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21 octobre 2009 3 21 /10 /octobre /2009 13:33

Quelle nouvelle narration politique rendra réellement justice du sort réservé au grand nombre ? A moins que la misère du monde ne soit, aux yeux des élites politiques, qu’une différence discursive ouvrant la voie aux manipulations textuelles de tragédies dont personne n’a rien à faire.

Le BIP 40 est un baromètre des inégalités et de la pauvreté. Non retenu par l’INSEE. Il témoigne d’une aggravation sans précédent de la pauvreté en France à partir de 2003. L’indicateur élaboré par le Réseau d’alerte sur les inégalités indique une hausse de 5,5% par rapport à 2002. Le précédent record du Bip 40 remontait à 1998. Nous serions entrés dans une spirale morbide d’accroissement des inégalités et de la pauvreté. Les chiffres du Dow Jones et du Cac 40 sont relayés partout dans les médias. Pas ceux du BIP 40. Sous Raffarin, cette spirale a connu un rythme inédit. D’abord sous l’impulsion de la hausse du chômage. Ensuite grâce à une politique monétaire qui favorisa une baisse importante de l’impôt sur le revenu, mais une augmentation des prix à la consommation. Enfin, grâce aux nouvelles conditions de licenciement. L’arrêté pris le 12 janvier 2006 par la chambre sociale de la Cour de cassation autorise désormais le licenciement pour "sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise". Une entreprise peut ainsi licencier sur simple étude de prospective, en arguant d’une difficulté qu’elle pourrait rencontrer sur le long terme. Le licenciement économique peut être rendu nécessaire, selon cet arrêté, "pour prévenir des difficultés économiques à venir, liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences sur l’emploi, sans être subordonnées à l’existence de difficultés économiques à la date du licenciement". La France est l’un des pays d’Europe où la formation continue est la moins développée, et où cette formation profite d’abord aux plus formés. Seuls 13% de ceux qui n’avaient aucun diplôme ont eu accès à la formation en 2000, contre 51% des bac + 3. Plus de la moitié des cadres supérieurs y ont eu accès, contre 1/5e des ouvriers et 1/3 des employés. Dans les universités françaises, moins du ¼ des populations étudiantes en premier cycle, est issu des familles ouvrières ou d’employés. 12% en 3ème cycle. La population française compte 60% d’ouvriers et d’employés. Selon une enquête inédite (en septembre 2009) des Centres Communaux d’Action Sociale (CCAS) 75% des 667 antennes sondées évoquent une augmentation très rapide des demandes d’aides individuelles depuis le dernier trimestre 2008 (une hausse moyenne de 30% dans 30% des centres). Les aides demandées sont d’abord tournée vers des besoins alimentaires (36% des demandes). Aux populations précaires habituelles s’ajoutent selon les responsables de ces centres des publics nouveaux, inconnus jusque là de leurs services. Près de 20% de ces demandes nouvelles concernent en 2009 des populations salariées. Les pourvoyeurs de repas gratuits sont eux aussi débordés. La Fédération Française des banques alimentaires, qui ravitaille plus de 5 000 associations, enregistre une hausse de plus de 16% de la quantité des produits livrés entre mars 2008 et mars 2009. Dans 250 vestiaires de la Croix-Rouge, le nombre d’acheteurs est en hausse de plus de 15%. A La Fondation Abbé Pierre, la plate-forme téléphonique lancée le 1er juin 2009 a reçu près de 1200 appels de demandent de secours d’urgence, principalement pour faire face aux loyers impayés. Le nombre de dossiers pour surendettement en France a fait un bond de 11% entre juin 2008 et juin 2009.—joël jégouzo--.

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20 octobre 2009 2 20 /10 /octobre /2009 07:36

Quelle narration politique rendra réellement justice du sort réservé au grand nombre ?
A moins que la misère du monde ne soit, aux yeux des élites, qu’une différence discursive ouvrant la voie aux manipulations textuelles de tragédies dont personne n’a rien à faire.


Partout, des couches menacées de dégringolade sociale. Le onzième rapport du Secours Catholique sur l’évolution de la pauvreté en France recense 650 000 situations de pauvreté. Dont le logement. Où l’on assiste à la progression fulgurante de l’habitat précaire depuis 2004. La pauvreté s’enracine en France. 2 chômeurs sur 3 ne sont pas indemnisés. De 1988 à 2002, selon l’INSEE, le pouvoir d’achat des revenus monétaires de la propriété a augmenté de 202 %. Au cours de cette même période, le revenu moyen des français est resté stable. Comment est-ce possible ? L’INSEE divise la France en deux : les riches d’un côté, les pauvres de l’autre, et mélange les deux pour calculer le "taux relatif de pauvreté" de la population française. De 1984 à 2000, selon l’institut, le taux de pauvreté relative serait passé de 7,1% à 6,5% (Insee Première n°942, décembre 2003). En fait, et compte tenu du mode de calcul adopté par l’INSEE, c’est parce qu’il y a eu une hausse fabuleuse de l’enrichissement des riches. La Comptabilité nationale, élaborée par l’Insee, indique que les revenus de la propriété ont augmenté (de moins de 8% du PIB en 1978 à près de 14% en 2002). En lisant avec application les rapports de l’INSEE, on peut se rendre compte que le nombre de grandes fortunes a explosé en France : il suffit de se référer aux statistiques de la Direction générale des impôts. En 2001, l'INSEE précisait son mode de calcul: "certains (souligné par l’auteur) revenus du patrimoine inscrits sur le formulaire fiscal" seulement sont pris en compte. Or, selon l’Insee même, les données fiscales ne peuvent appréhender qu’1/5ème des revenus du patrimoine. La quasi totalité de ces revenus sont donc écartés de la connaissance statistique. Le samedi 24 décembre 2005 paraissait au Journal Officiel un décret portant modification d'un article du code du travail au sujet du contrôle des personnes inscrites sur la liste des demandeurs d'emploi. Aux termes de ce décret, il est donné droit aux agents du ministère de l'Emploi d’obtenir communication, "à leur gré", par les administrations fiscales, de toutes "données et documents nécessaires à l'accomplissement de leur mission". L’article précise en outre que ces mêmes agents pourront avoir" accès aux données et documents nécessaires à l'accomplissement de leur mission détenus par l'Agence nationale pour l'emploi, les organismes de l'assurance chômage et les administrations sociales". De l’aveu des agents du ministère, cette disposition de suspicion ne concerne que 0,006% des chômeurs. L’amendement 264, voté le vendredi 21 octobre 2005, à minuit, offre un abattement exceptionnel: 75% sur les actions détenues depuis plus de six ans. Si on prend en compte les deux autres volets du paquet offert - le bouclier fiscal limitant à 60% des revenus le montant cumulé de tous les impôts, ISF compris, et les exonérations des plus-values pour participation détenue depuis plus de 8 ans-, les 15 000 contribuables concernés par ces dispositions se voyaient offrir 2,6 milliards (soit le coût du plan Borloo pour le logement social). La quasi totalité des patrons des sociétés cotées au CAC 40 ne paie pas l’ISF. Ils en sont exemptés dès lors qu’ils ont investi dans des œuvres d’art ou leur outil de travail (bureaux), dans l’achat de bois et forêts, voire de voitures de collection. Cet avantage s’étendra au moment où ils prendront leur retraite: ils bénéficieront alors d’un abattement de 20% sur leurs emprunts en cours pour l’achat de leur résidence principale… Depuis trente ans, l’apparition de nouvelles formes de précarité et d’exclusion n’ont pas soulevé la moindre amorce de réflexion politique. Les outils de mesure de ces nouvelles pauvretés n’existent pas. Pour mesurer la pauvreté, l’INSEE ne retient pour seuil que le revenu moyen, qu’elle divise par deux. Dans ce calcul sont exclus les revenus du patrimoine. En 1994, le seuil de pauvreté était fixé à 530€ par mois. On comptait alors 4,5 millions de pauvres. Après intégration des revenus du patrimoine, le nombre de pauvres est passé à 5,5 millions. Depuis, l’INSEE écarte de ses calculs les revenus du patrimoine. Selon de vagues estimations, il y aurait en France de 1,2 à 3,5 millions de travailleurs pauvres - percevant des salaires inférieurs à 600 euros par mois. Il y aurait en France de 1 à 2 millions d’enfants pauvres. L’INSEE a commencé de publier ses chiffres sur l’état de la pauvreté en France en 1990. Dans le volumineux dossier de l’INSEE Economie et statistique, consacré en 1997 à la pauvreté, l’institut en comptabilisait 5,5 millions. Dans l’un des articles de ce document, l’INSEE révélait que ce taux de 10% de pauvres en France était à peu près stable. En 2001, l’INSEE a ramené le taux de pauvreté à 6,1%. En quelques années, 30% de pauvres ont disparu de la statistique nationale.—joël jégouzo--.

en vignette, le Que faire ?, de Lénine.

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19 octobre 2009 1 19 /10 /octobre /2009 09:05
Quelle nouvelle narration politique
rendra réellement justice du sort réservé au grand nombre ?
A moins que la misère du monde ne soit, aux yeux de nos élites, qu’une différence discursive ouvrant la voie aux manipulations textuelles de tragédies dont personne n’a rien à faire.


Le revenu moyen des ménages français est de 50 % plus élevé que celui des familles habitant les zones urbaines dites sensibles. La pauvreté est telle dans les Cités que « là-bas », la part des revenus inférieurs à 455 euros mensuels frappe, comme à Toulon ou Perpignan, 60% des ménages. Les 10 % des français les plus pauvres perçoivent 4 % de la masse totale des revenus. Les 10 % les plus riches en reçoivent 22,7 %. En y ajoutant les revenus du patrimoine, le déséquilibre est en réalité plus important. Sur le sujet, les plus récentes études de l’INSEE remontent à 1996. A une époque où le recul du chômage avait provoqué une hausse temporaire des revenus des ménages du bas de l’échelle (+7,8%). Depuis, les progressions les plus fortes des revenus ne se sont faites sentir que parmi les catégories les plus aisées : + 12,6 %, pour les 10 % les plus riches. 10% des français vivent avec des revenus inférieurs à 650 euros par mois. 40% avec moins de 1040 euros. Les cadres supérieurs gagnent deux fois plus d’argent que la moyenne des salariés. Mais les données de l’Insee excluent de leur enquête les avantages financiers accordés aux cadres : stock-options, primes, etc. Et ne tiennent aucun compte de l’effet de génération : les cadres sont généralement plus jeunes que les autres salariés. A âge équivalent, l’écart est gigantesque. Enfin, l’étude exclut de son champ le temps partiel, éliminant pour le coup le très grand nombre de femmes employées précairement. (Source : Insee, données 2003). Depuis 1990, la proportion de ceux qui partent en vacances stagne désormais en France, voire périclite. 4 français sur 10 ne quittent jamais leur domicile. 90% des cadres partent en vacances. En vacances, les plus modestes passent leurs nuitées en famille. Les cadres partent moins longtemps mais plus souvent, à l’étranger et séjournent à l’hôtel. Selon l’INSEE, employés et ouvriers partent aujourd’hui moins qu’il y a cinq ans, et nettement moins qu’il y a dix ans. 90 % des cadres sont en bonne santé. Les chômeurs, selon les études de la Sécu, ont une probabilité de près de 7% plus élevée qu’un actif de développer une maladie grave. A 35 ans, l’espérance de vie d’un ouvrier est inférieure de 6,5 ans à celle d’un cadre. Les ouvriers et les non-diplômés recourent deux fois moins aux spécialistes qu’aux généralistes. Le taux de recours aux spécialistes, en France, varie du simple au double selon que le ménage possède un revenu mensuel inférieur à 600 euros ou supérieur à 2000 euros. Les bébés de moins d’un an ne fréquentent le pédiatre qu’une fois sur trois consultations nécessaires dans un ménage d’ouvriers, contre une fois sur deux chez les cadres. Lorsque l’on se retrouve au chômage, statistiquement, on a trois fois plus de risques de décéder qu’un homme actif. Selon une enquête du Credes (1996-1997), 25% des chômeurs sont victimes d’une dépression, contre 13 % des actifs. 1/5ème des employés étaient en dépression lors de cette enquête, contre 10% de cadres supérieurs. Selon les études du CREDES, les ingénieurs vont plus souvent chez le dentiste que les ouvriers. La proportion de cadres supérieurs qui sont allés chez le dentiste lors de cette enquête est deux fois plus élevée que celle des ouvriers. le 21 mars 2004, pour la première fois depuis 1902, la France adoptait une loi de santé publique. Dans le cadre de cette Loi, la question des inégalités d’accès aux soins médicaux ne fut pas discutée. Pourtant, l’article 1er du projet de Loi relatif à la politique de santé publique, stipule que celle-ci «concerne la réduction des inégalités, par la promotion de la santé, le développement de l’accès aux soins et aux diagnostics sur l’ensemble du territoire». In extremis, lors du passage du texte au Sénat, le 14 janvier 2004, Jack Ralite, a demandé que soit ajoutée la formule : «et par la lutte contre l’ensemble des facteurs d’inégalités sociales de santé». Il a aussi tenté d’évoquer la réalité de la pauvreté dans sa commune d’Aubervilliers, dont certains citoyens «en étaient à un point tel qu’ils étaient comme hors santé ». Jean-François Mattéi lui opposa une fin de non recevoir, affirmant que cela pouvait mener les Comptes Publics à la catastrophe. L’amendement 276 a été rejeté par les sénateurs. La loi de santé publique limitait du coup son champ d’application au seul système de prévention et de soins. La France occupe le dernier rang en Europe pour les inégalités sociales. Le texte de Loi sur la Santé n’a pas force de Loi en France : il s’agit d’un simple référentiel, délivrant le sens général de l’esprit français en matière de santé. Parmi les «cent objectifs de santé publique» que se donne l’État dans ce document, un seul concerne «la réduction des inégalités devant la maladie et la mort ». Six autres portent sur la réduction des «troubles musculo-squelettiques». Aucun indicateur d’évaluation n’est mis en place pour mesurer les disparités devant la santé. La directive recommande de ne prendre en compte que « des résultats globaux». Selon le ministère de l’Emploi, près de 7 millions de français vivent aujourd’hui avec des minima sociaux. --joël jégouzo--.
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16 octobre 2009 5 16 /10 /octobre /2009 09:44
On se rappelle Theodore Kaczynski, mathématicien, philosophe et terroriste, surnommé Unabomber par le FBI et qui défraya la chronique aux States dans les années 90. Seize bombes. Seize bombes qui tuèrent et blessèrent d’innombrables innocents. Seize bombes posées par un Savonarole des sciences et techniques qui voulait contraindre les Etats-Unis à stopper leur développement scientifique. Un intégriste furieux qui avait fini par développer ses thèses et obtenu -sous menace d’un nouvel attentat-, leur publication dans le Washington post, en 1995, sous le titre : L’Avenir de la société industrielle.
Condamné en 1998 sans procès –il avait reconnu sa culpabilité-, il purge une peine à perpétuité et se désole de n’être « reconnu » qu’en tant que terroriste.
Les éditions Climats publient aujourd’hui son manifeste de 1971, inédit : Technologie et liberté (bien que l’original n’ait pas été titré).
Un texte qui n’ajoute rien à la pièce maîtresse de sa pensée -L’Avenir de…-, disponible sur le net depuis fort longtemps. Mais le prétexte à se poser la question de l’opportunité d’une telle publication, autrefois lieu de sphères éditoriales plus marginales.

Cette pensée tout d’abord, qu’était-elle au fond ? Unabomber voulait nous alerter sur les dangers de la technologie. Nous sauvegarder des rationalisations excessives des pratiques humaines. Il prophétisait notre entrée dans une société « inhumaine », s’éloignant de ses fondamentaux en liquidant ses origines biologiques, pour en appeler au retour à l’idée d’une nature séminale, seul site possible –encore que peu lisible- de l’espèce humaine.
Face au gâchis technologique, Unabomber se voulait le dernier représentant de l’espèce, ré-enracinant son identité dans l’âge d’or de l’humanité primitive –réellement pointée dans ses textes comme un modèle… Mais ne parvenant pas à se faire entendre, il posa ses bombes pour affirmer seul contre tous sa raison et tenter de transformer, malgré lui, le monde. Savonarole… Ou bien à la manière d’un nihiliste du XIXème siècle, oubliant la politique pour s’enfermer dans un système de pensée parfaitement clôt et rassurant. Enfin le monde tenait dans sa totalité devant lui… Il n’y avait que la masse pour le contrarier, ou ces agents de l’ordre technologique qu’il désignait comme lieu d’errance d’une humanité aveuglée. Du coup, la petite machine intellectuelle qu’il avait mis au point ne le satisfaisait plus : le désir d’autrui cognait trop, limitait trop ses extases. Il lui fallait briser, choisir la guerre et nous assujettir à son discours. La liberté à marche forcée. Pour tous. Unabomber désignait clairement la démocratie comme l’héritière du pacte du Veau d’or. Lui qui avait trouvé la petite astuce d’une pensée symbolique totalisante, rêvait trop d’un  homme régénéré par la grande fête de la nature pour n’en pas vouloir la venue - vite, immédiatement. Il lui fallait donc à tout prix soustraire la Cité à ce dialogue dans lequel elle s’était embourbée, la soustraire à ces mauvais accords entre de piètres interlocuteurs qui refusaient de l’entendre. La bombe était devenue au terme de sa solitude haineuse l’argument philosophique capable de nouer ses visions au tragique qu’il espérait.

Pourtant, dans son introduction, à le prendre comme le symptôme d’une mutation en cours, Jean-Marie Apostolidès lui trouve bien des qualités. Sans éluder sa haine de la société, ni la montée en puissance des mobiles pathologiques dans sa psychologie, il nous invite à relire le second manifeste d’Unabomber et à le prendre au sérieux. Mais au sérieux de quoi ? Quelle lecture de notre monde (celui, du reste, d’une société déjà entrée dans l’ère post-industrielle) la pensée d’Unabomber autorise-t-elle ? On se prend à rêver en lisant cette introduction. Unabomber aurait donc réellement eu ce fort impact sur les milieux de l’extrême gauche libertaire et/ou situationniste ? Les disciples de Guy Debord, il est vrai, le lisaient avec complaisance. Tout comme l’ouvrage fut accueilli avec intérêt dans les milieux de l’écologie extrême, voire du fameux Comité invisible. Qu’y avait-il donc de si instructif dans ce texte ? Pas grand chose à mon sens, sinon sa critique du gauchisme, dénoncé très tôt comme une posture intellectuelle éloignée de toute implication politique réelle. Quant au reste… Un tissu d’approximations logeant abusivement les problèmes sociaux dans le fait que nous vivrions une vie «artificielle»… Si, peut-être cette remarque frappée au coin du bons sens : « la technologie est une force sociale plus puissante que le désir de liberté ». Ou bien encore, mais sans qu’il soit parvenu à la thématiser, son intuition d’un lien social menacé par le retrait de l’Etat (aujourd’hui en fait), après que l’émergence de ce même Etat ait rompu les solidarités mécaniques qui instruisaient naguère les sociétés traditionnelles, pour reprendre Durkheim. Il faudrait plancher, après Pierre Rosanvallon et son Peuple introuvable, sur l’idée d’une Société introuvable aujourd’hui, où le réseautage tient lieu de formation d’un espace que le concept de société ne peut adéquatement décrire.

Mais en réalité, ce second manifeste, ce n’est pas quant au fond qu’il faudrait le lire, selon Apostolidès. Il serait selon lui une « bombe » -sans jeu de mot-, en ce qu’il témoignerait d’un rapport nouveau aux mots, déjouant ces discours trop préfabriqués des intellectuels de gauche qui ne savent plus donner corps à leurs arguments. Peu importe donc pour Apostolidès les narrations politiques qui fondent le discours d’Unabomber : c’est dans la forme de ce discours qu’il faudrait chercher un possible renouveau de notre dénonciation d’une société qui n’en finit pas de déchanter. Unabomber aurait trouvé le secret du poids des mots. Ses bombes ? Peut-être, semble laisser planer l'introduction, dans l’horizon des mots proférés sous une langue volontiers apocalyptique, additionnant les arguments comme des décimales roboratives. Le fracas de l’acier et des os brisés ? Sans doute : une rédaction placée sous la tutelle de Bataille, jouant la mort, pariant l’homme acéphale. Ecriture de la mort comme seule efficace du verbe… Voilà toute la somme de l’idée… Dépassant la langue des sciences sociales pour arrimer l’essai contestataire à d’autres cercles langagiers. Pas simplement un problème de vocabulaire, mais celui d’un ordre nouveau des mots. Peut-être. Mais celui-là, vraiment, qu’Unabomber pointe ? Incantatoire et approximatif, tordant le cou au concept pour en forcer la patience et proférer une incantation sauvage ratiocinant de tous ses sous-entendus ?

Les éditions Climats publient aujourd’hui Unabomber, autrefois lieu de sphères éditoriales plus marginales. On ne peut qu’y voir le symptôme d’un malaise : celui d’une gauche de la gauche cherchant les nouvelles narrations qui diront notre Histoire et nous éclaireront dans notre désir de transformer encore une société éreintée.
joël jégouzo--.


Le manifeste de 1971, Kaczynski, Theodore John, traduit par et préface de Jean-Marie Apostolidès, éd. Climats, octobre 2009, 212p., 18 euros, EAN : 9782081220409

Lire en contrepoint :
Entretien avec Clémentine Autain, sur les inrocks.com
http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/1255612921/article/entretien-avec-clementine-autain/
« Il faut mettre des idées et des conceptions stratégiques sur la table. Je crois que la gauche crève de ce manque de vision globale, d’une panne de perspectives, d’un manque de souffle. Je plaide pour l’unité de l’autre gauche et l’exigence de novation. Après les échecs du XXe siècle, nous devons repenser les clivages et renouer avec le principe d’espérance. Cela demande de l’expérimentation sociale et politique mais aussi une réflexion intellectuelle. »

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13 octobre 2009 2 13 /10 /octobre /2009 08:00
C’était à St Malo. Etonnants Voyageurs, toujours. La même année il me semble, Deniau dans une autre salle. En se retirant, la mer dévoilait un paysage morne, désabusé. A l’intérieur des remparts, journalistes et écrivains crapahutaient, se poursuivaient, les yeux rivés sur leur montre. Dégingandé, Jean Rollin promenait sa silhouette hauturière, lasse, amaigrie par un usage intempestif des champs de bataille.
Veston gris, tee-shirt noir, comment parler de la guerre ? De quels moments rendre compte quand il ne s’y passe à vrai dire presque jamais rien, ou bien que les obus s’ingénient à ne tomber que devant les caméras de CNN ? Son long imperméable fripé le distinguait de tous les autres participants. Quelque chose comme le négligé de la véritable élégance, ouvrant à lui seul l’abîme des malentendus dans lequel tombent presque tous les propos sur la guerre. Tel un dandy, Jean Rolin paraissait se tenir en perpétuel équilibre sur le bord d’un éprouvant destin. Dom Juan, sur le point de quitter éternellement sa propre scène, jetant sans cesse un dernier coup d’œil sur la salle tandis que vous lui parlez, toisant et se regardant voir, dans l’espoir de croiser l’hospitalité d’un regard féminin.
La presse, habituellement, rend compte des moments forts. C’est son métier. A la guerre comme au spectacle, il lui faut resserrer, recoudre, arrimer la fièvre à la fièvre.
Jean Rollin, qui a voulu donner du sens à ces viscosités égarées, offre le spectacle d’un homme effroyablement averti. Revenu de tout, ayant partout frôlé l’horreur, son allure construit le show d’un éternel moment fort, travesti d’ennui. Un personnage romanesque en somme.

La guerre serait donc littérature. C’est du moins ce que les écrivains affirment. L’irruption de l’exception dans les vies ordinaires, ouvrant soudain des horizons insoupçonnés. La guerre serait un décor, un thème qui se prêterait merveilleusement à l’élaboration littéraire. Toutes ces grandes émotions, imaginez un peu : l’amour, la mort, la peur, la peur surtout, tout ce que la vie peut offrir de meilleur parce que « vrai ». Il ne serait que d’observer ces apprentis combattants découvrant leurs nouvelles armes avec la joie des enfants déballant leurs cadeaux, pour se convaincre de la profusion des émotions qu’elle peut charrier. Un trésor, un magot que seul l’écrivain saurait ramasser.
Ou même : peut-être l’écriture de la guerre serait-elle la forme idéale du genre romanesque, de l’essai à la Vollmann au Journal intime. L’opportunité d’une grande œuvre. Peut-être à cause de cette difficulté à élaborer ce que l’on voit « vraiment » lorsque l’on est écrivain, plongé dans l’incertitude du jour qui passe, ailleurs, aveugle au lendemain que le réel ne manquera pas de faire surgir inopinément, loin de la clarté déserte de sa lampe.
Une situation qui renverrait à celle du combattant immergé dans le chaos de la bataille, incapable de s’y orienter, d’y comprendre quelque chose. La guerre poserait alors une sorte de défi que seul un romancier pourrait relever. Au regard aveugle du combattant, au regard myope des journalistes, elle opposerait le regard clairvoyant de l’écrivain, ou prétendu tel.

Songeons à Malraux, ne mettant les pieds en Chine que deux jours puis embrassant dans une vision sublime le sens du conflit qui s’y déroule, au point que Trotsky s’imagina pouvoir lui demander conseil… C’est d’ailleurs peut-être ce magistère d’opinion, que détenaient naguère les intellectuels, qui fascine aujourd’hui encore ceux qui font vœu de les lire.
Ou bien l’illusion de pouvoir embrasser enfin une totalité : l’anecdote et la question du sens, en ses fondements mêmes. Jean Rolin n’a pas dérogé aux règles du genre. Son journal de campagne nous promène sur les routes des Balkans en une sorte de déplacement tout à la fois attentif et précieux, moins celui d’un témoin que d’un regard s’offrant à la contemplation de ses lecteurs. S’il n’y a pas grand chose à voir, il reste au moins cela : la guerre comme forme idéale du récit de soi.
joël jégouzo--.

Jean Rolin, Campagnes, récit, éditions Gallimard, janvier 2000, 196p., EAN : 978- 2-070748456.
(photo jJ)

sur la Guerre dans le roman, voir l'article de Claude Mouchard :
http://bablogorrhee.blogspot.com/2007/06/claude-mouchard-tmoigner-de.html
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12 octobre 2009 1 12 /10 /octobre /2009 08:13
C’était à St Malo, au cours du festival Etonnants Voyageurs. Je ne sais plus en quelle année. Une table ronde réunissait quelques grandes figures sur le thème «écrivains dans la guerre». Vollmann, voyageant d’une guerre l’autre, aurait aussi bien pu être de cette partie : les invités venaient débattre des rapports entre littérature et théâtre des opérations…
Majestueux mais en retard, Deniau s’était avancé vers la table des conférenciers en poussant d’un geste élégant sa canne. J’ai oublié le nom des autres participants. Il capta d’un coup toute l’attention. «Je me suis fait viré de la politique …». Il était donc libre d’user du ton qu’il voulait. Sa parole s’éleva alors sans détour, avec une rare vigueur et sans chercher à masquer ce qu’il ignorait. Malgré son expérience des maquis par exemple, il ne savait toujours pas comment parler de la guerre.
- J’ai été dans le groupe d’aviation de Jules Roy, de Saint-ex. Jules Roy a raconté la violence, la peur. Il a été haï ensuite. Nous avons tous connu la peur, mais c’était un tabou dont personne ne parlait.
- Pourquoi l’Espoir ?
- Personnellement, je n’ai jamais eu le sentiment que je pouvais écrire un roman sur la guerre.
Son honnêteté intellectuelle embarrassa l’auditoire, tout de même fasciné par la violence et la dramatique de la guerre. Lui, s’était engagé pour l’Erythrée. Rimbaud tout proche.
- Un commandant m’a dit qu’il fallait parler de leur guerre, parce qu’elle n’intéressait plus personne. C’était trop long : 23 ans…
Tandis que les autres écrivains ressemblaient à de grands gosses en quête de sens, Jean-François Deniau ramenait à l’essentiel : il n’y a au fond que des histoires de courage et de peur à rapporter face à la violence. Et puis, …
- Il faut prendre parti : il n’y a pas d’espoir dans le silence des autres… La violence, c’est d’abord l’évidement de la parole, le congé de soi en attendant de tuer l’autre…
- Pourquoi la chair est-elle toujours au bout de son compte ?
Deniau pris le temps de me répondre, me dévisageant avec malice.
- Je ne sais pas.
- Cela a-t-il quelque chose à voir avec l’Incarnation ?
Il prit un temps plus long encore, tandis que le public s’impatientait. Puis il lâcha sobrement que le corps n’était pas une chair en effet, ou quelque chose comme ça. Pas encore. Que c’était un Mystère. Pas une énigme. Que cela avait quelque chose à voir, oui. Mais il ne savait trop où. Que le corps n’avait pas de chair et qu’on ne savait trop d’où elle finissait par lui venir. J’ai songé au chiasme tactile de Husserl, pour ne pas avoir à songer aux mystères de l’Incarnation. La chair se sentant sentir. Et Deniau s’en est allé en jetant un dernier coup d’œil par dessus son épaule, pour me voir quitter la salle à mon tour.
joël jégouzo--.

Tadjoura. Le Cercle des douze Mois, de Jean-François Deniau, LGF/Livre de Poche, janvier 2001, 284p., 5 euros, EAN : 9782253149798.
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10 octobre 2009 6 10 /10 /octobre /2009 12:28

Le retour des Cendres de Napoléon est l’occasion, pour deux officiers de son armée, de ressurgir du passé. L’un hante ses souvenirs de campagnes, l’autre les salons mondains. Moments obligeants qu’alimente leur correspondance, à travers laquelle le roman s’énonce. Celui-ci s’ouvre ainsi sur une lettre du Général Dewaeghe, narrant sa course vers un bois sombre à dos d’un Trakehner, cet incomparable cheval des hussards.

Cette course était comme la charge d’un monde qui lui était devenu obscur. N’avait-il pas gagné, en combattant pour l’Empereur, l’illusion d’un monde clos, parfait ? Mais sa charge tourna court : il tomba, se blessa, gravement. Les lettres qu’il écrit s’ouvrent alors à une prise de conscience. L’épopée napoléonienne achevée, il comprend que son monde n’existe plus. Celui, précisément, que le roman tente de saisir, non sans longueurs parfois, mais avec tellement de talent. En le lisant, on ne peut pas ne pas songer aux chevaux de la peinture de Delacroix. A cette fascination qu’il partage avec lui pour l’élasticité charnelle de leur musculature, leur inépuisable énergie. L’Histoire de Mougaburu ce vieux grognard rescapé des champs de bataille où l’horreur le disputait à l’atroce, emprunte les mêmes motifs. Il n’est pas jusqu’à la langue qui le raconte qui ne soit contaminée par ce vocabulaire, que l’on jurerait tout droit sorti du Zarathoustra de Nietzsche. La volonté de puissance ne fait que se viser elle-même et s’épuise dans l’illusion de son triomphe. Violent et fragile, Mougaburu se rue sur ses adversaires dans l’exaltation d’une force obscure : une violence démesurée, monstruosité enfantée par les guerres napoléoniennes. Et meurt sans livrer aucun secret. –joël jégouzo--.

 

Mougaburu de Antoine Piazza, Editions du Rouergue, septembre 2001, 348p., EAN : 978-2-841-56319-7

Aujourd’hui :

Mougaburu de Antoine Piazza, Lgf/Le Livre De Poche, 2004, 286p., 6 euros

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9 octobre 2009 5 09 /10 /octobre /2009 07:53
Théâtre encore. Non pas le théâtre de la violence, mais la violence comme structure «dramatique». Une pièce, montée en 2001 par Stanislas Nordey. Je n’ai pas lu le livre. J’ai vu la pièce, branle éphémère dit-on, l’irruption d’un temps ouvert à autre chose que soi.
Le rideau se levait sur la découverte d’un charnier dans une propriété isolée. Sur le témoignage d’une jeune fille aphasique. Paroles incommodes à reforger entre cet improbable que pointe toute parole : nous. Presque un fait divers quelconque. Une famille avait participé au massacre, avant d’être massacrée à son tour. Au centre du récit, un cadavre embaumé et la question de l’exclusion du membre fautif. Puis trois sœurs. L’une était la mère d’un enfant disparu, sans doute immolé. Mais on ne sut jamais laquelle. Et tout autour de ces personnages fermés les uns aux autres, le bruit du monde, inaudible. Non : des bruits de guerre se laissaient entendre, la rumeur notoire de cet appétit de carnage que le monde portait désormais en lui.
La parole qui se donnait à voir sur cette scène relevait du Tragique. C’est-à-dire que Stanislas Nordey y avait installé le sublime et le banal dans une commune profération. Une structure narrative qui rappelait celle de Godard. La mise en scène ne renonçant ni à l’anecdote, ni à l’épure de la Tragédie grecque. Les personnages ne s’y répondaient pas : ils faisaient face, comme un chœur antique, mais qui aurait témoigné de notre impossible communauté. Ils ne faisaient face à rien : il n’y avait plus d’Histoire possible.
Je me rappelle que l’ensemble laissait toutefois en suspens la question posée : que faire de cette violence, hormis un bel objet artistique ? Très pessimiste, le texte s’en tirait par une pirouette : seuls les résultats sportifs nous retiennent de ne pas sombrer dans le désespoir. Un bon mot ? Pas seulement : cette humanité qui ne connaît plus ni l’ennui ni l’habitude, qu’est-elle devenue, affairée à des besognes qui ne font plus sens à ses propres yeux ? (Ce grand monde s’usera jusqu’à la corde- Shakespeare).
joël jégouzo--.


Violences - Un Diptyque : Corps Et Tentations Suivi De Ames Et Demeures, de Didier-Georges Gabily, éd. Actes-Sud, coll. Papiers, déc. 91, 144p., 15 euros, EAN : 9782869433175.

Violences, un diptyque, texte Didier-Georges Gabily, mise en scène Stanislas Nordey Théâtre de la Colline, du 13 octobre au 4 novembre 2001.

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8 octobre 2009 4 08 /10 /octobre /2009 07:27
Un monologue. Court. Percutant.
Prochainement sur les planches du Théâtre-Studio, à Alfortville (94), dans une mise en scène de Tiina KAARTAMA (je ne l’ai pas vue).


Un trentenaire, seul sur scène, raconte. Une vieille histoire d’enfance, celle du  long apprentissage de la violence, de la construction de soi à l’intérieur des seuls cercles de la brutalité. Son père, à coups de poings, de brosses, de chaînes. Une histoire vraie. Le battait. Raclées sur raclées. Puis le jour de ses treize ans, il commença de prendre conscience de sa soumission à cet ordre de choses. L’habitude d’être cogné, de cogner. Ne savoir que cela, n’avoir pour seul horizon que celui de la violence. Petit voyou désormais. Après un coup d’éclat, le voici envoyé en internat. Bien dans le style des années 50 cet internat, bizutages sévères, les 400 coups de Truffaut pour mémoire et l’école de la République (suédoise cette fois) : une vraie machine à humilier et briser les vies. Au sein de l’internat, avec la bénédiction des autorités, un figth club : le carré où les Terminales tabassent les nouveaux. L’humiliation nuit et jour. Impossible d’y échapper. Mais Erik s’y fait tout de même un ami : Pierre, qui ne sait ni se battre, ni se défendre. Et l’un et l’autre dissertent sur leur sort : ne peut-on donc arrêter la violence que par une violence plus grande ? Pierre prêche Gandhi. Mais il faut un sacré courage, mesurent-ils soudain. Résister. Comment résister ? Pierre sera bientôt la cible des violences qui n’atteignent pas Erik. Otage. Jusqu’à la torture – parfois un principe d’éducation dans les années 50 (au moins dans son versant «moral»). Il ne s’en relèvera pas, fuira l’école, son ami, à qui toute sa vie il reprochera de l’avoir trop exposé à une violence qu’il ne pouvait, lui, affronter. La soumission était-elle donc la solution ? Résister. Mais comment ? De retour chez lui, le père d’Erik veut remettre ça. On ne change pas une équipe qui gagne : le bourreau et sa victime. Mais c’est fini : Erik a grandi, il ne se laisse plus faire.

Résister. Un acte improbable dans nos vies, qui nous expose à tellement de violences en retour. C’est là l’un des enjeux de cette pièce, écrite dans la distance d’une histoire que l’auteur nous dit vécue, et dont il a su comprendre le sens. Ecrite donc sans émotion, comme le récit normal d’une vie banale, qui en rend le texte plus fort, évidemment.
joël jégouzo--.

La Fabrique de violence, de Jan Guillou, adaptation dramatique de Benny Haag, traduit du suédois par Philippe Bouquet, éd. L’Elan (9, rue Stephenson 44000 – Nantes), sept. 2002, 50p., 5 euros, EAN : 978-2-909027-49-X

LA FABRIQUE DE VIOLENCE, de Jan Guillou, mise en scène de Tiina KAARTAMA, théâtre, du 5 novembre au 12 décembre 2009 |21h mardi, vendredi |16h30 samedi en alternance

Théâtre-Studio
16 rue marcelin berthelot 94 140 alfortville
Au 01 43 76 86 56 du lundi au vendredi de 10h à 18h.
reservation@theatre-studio.com

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6 octobre 2009 2 06 /10 /octobre /2009 14:56

Le livre des violences est tout à la fois un catalogue, une réflexion, un essai, un roman, un document journalistique, la mise en abîme de discours hétérogènes, une proto-encyclopédie, bref un texte. Tout ou presque, campant au milieu des genres, jouant de toutes les justifications, de toutes les mystifications, ré-articulant les genres pour mieux construire son objet.

Certes, les (pâles) tentatives de catégorisation des types de violences qui s’affrontent dans le monde, voire le préambule et l’introduction pseudo méthodologique sur la démarche "inductive", pourraient tromper. Mais à le lire comme un essai, on risque d’en perdre la vraie richesse. Car ce livre est plus et moins que cela.

Vollmann a parcouru le monde et le parcourt encore depuis des décennies, construisant toujours ce même rapport à ce monde qu’il ne cesse de questionner sur ses lieux les plus sensibles. On se rappelle son inquiétant Pourquoi êtes-vous pauvres ?, avec sa démarche si contestable. Et face à son Livre des violences, on se prend souvent à se demander quelle peut être la finalité d’un tel ouvrage. En somme, tout à fait ce genre de livre au statut incertain que dénonçait B.W. dans BW….

 

1. DES RAISONS DE NE PAS LE LIRE.

A maintes reprises, chaque articulation narrative de l’ouvrage paraît fléchir rapidement pour ressasser une position réductrice. Son introduction sur la mort par exemple, qui n’apprend rien qu’on sache, récapitulant un peu tout ce que l’on a dit déjà sur le sujet. Ou bien ses réflexions sur la violence justifiée : qu’apportent-t-elles à celles de Max Weber ? Voire à celles de Franz Fanon, ou Hans Mayer évoquant la violence vengeresse qui crée une égalité négative, une égalité de la souffrance, ou à Jean Améry dissertant sur les violences qui  "humanisent", et bien d’autres encore, tel Malcom X, cruellement absent de l’ouvrage, ou l'étude : L’Homme enfanté par la violence (1971, Widersprücke, éd. Klett-Cotta), sans parler de toutes les analyses sur le sujet provenant du fonds des littératures de la décolonisation?…


On peut être aussi surpris par le style, "fleuri", de l’aveu de l’auteur (un mot, quel mot!, importé tout droit du vocabulaire non critique des plus mauvaises littératures du XIXème siècle). Style que l’auteur revendique et défend en outre en référence à l’intention affichée de gagner "l’adhésion" du lecteur… "L’adhésion" du lecteur !!! Là encore, ressortissant aux rouages des sous-littératures d’identification que dénonçaient déjà les auteurs du XIXème…


Vollmann ne brille pas par l’innovation stylistique, c’est le moins qu’on puisse dire, mais par ce qui est un peu la tarte à la crème du roman plus ou moins expérimental d’aujourd’hui : la composition. Car au fond, il n’est pas jusqu'au sens de son projet qui n’apparaissent candide, quand il en appelle à "l’espérance" comme lieu où rassembler notre lecture, sans se rendre compte qu’il emprunte ce concept au monde chrétien qui fait de l’espérance une vertu, et pas n’importe laquelle, permettez : une vertu théologale
, c’est-à-dire une vertu à laquelle l’homme, sans le secours de Dieu, ne peut accéder…


Apprendre enfin que la violence fut de tout temps pour le rester de tous les temps ne nous avance pas à grand-chose, sinon à nous encourager à relire les belles études bibliques de Ricœur quand ce dernier, commentant le Décalogue et son commandement inquiétant-"tu ne tueras point"-, s’interroge sur cette proposition grammaticale qui d’emblée inscrit le meurtre comme déjà là, un donné inévitable de la condition humaine.


Que faire, en somme, d’un tel ouvrage ?


Publié qui plus est dans une version abrégée ce qui, comme le souligne la librairie L’établi, à Alfortville (94), dans un entretien exclusif et inédit publié dans son premier bulletin –LIVraison 1#
– (offert à ses clients), ce qui donc n’est pas rien quand on prétend donner au lecteur le choix des situations dans lesquelles construire sa lecture. Version au demeurant fabriquée par suppression de chapitres entiers, formatant une bien curieuse compilation - à moins que l’on prétende que les 7 volumes américains sont largement redondants…


Que faire de ce livre ?

Que faire, quand c’est moins la question de la justification de la violence qui peut retenir, ni moins encore celle de savoir quand elle est justifiée dans l’Histoire et dans sa forme collective (il n’y a ici de réponse que dans l’Histoire) ? Qu’en faire lorsqu’on découvre l’auteur s’aventurer jusqu’au seuil inquiétant des violences dites d'"autodéfense" ?


Reste la personnalité de l’auteur courant les mondes glauques, sauvages, abrutis, non pour le sauver, mais le donner à lire.


Reste des pages superbement écrites, des descriptions du siège de Sarajevo par exemple, convoquant un plaisir inouï – pour un peu on en redemanderait, de grâce : un autre siège, d‘autres horreurs, guerres et massacres…

 


2. DES RAISONS DE LE LIRE.


Reste cette violence qui submerge tout,
le monde et l’ouvrage et la lecture qu’on en fait. Comme d’un geste de désespéré (Artaud) les mains haut levées au-dessus de la tête.


Reste la mise à plat roborative des catastrophes, des violences que Vollmann met à notre disposition en une somme indigeste dans laquelle creuser chacun ses propres questionnements.

Reste moins une encyclopédie que le naufrage d’un monde épars dont on relèverait les épaves, le témoignage d’une épouvante, celle de Vollmann ne parvenant pas à échapper à ses phobies, courant encore une fois les mondes glauques pour tenter d’y découvrir la forme de sa vie et ne rencontrant que ses contradictions auxquelles il ouvre la seule solution qui lui permette de tenir et dont il nous fait les témoins (...de sa folie, non de celle du monde) : sa solution poétique.
Et voir dans ce traitement "fleuri" qu’il y apporte l’artifice d’avoir créé une œuvre d’art remuante. Car Vollmann ne se fait pas l’historien des violences, il s’en fait l’artiste : la violence comme art poudréraire comme dirait Pierre Senges, qui nous serait dédiée, à nous, hommes de peu d’aplomb, intéressés à l’accélération de notre perte.
Et ce faisant rédige Une dramaturgie de la Violence.


Reste une démarche intellectuelle de prémices : construire un genre sans doxa. Où sans cesse se pose néanmoins la question de l’autorité du texte, évacuée sans l’être vraiment, jouant de toutes les ambiguïtés des genres : celui de l’essai par exemple et de ses postures langagières. Une démarche qui ouvre à cette interrogation : l’écriture, pour échapper au sens ou pour le recouvrir ? Pour le produire peut-être, Vollmann s’installant tout autant dans la revendication autotélique de la littérature (dont il ne faut pas oublier qu’elle accompagna la montée en puissance de la bourgeoisie), que dans son refus d’être coupée du monde.


Le silence rimbaldien et la fin de la lisibilité du monde, en sus. Où, depuis le XIXème siècle, la réalité est en quelque sorte devenue un cadavre dans le placard de la littérature. Ici, Vollmann exhiberait ce cadavre. Pour montrer aussi ce qu’il demeure de réalités dans les plis de la langue.


Mais rappelons-nous les revendications de la littérature expérimentale : ni catharsis, ni mimésis. Voici que Vollmann tout à la fois l’approuve et le refuse, construisant sa somme insensée. L’œuvre, dans ces conditions, comme expérience de quoi ? Une simulation ? Derrière les pages, plus de cosmos, à peine une sphère, un réel de fin de combines, ou bien le monde de chair et d’os ? Que nous montre Vollmann ? Les stigmates du monde pour rendre compte de son réel, car tout le reste serait épuisé ?


Reste donc l’intrigante identité littéraire de ce texte, et les filiations que lui reconnaît son éditeur français dans cet entretien inédit avec la Librairie l’établi : pour lui l’encyclopédie de Diderot et les Chants de Maldoror, pour moi seul ce dernier sans doute, superbe compilation des styles, des doutes, des terreurs d’une époque.
joël jégouzo--.

 

 

LE LIVRE DES VIOLENCES. QUELQUES PENSÉES SUR LA VIOLENCE, LA LIBERTÉ ET L'URGENCE DES MOYENS (RISING UP AND RISING DOWN), de William T. Vollmann, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-Paul Mourlon, éd. Tristram, septembre 2009, 944 pages, 35 €, EAN : 9782907681773.

LIBRAIRIE L’établi, Du Mardi au Samedi 10h/19h30 - Dimanche 10h/13h
121, rue Paul Vaillant-Couturier 94140 Alfortville, tél. 01 49 77 79 14 - librairie-etabli@orange.fr

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