'insomniaque. Pas dormir. Ne pouvoir jamais s'absenter ni se reposer. Mais en qui, que la formulation enfantine donnerait à entendre ?

Ne pouvoir jamais s'absenter. Demeurer Prisonnier de sa conscience. « Pas dormir : errer sans ombre », écrit encore Marie Darrieusseq. Si les mots ont un sens, « errer », « sans ombre » qui plus est... Je ne connais que le diable, qui erre sans ombre... Peut-être Peter Schlemihl, qui vendit son ombre à l'homme en gris... Encore qu'errer paraisse trompeur. « Trompeur » placé ici à dessein, dans l'horizon du champ lexical «démoniaque» ouvert par son texte : errer sans ombre y serait le sommet de la tromperie sans doute. Rôder eût été préférable, se traîner, sans but : son récit n'est pas une méditation et s'il emprunte des chemins, celui des sciences naturelles ou de de la littérature, il n'explique rien, ne cherche aucun sens à cette histoire, ne pointe aucune perspective. Marie Darrieusseq déambule sans but, ce qui n'est pas même un chemin, ni être en chemin. Etrange paradoxe quand on songe aux voyages qui émaillent sa vie et son livre. Qu'explore Marie Darrieusseq ? Ne dirait-on pas plutôt qu'elle reporte une mesure, la sienne, du pas dormir, des uns aux autres : Duras, Kafka, Woolf, Gide, Plath... Elle égrène, comme l'insomniaque compte les moutons. Enumère. Une cohorte où prendre place plutôt que sens, sous l'ombre tutélaire du grand Kafka, saint patron des insomniaques. Marie Darrieusseq construit des listes. Proust, Pessoa. N'interroge pas Freud, qui dormait du sommeil du juste. Qu'est-ce à dire ? De quoi est faite la psychologie de l'insomniaque ? La psychanalyse qu'elle repousse d'un coin de manche. Est-ce un trouble psychique ? Que nenni. Est-ce un problème de conscience ? Alors... Mourir... dormir, -dormir- écrit Shakespeare, rêver peut-être... Mais de quels rêves, poursuit-il, qui pourrait nous venir dans ce sommeil de la mort, quand nous sommes débarrasser de l'étreinte de la vie ? Par sommeil de la mort, j'entends : l'insomnie.

Dormir, ne pas dormir... Seuls dorment les abrutis, ont toujours pensé les intellectuels. Longtemps les écrivains se sont vengés des « sonneurs » en refusant l'assoupissement généralisé. Enfin, à ce qu'ils disaient... Car bien qu'elle s'y refuse, et note, à peine en quelques mots que l'insomnie traverse toutes les couches sociales, Marie Darrieusseq partage ce préjugé : la classe sociale intelligente ne dort pas. Elle veille. Mais ce serait lui faire un mauvais procès (Kafka ?) que de l'enfermer dans ce fantasme d'élection. Dormir, écrire, existe-t-elle réellement cette littérature d'insomniaque ? Marie Darrieusseq recense. Tout. Jusqu'aux, bien évidemment, rituels d'endormissement. Et tout ce qu'elle a essayé. Mais jamais encore une fois n'introduit à la psychanalyse. Qu'elle contourne tapageusement pour nous offrir de belles pages d'un possible essai sur la chambre dont on sait ce qu'elle n'est plus déjà : un lieu où l'on ne naît plus, ni ne meurt. A peine le lieu d'une sexualité qui l'a quittée depuis bien longtemps, à peine encore peut-être ce fameux lieu à soi des adolescent, ou des enfants. Un nulle part pour les adultes.

Nulle part : c'est peut-être là qu'elle pourrait en venir, au bout de sa réflexion sur ce temps qui fige la nuit des insomniaques dans un univers privé d'espace. Qu'est-ce que le temps privé d'espace, sinon celui que nous promet la soporifique rédemption, cette éternité au goût de grande tasse trop vite au soleil allée, et ce, malgré l'extravagante résurrection de la chair.

Peut-être l'insomniaque, enfermé qu'il est dans un temps à l'arrêt, ne fait-il qu'expérimenter l'immobilité du dormant plus qu'il ne le croit, mais comme jeté soudain dans cette lucidité d'Hamlet réalisant que la conscience fait de nous des lâches et, prisonnier lui-même de sa conscience, se sait prisonnier d'une lâcheté dont il ne pourra pas se défaire... Car dans cette veille qu'il récapitule, lui saute aux yeux la calamité de si peu exister encore ou plutôt, la conscience que l'on n'est jamais vraiment, même insomniaque. Aucune trêve ne peut nous être accordée. Etre en n'étant pas, telle est notre défroque dont rien ne nous dépouille, ni le sommeil, ni l'insomnie.

 

Pas dormir, Marie Darrieusseq, P.O.L., août 2021, 308 pages, 19.90 euros, ean : 9782818053645.

#Marie_Darrieusseq #littérature #lettres #joeljegouzo #JoëlJegouzo #jjegouzo @editionsPOL 

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Des métiers carrément à l'ouest, Francis Mizio

3 Février 2023 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Non pas ces gagne-pain du pavé, du rémouleur au chanteur de rue, qui déchagrinaient nos villes d'antan. Ni ces métiers qui disciplinèrent la cité, comme celui de chiffonniers, non plus que ceux de la survie de 14-18, de ceux que les pauvres surent inventer pour ne pas mourir trop tôt de faim, de froid, de solitude, ni même ces fantasques «encaisseurs de gnons» ou «dépendeurs d'andouille» que chante magistralement Juliette Nourredine. Et moins encore ces «petits» métiers d'aujourd'hui qui saupoudrent les loisirs des riches d'un zeste de dédain, comme celui de plongeur-récupérateur de balles de golf (si, ça existe), ou mannequin vivant de vitrines de luxe (!). Pas même la très sérieuse fonction de demoiselle d'honneur professionnelle (seriously ?). Rien de tout cela dans l'opus de Francis Mizio : du rêve à foison, de l'imaginaire à revendre, chroniques de pure fiction, tout à la fois extravagantes et le plus fabuleusement documentées avec cet art consommé de l'érudition badine qui marque toute son œuvre. De l'ajouteur de grain de sel, de Guérande bien évidemment, auteur d'une ode de quinze mille vers dédiés au sel, au réjouisseur de veau du pays d'Auge, hélas disparu au tournant de l'année 1929, fatale à plus d'une industrie, en passant par l'éradiqueur de mouettes (on en dénombrait 300 en 1895), sans évoquer son invraisemblable sucreur de fraises qui aurait bien fait de s'asseoir sur les genoux de la noueuse de coins de mouchoir avant que ceux-ci ne disparaissent, n'hésitez pas à prendre la tangente que Mizio vous tend, désertez vos trop scrupuleuses vies, optez pour le changement de genre littéraire, tant «changement d'herbage réjouit le veau», pour qu'à l'Ouest enfin, le nouveau fasse enfin signe !

 

Des métiers carrément à l'ouest, Francis Mizio, Nantes, 2020, 94 pages, 10 euros, ean 9782956107607.

https://anchor.fm/francis-mizio

Le mieux est de contacter l'auteur : Francis Mizio's Pink Flamingo – Site parano bas carbone : Écriture – Vies vraie et numérique – Jobs – Méthode de pilates littéraires – Flamants roses

ou bien la Librairie L'établi : Librairie L'établi | Alfortville | Facebook

#librairieletabli

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Vivre deux cultures, Comment peut-on naître franco-persan ?, Bartrand Badie

16 Novembre 2022 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #essai, #essais

Essai d'ego histoire. Bertrand Badie se raconte, dans un essai de bout en bout placé résolument sous le signe de la tolérance, mieux : de la fidélité à une démarche intellectuelle qui l'a conduit à «prendre en compte un monde de souffrances plus que de puissance». Né d'un père iranien et d'une mère française, il incarne toute la trajectoire d'une humanité qui a fini, non sans mal ni fragilité, par se découvrir internationale plus qu'universelle, sinon transnationale, réalisant que «le monde est partout». Lucide, Badie n'ignore cependant pas ces vestiges du nationalisme le plus sauvage qui meublent encore notre décor politique et qui nous vaudront peut-être, demain, de connaître des heures plus sombres que n'en porte l'espérance qu'il annonce. Et c'est du reste particulièrement frappant de le voir retraverser le siècle pour nous montrer avec force combien cette scène politique rétrograde, qui est comme notre plafond de verre, s'oppose à la scène sociale qui plus que jamais, ne cesse de faire irruption partout dans le monde et dont il aura suivi tout au long de sa carrière la montée en puissance. En vain pour l'heure, certes. Mais dans une opposition au fond constitutive de cette modernité qu'il décrit si finement dans ses travaux. On ne s'étonne pas non plus de son travail autour du concept de pays humiliés, lui qui vécut l'humiliation de l'enfance, à travers les rossées que des débiles souchiens lui administraient dans son collège catholique peuplé des rejetons d'une aristocratie partisane d'une «France de l'ordre et du sang», selon sa très juste expression. Cette blessure originelle parcourt tout son témoignage et l'on comprend alors sa détermination à s'opposer à pareille volonté de construire une humanité hiérarchisée, pathologie vivace du système international, toujours réactivée par ces nations qui se croient supérieures.

On ne peut en définitive que souscrire au souhait qu'il délivre de voir succéder au temps des humiliés, le nôtre, celui de l'humain retrouvé, fort de ses ancrages multiples, fort d'une diversité qui fait la vraie richesse des nations.

 

Bertrand Badie, Vivre deux cultures, Comment peut-on naître franco-persan ?, éditions Odile Jacob, octobre 2022, 218 pages, 22.90 euros, ean : 9782415003111.

 

Sur le même :

Le monde n'est plus géopolitique, Bertrand Badie - La Dimension du sens que nous sommes (joel-jegouzo.com)

 

 

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En Guyane française comme dans toutes les forêts «matures», les arbres sont en train de mourir debout...

15 Novembre 2022 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #essai, #essais

Lors de la conférence de presse donnée par le CNRS le 27 octobre 2022, Le climat éclairé par la science, Jérôme Chave, chercheur au sein de l'équipe CNRS qui pilote la station de recherche en écologie des Nouragues, a fait part des dernières publications (fin septembre 2022) du CNRS, qui viennent solder une enquête menée depuis 1986. Il s'agissait pour cette équipe d'étudier les réponses des forêts tropicales au changement climatique, ces forêts dites «matures», qui n'ont pas été gérées par l'Homme depuis au moins une centaine d'années. L'Amazonie donc pour une grande part, mais bien d'autres également, en Indonésie, en Afrique, etc.

Ces forêts, rappelait-il tout d'abord, sont essentielles pour nous, car elles sont de vrais puits de carbone qui nous aident naturellement à éliminer une partie du surplus de CO2 fabriqué par les hommes. Et a priori, on pourrait s'attendre à ce que l'augmentation de CO2 dans l'atmosphère leur soit favorable. Or il n'en est rien. Ce que leurs recherches montrent, c'est que ces puits décroissent. Non parce que la photosynthèse y serait devenue moins efficace, mais parce que les arbres meurent. Ce sont ces réponses des forêts tropicales aux changements climatiques qui inquiètent les chercheurs, qui étudient les raisons de cette surmortalité des arbres. Il y a certes de grandes disparités entre ces forêts, mais les courbes présentées de séries temporelles réalisées continent par continent révèlent une constante : celle d'un « Standing death » des arbres. En cause, les sécheresses successives et la décroissance continue depuis 1992 de l'humidité dans la canopée forestière, provoquant une perte importante et continue elle aussi de la biomasse. Ces écosystèmes pourtant fondamentaux pour la planète, et qui sont de véritables sentinelles du changement climatique, pourraient ainsi s'effondrer.

Il faut rendre grâce au CNRS de nous alerter si bien, si vite, si collectivement plutôt que de garder pour lui des résultats complexes, présentés ici avec une pédagogie sans faille. Pour ceux que cela intéresse, la conférence est en ligne et ne déroge à aucune déontologie, ne jouant ni de simplification, ni de catastrophisme : il faut à notre tour avoir le courage de voir la réalité en face.

 

Station scientifique des Nouragues - Laboratoire Ecologie, Evolution, Interactions des Systèmes amazoniens (cnrs.fr)

photo : Vue drone de Camp Pararé, station scientifique des Nouragues

 

vidéo présentant le centre, l'équipe et leurs travaux :

https://youtu.be/xWKiNgF4N0g

 

vidéo  : Le climat éclairé par la science | Conférence de presse - YouTube

 

#climate #climatecrisis #climateaction #cnrs #nouragues #amazonie #guyane #JoëlJégouzo @JegouzoJ 

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Au lourd délire des lianes, Francis Mizio

14 Novembre 2022 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Hénaurme1 !

Un immense exercice de liberté dont on peut souhaiter qu'il rencontre en miroir le même affranchissement de ses lecteurs, de tous les codes qui enferment d'ordinaire leur lecture dans les tribulations malingres des genres trop lustrés pour être honnêtes. C'est que Mizio a fait feu de tout bois : glossaire, bibliographie, webographie, cosmogonies fabuleuses, mythologies inventées, cultures controuvées, modes de vie fantasques, tout est vrai, tout est faux, une encyclopédie, encadrée par un appareil critique imposant, des catégorisations du monde pas si abracadabrantes au vrai avec leurs réalités déclinées tout au long du roman comme prismes à travers lesquels en comprendre l'action, du monde dur au monde flou en passant par le monde métro (métropole), et bien évidemment avec une mise en garde linguistique savante, des notes de bas de page à hurler de rire qui n'en finissent pas de proliférer, bref, vous ne tenez pas entre les mains un livre mais un bouillonnement, un pic, un sommet, un promontoire plutôt qu'une proéminence à la protubérance pourtant exceptionnelle, mieux : un rhizome dont nul ne peut empêcher qu'il n'ait pas de fin tant cette fiction déborde ses propres excès : voyez les bonus sur instagram...

 

Alors l'histoire, le pitch... puisque vous y tenez...

Nous abordons en terres marécageuses chez les @tribuMacroqa : oui, ils disposent d'un compte twitter et vous pouvez suivre leurs aventures, qui ne s'arrêtent jamais, sur leur compte. Et pour vous rassurer, imaginez que vous êtes dans Clochemerle revisité. Le chaman-Jean-François Macroqa vient de débarquer (enfin, il a pris l'avion, survolé déjà nos préjugés, leur a tordu le cou, ratiociné et débarqué quoi), de Paris, au sortir du centre pour toxicos dont il était le patient, à cause d'une addiction ruineuse au pastis. Il retourne au pays fort d'une révélation qui l'a foudroyé net le Jour du Dépassement (mais si, vous savez de quoi il s'agit : GIEC) et décidé à ne vivre que pour le projet grandiose qu'il a conçu : faire de sa tribu une communauté écologique exemplaire, dans cette Guyane où jusque là, il s'agissait moins de préserver l'environnement que de s'en protéger. Las, le village vaniVani campe juste en face du sien, et il est habité par des sortes de crétins des Alpes, mais amérindiens. Les vaniVani, eux, voudraient développer le tourisme autour d'un projet non moins pharaonique, celui de croisières à bord du Jungle River Boat, un rafiot retapé à grand frais, naguère flambeau à l'abandon dénommé le Charles de Gaulle... Le ton est donné. Heinrich Filipon Petit-Lézard, le chef vaniVani, n'a à la bouche que des affabulations marketings et le vocabulaire qui va avec. Le décalage est d'un drôle absolu mais pas si drôle qu'on oublierait par exemple que ce sabir est celui qui ruine nos consciences. La guerre fera donc rage entre les deux tribus. Chaman Jean-Louis, qui découvre qu'il n'a hérité d'aucun don particulier, tout comme son père et le père de son père, et le etc., mais de la certitude de ses ancêtres que le chamanisme n'est qu'un tissu de bobards, finira tout de même, contraint, par convoquer le Grand Yolok, au pouvoir de ouf, pour faire le Grand Ménage (une sorte de Jour du Dépassement qu'on ne peut plus dépasser) : se débarrasser des voisins qui de toute façon de tous temps et de tous lieux ont toujours fait chier. Je ne vous en dirai pas plus, ni rien du Grand Ménage qui ne ménagera pas les esprits sensibles que nous sommes, pour n'évoquer que le fond sur lequel tout cela fait fond : l'Europe à son naufrage. Ce là-bas (ici) de désolations où l'on ne parle que de sobriété des pauvres pour sauver la planète, quand ces pauvres n'ont jamais connu que la misère – la sobriété serait donc pour eux comme un progrès, non ? L'Occident va disparaître, nous l'avons bien tous compris, tandis que les Macroqas resteront à la pointe, finalement, d'une civilisation qu'on peine à appeler humaine.

Vous aimez lire ? Bien !... Alors oubliez tout ce que vous avez lu jusque-là : Mizio réinvente le lecteur et le libère de ses habitudes. Lisez tout, ou parties, in extenso ou quasiment, voire à l'estime, ou bien encore prélevez ce que bon vous semblera : ce roman n'a pas d'équivalent et mérite que le lecteur soit sans équivalent.

 

1Pour reprendre le mot de Flaubert, et parce qu'il y a du Bouvard et Pécuchet là-dedans, voire l'ironie flaubertienne du catalogue des «opinions chics», ce regard distancié sur le monde qui chaperonne, littéralement, la construction de personnages perçus comme des créatures grotesques, sans parvenir à dissimuler l'affection qu'il leur porte... De l'ironie donc, mais aussi cette jouissance de désobliger que Flaubert partageait avec Baudelaire, qui nous vaut un avertissement au lecteur gratiné à l'égard des gougnafiers qui voudraient lui reprocher d'avoir moqué des peuples trop longtemps moqués en choisissant la Guyane «profonde» pour cadre romanesque.

Car l'action se passe en Guyane, c'est-à-dire nulle part, pour reprendre cette fois l'Ubu de Jarry. Et à propos de Pologne, celle d'Alfred entendons-nous, songez que son «nulle part» n'était au fond que celui des Tatras chères à Witkiewicz : celui du baroque sarmate qui vit naître les textes les plus ahurissants de la littérature polonaise, voire de la littérature mondiale tout court, comme ceux de Pasek ou de Witkacy, de vraies farcissures romanesques qui donnent à penser que dans cette tradition littéraire, le roman de Mizio, traduit en polonais, saurait toucher plus de lecteurs qu'il n'en dénombrera (hélas) en France.

Mais finissons-en avec les références, assez tartiné de culture tartuffe, d'autant que Mizio se réclame de Swift, quant au style aussi bien que de l'imaginaire et non sans de solides raisons littéraires. Cet inutile commentaire ne signale au vrai que la pitié d'une acculturation toujours bancale, prisme, si l'on veut, à travers lequel on croit lire ou écrire, toujours insuffisant, incapable de voir qu'il y a du Mizio là-dedans et tant pis pour Flaubert,voire même Swift ! Tout ça pour dire qu'on lui ferait un procès injuste à convoquer la Guyane plutôt que ce «nulle part» ubuesque où ses indiens Macroqas (on met un « s » au pluriel?), inventés par ses soins, offrent le plus parfait miroir, comme il l'écrit dans son avertissement, du monde absurde où nous vivons.

 

Francis Mizio, Au lourd délire des lianes, éditions Le niveau baisse, avril 2022, 560 pages, ean : 9782958225209.

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et sa propre présentation du roman, sur Youtube :

Au lourd délire des lianes : une recension farfelue - YouTube

 

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L'obsolescence de l'homme, Günther Anders, T. II, Sur la destruction de la vie à l'époque de la troisième révolution industrielle...

10 Novembre 2022 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #essais, #essai

Il faut lire et relire ce philosophe allemand émigré aux Etas-Unis dans les années 1930, plus d'actualité que jamais, qui fit de l'obsolescence le paradigme de sa pensée, pour «que nous ne nous retrouvions pas à la fin dans un monde sans hommes»...

On le voit, rien n'est plus urgent en effet, à l'heure où les scientifiques du monde entier se rebellent et s'alarment de l'inaction criminelle des gouvernements face à la tragédie climatique qui arrive à grand pas.

Dans ce tome II de son œuvre philosophique, publié en 1980 soit 24 ans après la parution du Tome I, Günther Anders tente de cerner les responsabilités et les causes de l'effroi que nous avons fini par nous créer : la logique systémique du néo-libéralisme, qui est devenue le sujet du monde à la place de l'être humain.

Cette logique néolibérale, Günther Anders l'a analysée comme «le temps de la fin». Déjà, au sortir de la guerre de 39-45, il avait compris vers quoi tendait notre société : Donnez-nous aujourd'hui notre consommation quotidienne était devenu le nouveau credo d'un système qui ne peut survivre que par son absence de sobriété : la finalité de son monde est de fabriquer des produits, pas du Bien Commun, ni moins encore du bonheur. Des produits donc, Et si possible, à l'obsolescence programmée. «Le mécanisme de notre monde industriel consiste désormais à produire de l'obsolescence». Avec pour idéal manufacturier celui d'élaborer des produits réalisés par d'autres produits, les produits de consommation devant générer quelque chose en retour pour que la chaîne ne s'arrête jamais : de la frustration, des déchets, des cancers, etc. Ce quelque chose évidemment, apparaît aussi bien comme situation dans laquelle il devient nécessaire de produire de nouveaux objets de consommation courante : des médicaments par exemple pour soigner les cancers, de la médecine donc, ou du désir. Les consommateurs humains n'y importent qu'en tant que par leurs actes de consommation, ils veillent à la bonne marche de la machine de production. Et le meilleur des produits, bien sûr, et parce qu'il ne sert qu'une fois, c'est la balle des fusils...

A grande échelle, l'humanité s'est ainsi donnée les moyens de produire sa disparition. Par la bombe H aux yeux tout d'abord de Günther Anders, Hiroshima ayant constitué pour lui, avec Auschwitz, le dessillement majeur. Par le réchauffement climatique pour nous aujourd'hui.

«Nous travaillons chaque jour à la production de notre disparition», ajoute même Günther Anders : nous ne vivons plus une époque nouvelle, mais un délai conclut-il. Un délai, puisque l'homme s'est transformé en matière première périssable elle-même, elle-même obsolescente. Car tout doit devenir obsolescent dans le système capitaliste : les objets produits, les machines, les êtres humains, la liberté : l'être humain d'aujourd'hui est moins important que les objets dont il dépend. Nous avons ainsi déjà disparus en devenant non pas les bergers de l'être, mais ceux des dividendes.

 

Günther Anders, L'Obsolescence de l'Homme, T. II : Sur la destruction de la vie à l'époque de la troisième révolution industrielle, traduit de l'allemand par Christophe David, éditions Fario, 2022, 31 euros, ean : 9782953625820.

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Topographie, Benoit Colboc

26 Octobre 2022 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Le vieil homme s'est pendu. Libre enfin de ses défaites. Je ne dirai pas lesquelles. Pas tout de suite. Recouvrant paradoxalement une sorte de dignité à pendre comme un porc à l'abattoir, au bout de sa corde.

Le vieil homme, c'était un nom dans la campagne. Un monsieur respecté. N'imaginez pas un fermier : un administrateur plutôt. Ne rêvez pas non plus d'une enfance campagnarde. On parle ici d'un couple de retraités à qui l'on «prêtait» chaque semaine le petit garçon d'une famille amie.

Le vieil homme vivait agrippé aux tremblements de sa maladie : Parkinson. «Décousu», écrit l'auteur. Un homme incapable d'atteindre ses envies, recommençant sans cesse, s'acharnant. Tentant de se dé-chaîner sans jamais y parvenir, aimant peut-être, au final, ses chaînes qu'il enroulait au cou du petit garçon prêté. Un vieil homme juste «seul», enfermé dans ses tremblements, sa femme à ses côtés, cette femme qu'il aura «aimée» d'un bout à l'autre de son abjecte vie. Un homme seul tout de même, sans que personne ne puisse concevoir ce que revêtait cette solitude d'homme reclus dans ses sordides tremblements.

Lui, le garçon, à sa mort, a lu les lettres que le vieux écrivait à sa femme. Un pacte de sincérité. Odieux.

Là, maintenant, tout ça si loin et pourtant si présent. Il se rappelle. Compile les gestes, hachés, jetés ici et là, impossible à décrire c'est-à-dire à ordonner dans des phrases accomplies qu'il ne finit presque jamais du reste. Comment achever ? Comment parachever ce qui est revenu atrocement à la mémoire, s'est répété, ce monde des habitudes, récollection d'objets impitoyablement douloureux ?

Chaque vendredi, le couple de retraités venait l'emprunter à la sortie de l'école. Pour jouer à être ses parents. «On», disait qu'ils le traitaient comme un enfant roi, à décider de ses repas. Il devait juste choisir d'être... Non, ce n'est pas le mot, vraiment. De n'être pas puisqu'il était leur jouet, tantôt le fils, tantôt la fille, abusé, au pied de leur lit. Jusqu'à ses treize ans.

Voilà. L'ouvrage d'un coup vous prend aux tripes. L'enfant prêté raconte ensuite sa sœur, l'aînée de neuf ans. Secrète. Indépendante. Mariée un jour, divorcée trois mois plus tard et qui lui avoua qu'elle avait été jalouse... de sa liberté à lui... D'avoir pu chaque vendredi sortir de sa famille d'origine.

Voilà. Le texte. D'anaphore en anaphore, s'enfuit le spectacle des atrocités. Reste à inventer les mots pour raconter cette histoire. Reste à emprunter le chagrin des autres pour dire la mise en terre du « lubrique malheureux peureux ». Reste qu'il ne peut y avoir de consolation.

«A l'écriture de ne pas fuir l'enfant prêté»...

 

Benoit Colboc, Topographie, édition Isabelle Sauvage, coll. Singuliers pluriel, juin 2021, 15 euros, ean : 9782490385256.

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Tremble, Benoit Colboc

25 Octobre 2022 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #poésie

« La main sur l'autre pour l'empêcher de battre »...

Du tremblé de l'enfance au tremblement du vieillard. Non : plutôt au tremblement de l'adulte enivré. Toujours saoul. Dans le brouillard. Troublé. Pas même quand l'habitude. Fou peut-être. Aliéné. C'est cela, oui, aliéné à cette main qui ne cesse... Comme l'empan qu'on ne commande plus, le branle plutôt que le trémolo, l'ébranlement plutôt que le saisissement.

Les mots cousus à ce passé d'alcool. A lire comme un poème. Comme un poème possible. Des poèmes cousus, non, intermittents. L'histoire d'un ivrogne ? Non. Celle d'un être hagard qui s'empare des mots comme il le peut, sens dessus dessous, dans cette édition troublante, poignante, en feuillets qu'il faut recomposer.

Tremble dans ses mains le verre impatient...

Quelle justesse dans l'effet de cette édition en feuillets.

Quelle acuité (pourtant) dans l'impact de cette syntaxe ricochée et sans ponctuation. Vivre au rythme de ces tremblements : l'aveu si simple mais sans lendemain, qu'il faut deviner presque, repérer ici, plié en quatre entre les feuillets, comme un pli que l'on adresse avec l'espoir, sans doute, que les mots rassemblés ici et là finiront par toucher quelqu'un, quelque part.

 

 

Benoit Colboc, Tremble, édition Isabelle Sauvage, coll. Pas de côté, mai 2021, 5 euros, ean : 9782490385287.

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