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25 octobre 2011 2 25 /10 /octobre /2011 12:13
marcoussis-bouteille.jpgDans les années 20 paraissait, à Paris et Varsovie, en français et en polonais, une revue d'avant-garde -L'Art contemporain-, dédiée à la création artistique et littéraire européenne. Co-dirigée par des intellectuels polonais et parisiens, cette revue au format insolite (30x40 cm) offrit une tribune rare aux polonais de l'avant-garde d'alors, convoquant parfois écrivains et peintres dans des registres peu habituels (Chirico en rédacteur plutôt qu'en peintre, par exemple, voire Picasso dans le même emploi). Une revue attestant alors d'échanges nourris, donnant à comprendre combien le filtre polonais fut important dans ces années pour l'appréhension du périmètre européen.
Toute l’avant-garde s’y pressa, fiévreuse des théories qui dominaient alors l’espace du débat artistique.
Toute l’avant-garde put ainsi se tenir au courant des débats polonais particulièrement riches sur les questions de la place de l’art et de la littérature dans la société.
Qu’est-ce qu’une œuvre d’art, quelle est sa place dans le monde, voire sa fonction politique? Certains répondaient à la hâte, d’autres prenaient le temps de recenser les symptômes et de dénoncer la prolifération des "ismes" qui déferlaient alors et prétendaient dicter les canons de l’acte créateur.
Débats intenses, houleux, extraordinairement féconds du côté polonais, où l’on refusait à s’enfermer dans des positions par trop doctrinales.
Le cubisme, le dadaïsme, le futurisme, le constructivisme, le surréalisme, le formisme pour les polonais, un mouvement étonnant, jamais étudié en France, la revue passa ainsi au crible tout ce que l’Europe inventait, cherchant à débusquer l’émotion artistique, au risque de ses formes et de ses contenus, dans un monde que l’on pressentait alors déjà comme un décor encombrant.
Je voudrais juste ici rappeler cette mémoire. Anecdotiquement, a travers l’évocation paresseuse de deux personnalités du monde de l’art de cette période oubliées aujourd’hui et donner à entendre une voie critique, désuète par endroits, pertinente à d’autres, dans son mouvement d’humeur par exemple, contre la conception généalogiste de la création artistique et le rangement des artistes au sein des chronologies construites -et même si elle ne sait trop argumenter cette humeur, juste pour me rappeler combien l’exercice critique est délicat, périlleux, voire une forfanterie dont on ferait tout aussi bien de se passer…
 
"Louis Marcoussis, écrit ainsi dans le numéro 1 de la revue Waldemar George, défend avec témérité cette tradition du dandysme artistique, de l’aristocratie de la pensée et du geste, de l’élégance mentale et corporelle, dont le peintre Manet a été l’ultime représentant. (…) Et pourtant, Marcoussis n’est pas un peintre mondain. (…)
"Fleur d’une civilisation plusieurs fois séculaire, (…), ce Polonais installé à Paris depuis un quart de siècle, a fait ses études de droit à Varsovie".
la-table.jpgCubiste, il fut volontiers cité dans la monographie sur Picasso publiée par André Lewel, comme l’un des tout premiers, sinon le premier à expérimenter cette forme d’expression picturale inspirée tout droit de l’art primitif des Tatras. L’occasion pour Waldemar de fustiger les critiques français qui ne se sont jamais penchés sur la question, et au-delà de celle des origines, l’occasion de vilipender les gloses généalogistes en matière d’histoire de l’art :
"Il faut mettre fin à la légende des grands courants d’idées qui traversent l’univers et qui laissent leurs empreintes partout où ils accèdent. L’historien viennois Aloïs Riegl a démontré d’une manière décisive l’insanité de la doctrine de Semper, qui limitait nos fonctions créatrices à la solution des problèmes d’ordre technique, et qui présentait les artistes comme tributaires des matières que la nature mettait à leur portée. (…)
"Le cubisme était un continent sur le point d’être conquis. Il importe peu de savoir qui tient dans l’œuvre de cette conquête le rôle héroïque de Colomb (…).
Mais Waldemar n’en poursuit pas moins, dénonçant à juste titre cette histoire des arts que l’on ne cesse de nous écrire, et qui ne sait généralement mettre en série que des chronologies factices, ignorante d’autres influences qu’elle ne sait décrire.
Une ignorance qui l’aurait ainsi portée à voir en Marcoussis un "suiveur" moins talentueux qu’un Picasso, quand Marcoussis, "en plein cubisme analytique, tentait au contraire de rendre à l’élément frontal tout son ancien prestige."
Si bien qu’en "1928 Marcoussis tourne le dos au cubisme orthodoxe, au style ’école cubiste’, adopté par les deux hémisphères."
"(Mais) ce conflit entre l’élément plastique, entre le rythme propre à la construction de la beauté et une figuration magique et dramatique était perceptible dans la plupart de ses toiles. Or ce conflit a été aplani (par les cubistes officiels). (…)
"Marcoussis abandonne alors un mode qui comportait une interprétation de la réalité conforme, sinon aux apparences, aux lois régissant le mécanisme de l’œil, du moins à sa logique. Le cubisme n’est qu’un surnaturisme, une vision neuve des faits soumise à l’action d’une analyse ardente, une reconstruction de l’univers visible, un style elliptique susceptible d’être traduit en chiffres, connus de tous. (..)
"C’est (ainsi) en vain qu’on chercherait dans les tableaux que Louis Marcoussis livrera au public, lors de sa prochaine exposition, cette cadence organique qui liait les formes les unes aux autres et qui scellait l’unité de la surface. Point de sciures plastiques, basées sur des associations d'objets, voire d'images. (...)
"Une écriture tranchante, celle d’un homme qui énonce sa pensée avec force. Des formes à claire-voie que supporte une armature spatiale de plans opaques. (…)
"Marcoussis ne s’adresse désormais qu’à l’imagination. Devant ses toiles qui sont des mimogrammes, des formules rituelles ou des phrases musicales, il ne vient à l’idée de personne de songer à des problèmes posés et résolus. (…)
"Marcoussis refuse l’académisme, cette pierre d’achoppement des révolutionnaires, et brûle les théories de l’allitération. Au rythme formel il a substitué un mouvement figuré. A présent, il isole ses figures. Il transforme les rapports des surfaces en rapport d’espaces. Il émancipe les vides, les intervalles. Seule, la donnée poétique unifie son tableau. Elle en devient le principe, l’idée force. A l’empirisme et au rationnel il a préféré une forme sur laquelle l’expérience ne peut avoir aucune prise, une forme qui est une pure pensée créatrice, pure mode d’émotion, pure subjectivité."--joël jégouzo--.   
Revue L'Art contemporain, rédaction : 21, rue Valette, Paris 5ème, n°1, Kilométrage 0, janvier 1929, cote FN 14608, BNF. Image : Marcoussis, Une bouteille de whisky et un paquet de scaferlati (1913), Huile sur papier marouflé sur toile (55 x 46). Marcoussis :La table (1930), Eau-forte (25 x 18). Nombre de tableaux de Marcoussis sont visibles au Musée de Dijon.
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24 octobre 2011 1 24 /10 /octobre /2011 08:34
witkacy.jpgDans l’un de ses articles publiés en 1934, Witkacy renvoyait le lecteur à ses autres études de la façon suivante : "cf la critique des opinions de T. Kotarkinski, 1935, enfouie dans les tiroirs de mon bureau et ceux du bureau de Kotarkinsky".
J’aime assez cette désinvolture. Non qu’il faille enterrer à l’avance tout propos critique sous des tonnes d’autres considérations plus opportunes, mais qu’il puisse n’exister qu’en un lieu aussi vain, voilà qui réconforte en moi le sens de l’exercice, qui n’est pas d’instruire, mais de poursuivre, autant qu’on le pourrait, ailleurs, dans le déplacement de la raison et du langage, la possibilité de dire quoi que ce soit sur la littérature.
Viser autre chose, donc, que le déploiement rationnel et argumenté d’une péripétie langagière vouée presque toujours à sa disparition.
Cet autre chose qui pointe peut-être sous l’égarement auquel invitait Witkacy.
Et se rappeler, peut-être, que ce dernier écrivait toujours dans un état de surexcitation mentale, accroché au désir de débusquer l’inaudible et cultivant à l’excès le goût de du paradoxe. Il y avait en effet chez lui une vraie incapacité à exposer quoi que ce soit avec clarté. Sans doute cela tenait-il à la conception qu’il se faisait du monde, à son "ontologie plurielle" qui rejetait de toutes ses forces l’idée d’une unité de l’être et de la personne qu’il jugeait factice, et le conduisit à développer l’idée d’une totalité négative de l’être dont il voyait se manifester le sens dans cette dimension charnelle de nos vies (la chair, pas la viande), à tout jamais inaccessible à l’esprit humain. Une ontologie plurielle qui l’amenait en outre à développer un pessimisme viscéral, sinon un catastrophisme salutaire.
Et se rappeler encore, oui, c’est peut-être cela au fond, le seul horizon de tout discours : se rappeler que Witkacy refusait la fascination qu’exerce d’ordinaire sur les hommes la philosophie et sa prétention à restituer ses objets de pensée sans restes ni excédents. Un refus qui l’avait entraîné à ne composer qu’avec les restes et les excédents de la pensée, du verbe, du langage quel qu’il fut, au point de composer de véritables farcissures textuelles.
l-adieu.jpgCela pour l’analyse. Je ne voudrais pas lui faire à présent une "gueule", fût-elle d’écrivain…
(Bien avant Gombrowicz, Witkacy avait énoncé cette métaphore de la "gueule", exécrant les fâcheux qui vous enferment dans une attitude, une pensée, une œuvre, tout comme ceux qui ne se rendent jamais compte qu’après coup, la gueule par trop exagérément ouverte, après les guerres par exemple, le désarroi des peuples, l’injustice volubile des discours de domination, qu’il y a quelque chose qui cloche dans notre culture occidentale…)
Je ne lui ferai donc pas une gueule d’écrivain, mais me rappellerai encore le héros de cette œuvre, L’Adieu à l’automne , Athanase, un être velléitaire qui me faisait penser à l’être de trop de la culture russe des années vingt, à Bazarov, le héros négatif de Tourgueniev, témoignant dans cette marge qu’il inaugurait, de la naissance de l’intelligentsia comme classe discréditée. Nécessairement.
Je me rappelle même très exactement cet Athanase qui ne ressemble à rien mais sait se moquer de lui-même, devisant sans relâche, amoureux toujours, toujours transi sans trop savoir quoi faire de cette léthargie (n’est pas Lancelot qui veut), sinon ouvrir grand les portes au néant, à ce néant qui subjuguait dans les années 20, comme un joyau finement ciselé où contempler toutes les facettes d’un Moi que l’on vivait morcelé, plus "brillant" qu’il ne l’avait jamais été jusque là, mais du brillant des verroteries.
"Personne n’avait de conscience claire de l’être qu’il était en réalité (non plus métaphysiquement, cela, nul ne savait depuis longtemps, mais socialement) dans les structures compliquées et éphémères de la société et chacun avait une idée de soi tout à fait différente de ce qu’elle aurait dû être. (…)
Witkiewicz-Lodz.jpg"Même Athanase, cet improductif, mais assez intelligent, malgré une aptitude exceptionnelle à fixer les plus menus états d’âme, ne cessait de croiser en chemin son sosie intellectuel, lequel tendait vers la liquidation totale de tout son petit magasin mental.
Peut-être parce qu’il savait "que quelque part la grande mutation de l’humanité (était) en train de s’accomplir ; quelque chose de gigantesque (était) en train de déferler au-delà de l’horizon de (sa) compréhension étroite et (il) ne pouvait voir cette grandeur dans aucun fait qui lui fut perceptible.
"Je ne suis (beugle Athanase) qu’une chose sans nom, le déchet d’une pseudo-culture qui n’a réellement rien créé d’intéressant chez nous, ruminant depuis des siècles les nouveautés étrangères, et encore, presque toujours à contretemps.
Mais Athanase respirait : tout serait résolu par la vie elle-même.
Alors à ce moment exact, "(le) monde, splendide dans la menace de sa beauté indicible, se ramassa pour bondir et se jeta comme une bête féroce sur la pauvre charogne humaine qui l’avait trompé en se trompant elle-même, et il enfonça ses crocs avec toute sa cruauté jusqu’alors cachée, dans la malheureuse conscience qui cherchait en vain le salut."Son propre moi lui sembla d’un coup "une petite cochonnerie étalée comme une fine couche de graisse sur l’indifférente plaque métallique de la nécessité que quelque chose soit. "
Mais c’est sans doute d’autre chose, encore, qu’il faudrait se rappeler, qui restera dans l’ouvert d’une question que l’on ne sait peut-être même plus poser. --joël jégouzo--.
 

images : Witkacy et couv de son roman, épuisé.
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23 octobre 2011 7 23 /10 /octobre /2011 11:38

terre.jpg"Vivre ? Non. - Notre existence est remplie et sa coupe déborde !

Quel sablier comptera les heures de cette nuit ?

L'avenir ?... Sara, crois-en cette parole : nous venons de l'épuiser.

(...) La qualité de notre espoir ne nous permet pas la terre. Que demander, sinon de pâles reflets de tels instants, à cette misérable étoile où s'attarde notre mélancolie ?

La Terre, dis-tu ?

(...) C'est elle, ne le vois-tu pas, qui est devenue l'illusion !

Reconnais-le, Sara : nous avons détruit dans nos étranges coeurs l'amour de la vie - et c'est bien en Réalité, que nous sommes devenus nos âmes. Accepter désormais de vivre ne serait plus qu'un sacrilège envers nous-mêmes.

Vivre ? Les serviteurs feront cela pour nous."


 

Mallarmé, sur Villiers de l'Isle-Adam :

"Nul, que je me rappelle, ne fut, par un vent d'illusion engouffré dans les plis visibles, tombant de son geste ouvert qui signifiait "Me voici", avec une impulsion aussi véhémente et surnaturelle, poussé, que jadis cet adolescent ; ou ne connut à ce moment de la jeunesse dans lequel fulgure le destin entier, non le sien, mais celui possible de l'homme ! la scintillation mentale qui désigne le buste à jamais du diamant d'un ordre solitaire, ne serait-ce qu'en raison de regards abdiqués par la consience des autres.

Je ne sais pas, mais je crois, en réveillant ces souvenirs de primes années, que vraiment l'arrivée fut extraordinaire, ou que nous étions biens fous ! les deux peut-être et me plais à l'affirmer.

(...) ce candidat à toute majesté survivante, d'abord élut-il domicile chez les poètes (...).

(...) Rien ne troublera, chez moi ni dans l'esprit de plusieurs hommes, aujourd'hui dispersés, la vision de l'arrivant. Eclair, oui, cette réminiscence brillera selon la mémoire de chacun, n'est-ce pas ? des assistants."

(Mallarmé, Divagations)

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22 octobre 2011 6 22 /10 /octobre /2011 12:46
1977.jpgL’année du jubilé royal et celle de l’éventreur du Yorkshire, terrain de jeu sauvage de la police, des journalistes, des truands et du tueur, où ne s’affrontent que des démons médiocres – d’autant plus féroces donc. Une grande débâcle en somme, dans cette immense partie de cache-cache dans les rues de Leeds. Or cet univers glauque, où la fange le dispute à l’ignominie, est servi par une écriture de pure dénotation qui, de contractions brutales en phrases arides, vous assènent des scènes d’une violence inouïe. Une grande débâcle narrative en quelque sorte : David Peace déserte les conventions d’écriture et par sa double narration, ses contrepoints, ses ruptures narratives, nous projette de plain-pied dans l’Histoire telle que nous l’éprouvons désormais, erratique, indéchiffrable, violente jusqu’à l’écœurement d’une abjection sans nom.
 
1977 est le second volume du Red Riding Quartet, tétralogie sinistre que l’auteur a consacré au Yorkshire. Le monde qu’il dépeint n’est même plus au bord du chaos : il a sombré déjà dans l’abîme et ce monde, comme l’indique le titre, est derrière nous. Nous en sommes en quelques sortes les enfants naturels. Essoré par les crises à répétition, saturé de violences, de la rage vaine d’une classe ouvrière défenestrée de son destin, errant d’une actualité morbide l’autre, dans ce grand monde qui semble bien vouloir s’user jusqu’à la corde, s’il ne l’est pas déjà. Peace en consignait la veule tragédie dans sa tétralogie, s’en repaissait jusqu’à la nausée, nous livrant un opus sidérant pour les jours qui venaient, les nôtres, ici, maintenant, c’est fait, on y est, à patauger déjà dans un monde d’éventreurs peuplés de victimes folles, des délires les plus sordides, des hypocrisies les plus abjectes. --joël jégouzo--.
 
1977 de David Peace, trad. Daniel Lemoine, Rivages / Thriller, fév 2003, 357 p., 21€, ean : 978-2743610708.
 
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21 octobre 2011 5 21 /10 /octobre /2011 07:43

tour-de.jpgNos arrière-grands-parents plan-chaient encore sur ce manuel destiné à l'édification de leur belle jeunesse.
Roman d'éducation à la française, ce Tour de France est le récit d'un voyage que deux orphelins lorrains accomplissent pour retrouver leur seul parent vivant : un oncle exilé à Marseille. André et Julien Volden ont respectivement 14 et 17 ans. Ils ont franchi clandestinement la frontière allemande qui sépare, depuis 1871, la "pauvre" Alsace-Lorraine de la France. Fidèles à la mémoire de leur père (mort en expirant son dernier appel : "France !"), ils n'ont qu'un but : vivre dans cette France qu'ils ne connaissent pas, mais pour laquelle ils nourrissent une définitive passion... d'orphelins ! Le message est limpide. Curieusement d'ailleurs, ils s'éprouvent comme séparés de la mère Patrie (Heimat, avoueraient-ils pour un peu, et en allemand encore, si on les y poussait), dans laquelle ils n'ont jamais mis les pieds, mais pour laquelle ils n'hésitent pas à quitter leur "pays". C'est du reste cette dialectique Patrie/pays que l'ouvrage met ainsi en œuvre, au terme de laquelle le premier terme devrait pouvoir transcender le second, en s'appropriant nombre de ses prédicats. Traversant donc les différents pays de France, dont ils relèvent soigneusement les complémentarités et non les différences, nos deux enfants ne cessent d'y inscrire le travail par lequel devrait s'accomplir l'unité nationale : la mise en ordre téléologique de son espace.
fonte.jpgCar la France s’y affirme comme une géographie plutôt qu’une histoire ! Et pour cause : cette histoire n’est pas encore écrite, du moins, elle ne l’est que dans les couches savantes et aristocratiques de cet ensemble baptisé France par les grands géographes français du XIXème siècle, qui avaient opéré à ce renversement, préparé il est vrai par le concept d'année zéro de la Révolution (1792 : le français est rendu obligatoire sur tout le sol national constitué -il mettra encore des décennies avant de s'y établir). Mais il s'accomplit dans ce manuel avec une rare énergie, à destination des couches bourgeoises et populaires, sinon rurales. C'est donc dans cette sémantique du géographe –sinon du botaniste, sans doute pour enraciner dans la mentalité des futurs français (la population qui peuple l’espace géographique nommé France) l’idée du Droit du sol- que prennent pied les métaphores de la nation comme nation organique. "Le plus beau des jardins, c'est celui où il y a les plus belles espèces de fleurs. Eh bien, petit, la France est ce jardin". Or, dans ce jardin, l'histoire ne s'ouvre qu'au hasard de la promenade, comme autant de fenêtres sur l'imaginaire de la vie des Grands Hommes, au fond toujours la même malgré ses apparences de diversité : celle du service de la Patrie. Il n'y a ainsi plus aucune profondeur historique dans cette histoire qu’ils écrivent, mais un rapport de contiguïté que l’histoire entretiendrait avec l'espace qui l'exprimerait.

 

tourPour en rendre compte, il faudrait au fond accomplir un détour par la langue anglaise, qui différencie nettement l'Histoire (history) des histoires (stories). La consistance de l'identité française ainsi décrite ne relève pas de la compétence historique, mais idéologique : elle est une storie, une fable à l’usage des enfants.

Une storie que l’on réinscrit dans une géographie politique dont la logique repose sur... l'état des forces de production ! Précisons que G. Bruno n'est pas marxiste...
Car ce que nos enfants découvrent, ce ne sont pas des terroirs mais des circonscriptions et des bassins de production. Bruno ne cesse de dresser l'inventaire non pas des traditions, mais des innovations techniques qui foisonnent sur le sol français –et sans doute pour concurrencer celles qui font briller l’Allemagne et l’Angleterre de mille feux.

De ce point de vue, l'épilogue écrit en 1904 est un monument dressés aux valeurs scientistes et hygiénistes : l'inventaire n'oublie rien, du train, de la photographie, de Pasteur, des rayons X, du télescope, du microscope, du sous-main, du cinématographe, du métropolitain... Bref, de tout ce qui, en soi, ne possède aucun caractère français…

Le génie français de l'universel s'universalise au point de se dissoudre dans cette modernité qu'il a eu tant de mal, au demeurant, à rallier... Etrange tour de France qui s'accomplit en tour du monde symbolique au Jardin des Plantes, où se trouvent rassemblés la flore et la faune du monde entier. Le paysage français ? Il est industrieux et entièrement assujetti à cette vocation moderne. Donc habile : il disparaît avec le "produit" qui l'avait façonné. C'est l'exemple des mûriers du Dauphiné, un paysage d'arbres exfoliés - les feuilles servant à nourrir les vers à soie -, dont il ne reste plus trace aujourd'hui.
L'amour de la France se conjugue avec celui de l'hygiène, du travail, de la fierté d'appartenir à la race banche( !), "la plus parfaite des races humaines". Il s'avance dès lors au devant de bien des déconvenues, bien des malentendus, bien des paradoxes, tiraillé entre les valeurs de la modernité et celles des "pays", enracinées dans les contraintes des solidarités de proximité. Si bien que le Tour de France s'achève de nouveau sur l'obstacle du terroir. La téléologie moderniste tombe alors en panne pour ouvrir au triomphe la spéléologie, si l'on peut dire, de la France profonde.--joël jégouzo--





Le Tour de France par deux enfants, G. Bruno, éd. Belin, coll. Edition scolaire, déc. 1985, relié, 331 pages, ean : 978-2701102528. Epuisé.

Images chapitre XLVIII, sous-titrée : la plus grande usine de l’Europe : Le Creusot. Les hauts fourneaux pour fondre le fer.

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20 octobre 2011 4 20 /10 /octobre /2011 08:39

amselle-etnicisation.jpgJean-Loup Amselle intervient dans un débat qui n’est pas le sien, ou plutôt, qui n’est pas celui de sa discipline : l’anthropologie. Et ce faisant, il se couvre de ridicule, au mieux, car au pire, il émarge aux idéologies les plus douteuses, à défendre d’une part pareillement cette abstraction commode qu’est le modèle républicain français, aussi vide de sens public qu’il est abstrait, et prétendre d’autre part que ce modèle serait, le malheureux, assailli dans on sait trop bien quelle croisade il nous faudrait livrer, par un multiculturalisme anglo-saxon hérité des plus sombres agitations germaniques autour du concept de Kultur, associées à la désastreuse influence de la french theory sur les milieux universitaires américains…

Car que l’on prenne un peu la peine de lire les récentes études sur cette question si consensuelle du modèle républicain français, celles de nos députés par exemple, Gauche-Droite confondues, publiant un rapport aussitôt jeté dans les oubliettes de la République sur l’état des banlieues françaises pour affirmer, statistiques à l’appui, qu’elles sont devenues de véritables ghettos (ils emploient le mot !). Qu’on prenne la peine de lire l’étude récentes de chercheurs sur les cités, concluant à l’absence de ce modèle républicain entre les barres des immeubles non pas du fait de la volonté des jeunes qui y survivent, mais d’un Etat qui a décidé non seulement de se retirer de ces ghettos qu’il a construits, mais de les livrer à un vide effarant pour, n’en doutons plus, contempler à loisir leur chute infernale, et l’on mesurera alors ce que ces bonnes paroles républicaines apportent au débat !

Alors bien sûr, l’ouvrage ne se réduit pas à hurler avec les loups le désespoir de voir notre culture blanche si malmenée. Alors bien sûr, nous voulons bien imaginer avec Amselle que l’identité ne se déduit pas mais qu’elle se compile, encore faut-il l’analyser dans toute sa complexité, plutôt que de se contenter de déverser le vocabulaire des pétitions de principe à l’usage des étudiants de Khâgne… Une doxa forcenée en gros, où l’on croit s’en tirer avec la récitation du catéchisme intellectuel le plus convenu. Comme d’oser écrire des banalités du genre : c’est ce que l’on devient qui importe, pas ce que l’on est… Qu’il aille donc commenter son antienne dans les cités, où tout devenir est interdit.

supdupont.jpgDe même, l’on veut bien applaudir des deux mains à la dénonciation d’une Gauche qui aura failli ces dernières décennies, en abandonnant les classes laborieuses aux discours les plus tragiques de la République.

Mais qu’on veuille nous expliquer que construire le lien social c’est passer à travers les aires culturelles, là, on attend encore en vain une explication qui ne soit pas un sermon. Car on veut bien ne pas enfermer les enfants de la diversité dans leur négritude, belle formule, et eux aussi, cher Amselle, le voudraient bien, encore faudrait-il que la République le veuille elle aussi !

Amselle croit par ailleurs s’en tirer en dénonçant les discours de l’actuel pouvoir, qui nous ressert ce vieux plat bien français au demeurant, de la race et de sa souche. Il peut bien dénoncer le fiasco du débat sur l’identité nationale, mais à mettre pareillement en avant sa dénonciation de la promotion d’un marché politique de l’ethnicisation, du marketing ethnique, de la création artificielle de la diversité, on attend toujours qu’il nous prouve l’efficacité symbolique de l’idée de Nation, dans un pays où son usage ne paraît réservé qu’aux français de souche…

Car Amselle oublie une chose : c’est que la question de l’identité est d’abord une question politique. Une question qui ne se pose que dans le cadre des remaniements identitaires en cours, sur lesquels il serait dangereux de ne jeter qu’un œil agacé.

Comment ne pas reconnaître en effet la nature intrinsèquement politique des phénomènes identitaires ? Comment ne pas reconnaître que ce qui se joue dans la question du lien social, c’est bien une construction politique qui met toujours en cause les rapports de domination du pouvoir ?

Comment ne pas comprendre que cette construction des identités passe par l’assignation à chacun d’une identité propre lui permettant d’être socialement reconnu, mais que cette assignation ne peut être tributaire que de la manière dont sont produits, autorisés et diffusés l’ensemble des référents identitaires ?

PriseBastille.jpgComment ne pas comprendre qu’une société telle que la nôtre ne peut durer si les individus qui la composent ne trouvent pas le moyen de s’y repérer positivement ? C’est-à-dire dégager de leur expérience les supports de cohésions suffisants, comme le disent les chercheurs en sciences sociales. Allez dans les banlieues, étudier ces supports autorisés de cohésions suffisants ! Regardez comment la République y a façonné son désordre social. Partout ailleurs, dans les sociétés contemporaines, l’ordre social est tributaire du droit. Regardez comment la République française a sorti elle-même le droit des cités. Examinez-le simplement, dans les articulations les plus basiques de l’identification -nom, domicile, état civil-, appelez-vous Mohamed et travaillez votre parcours dans le neuf-trois.

Le vide laissé par la République a déchiré les individus. Alors Amselle peut bien invoquer l’idée de la Nation, mais depuis des décennies l’on sait pertinemment que la Nation n‘est pas, ne peut pas être le seul lieu d’identification, quand depuis des lustres des identités plus larges (l’Europe), plus étroites (la cité), la traversent légitimement. Quand depuis des lustres elle subit la concurrence des identités professionnelles, militantes, partisanes, associatives. Quand depuis des lustres l’identité fermée des pseudos républicains sévit comme la source la plus fumeuse du plus fumeux des malentendus !

L’identité enfin, n’est pas comme voudrait le croire Amselle, une donnée inaltérable. C’est, encore une fois, une construction sociale. Il faut le marteler : elle est le produit contingent d’une société qui ne cesse de se transformer. L’identité nationale ne peut pas être un patrimoine. Politique, elle s’invente dans les conflits qui traversent une société et ne peut ainsi qu’être problématique. Une stratégie de pouvoir, assurément, une ressource idéologique face à la soustraction républicaine dans les cités, non un argument d’autorité. Il n’y a pas de prêt-à-porter identitaire, de blouse d’écolier dont on forcerait tous les gamins de France à se parer ! Le socle identitaire est affaire de négociations, car l’identité ne peut être qu’un projet, bâti au terme de négociations qui ne peuvent pas ne pas poser la question du Pouvoir. --joël jégouzo--.

 

L’ethnicisation de la France, de Jean-Lou Amselle, éditions Lignes, août 2011, 144 pages, 14 euros, EAN : 9782355260803.

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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 05:22

simples-soldats.jpgDans les confins algériens, cinquante rappelés s’ennuient. L’ennemi n’est guère ici qu’une catégorie abstraite, qu’incarnent de loin en loin des bergers que nos rappelés s’efforcent de travestir en terroristes, sans jamais y parvenir : les bergers restent des bergers, exaspérés, inquiets, bousculés, mais pacifistes malgré leurs craintes et leurs colères contre ces hommes imbéciles qui veulent les voir souffrir. Nos bidasses s’ennuient finalement tellement que la tentation de fabriquer une gégène leur vient à l’esprit. Pour voir. Parce qu’ils ont entendu parlé de la gégène. Parce que d’autres sections s’y livrent avec bonheur, parce qu'on raconte qu'elle peut aider au moral des troupes. Ou alors ils aimeraient avoir des bêtes autour d’eux. La gégène ou une bête. Domestique. Un chien par exemple, parce qu’ils sont paysans, qu’ils ont perdu leurs repères et ne savent plus quels usages ni quelles règles honorer. Mais leur sous-lieutenant ne l’entend pas ainsi. Lui aimerait jouer les pacificateurs. Construire une école, instruire les enfants algériens. En français bien évidemment. De la beauté du français. Sa langue. Pas la leur. Que personne ne connaît du reste dans sa section. Alors il construit son école comme il le peut, avec des bouts de ficelle et se fait instituteur, pendant que ses camarades de guerre cherchent désespérément à faire la guerre. Tout de même, on est là pour ça, non ? Mais à défaut de guerre, la section organise une chasse au sanglier. A la mitrailleuse. Histoire de dégommer aussi un ou deux bergers. Pour voir. Des hommes ordinaires en somme, dont il faut souvent réparer les "bêtises" -l’agression sauvage d’un berger par exemple.

L’on songerait pour un peu au désert des Tartares ou à sa copie française : Le rivage des Syrtes. Le texte en possède la qualité d’écriture et s’orne de motifs proches. J’ai d’abord hésité à sa lecture. Le processus qui transforme les honnêtes gens en bourreau est banal. La cause est entendue. Reste à en éprouver l’émotion. Pour y parvenir, l’auteur crée des images, fortes : un homme dévoré par un chien. L’extraordinaire banalité du mal s’accomplit ainsi dans l’horreur. Et puis après ? Notre histoire algérienne s’est-elle épuisée là, avec cette section "presque" exemplaire, "à peine" travaillée par des interrogations morales ? Que répondre à cette question, sinon que, finalement, oui, "aussi". Le sursaut moral s’est fait attendre, en Algérie. Il y avait la France tortionnaire, la France fascisante, la France révoltée contre cette guerre, minuscule celle-là, et puis ces bonshommes embringués dans une sale histoire et qui tantôt inclinaient à jouer les bourreaux, tantôt se cachaient derrière la Raison d’Etat. Sans oublier cette France crétine, qui se paumait dans les Aurès parce que ses cartes n’étaient pas les bonnes… La France pourrie, l’Etat assassin, et des pauvres types qui dérapaient. Quelle horreur ! --joël jégouzo--.



Simples soldats, de Jean Debernard Actes Sud, coll. Un endroit où aller, août 2001, 202p, ISBN : 2742733965.

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18 octobre 2011 2 18 /10 /octobre /2011 07:30

 

guillotine.jpg"Paris. 17 octobre 1961.

Quand ils sont tombés les uns après les autres, la langue des morts s’est déchirée.

Mais bien avant cela déjà : Mers-el-Kébir, la baie d’Oran. Le fort des Cigognes.

A quoi ressemblait la chambre de Kateb Yacine, le jour où il est mort ? Les hommes pleuraient-ils de n’avoir su l’entendre ?

A l’automne 1961, Frantz Fanon, algérien d’adoption, vivait seul à New York, où on soignait son cancer. Il mourut le 6 décembre de cette même année, sans revoir sa famille, ses amis. Sous sa voix nichaient des millions d’autres, opprimées.

17 octobre 1961. Paris. Des centaines. Morts. On ne saura jamais.

Mais avant cela, Barberouse, sur les hauteurs d’Alger.

La prison des martyrs de la cause algérienne.

Car avant cela, la guillotine française tranchait nos têtes.

Celle d’Ahmed Zabana, à Barberouse.

Cotty lui refusa sa grâce.

Tout comme à Ferradj.

Zabana fit résonner les murs de la prison ce jour là de son cri : "je meurs, mes amis, mais l’Algérie vivra !"

Ferradj, terrorisé, fut traîné à l’échafaud.

Ferradj, l’ouvrier agricole qui ne connaissait pas Alger, ni la grande ville.

Ferradj, L’ouvrier agricole qui avait passé toute sa vie dans une ferme de la Mitidja. Le 19 juin 1966, on l’a traîné vers la mort. Coupable de rien. D’être arabe. Habillé de poussière.

baberouseLes familles des condamnés à mort se rendaient chaque matin devant Barberouse où chaque matin on placardait la liste de ceux qui allaient être exécutés.

Car avant le 17 octobre 1961, l’Etat français exécutait les algériens. Il en avait pris l’habitude en quelque sorte.

Car pour jeter dans les rues de Paris des milliers d’algériens le 17 octobre 1961, hommes, femmes et enfants tremblants de peur et de colère, il en avait fallu de la souffrance, de l’indignation et de l’exaspération.

17 octobre 1961. On ne saura jamais combien sont morts. Cette ignorance est déjà un crime.

Mais avant cela, on envoyait les nationalistes algériens à la guillotine.

Car avant cela, le pouvoir politique français avait accepté que des pouvoirs "dictatoriaux" fussent accordés à Guy Mollet.

Car avant cela, il ne faisait de doute pour personne qu’il fallait recourir aux exécutions capitales pour guérir les algériens de leurs velléités d’indépendance.
Il y eut donc Ahmed Zabana, rendu infirme par ses blessures, exécuté le 19 juin 1956 à 4 heures du matin, et Abdelkader Ferradj, exécuté sept minutes plus tard.
Et la justice française, qui prononça plus de 1 500 condamnations à mort, exécuta 222 militants du FLN, le plus souvent au terme d’une parodie de justice.

Bien avant le 17 octobre 1961. "

Kamel Laghouat.

 

 

Photographie : la prison Barberouse à l’époque coloniale.

Photo de la guillotine d’Alger, la vraie, utilisée dans le film italo-algérien La bataille d’Alger, réalisé par Gillo Pontecorvo. Long métrage en noir et blanc tourné en 1965.

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17 octobre 2011 1 17 /10 /octobre /2011 07:51

17oct1961-e2274.jpgAllons-nous cette fois encore commémorer le 17 octobre 1961 dans le vide ? Comme une date sortie du chapeau de l’Histoire, un voyage de mémoire les yeux fermés, saisis de scepticisme et de lassitude ?

Où engager un travail de mémoire à peine entamé sous le couvert des devoirs qui l’encombrent, quand déjà on voudrait qu’il laisse place à quelque attrayant spectacle, déposé de gerbe solennel, ronde des discours convenus avant de céder la place, demain, à quelque autre journée commémorative ?

17octobre1961.jpgQue devient cette mémoire algérienne de la France ? Quels enjeux recouvrerait-elle, quand partout dans le monde, et à commencer par la France, l’un des pays les plus zélés dans cette cause crapuleuse, le racisme anti-arabe n’aura jamais connu autant de succès ?

L’étude d’Edward Saïd parue en 1997, actualisée quelques mois avant sa mort, n’ouvrait-elle pas à un constat plus éprouvant que celui d’une commémoration les yeux fermés, quand le regard porté sur l’Islam par les médias, les hommes politiques, n’aura cessé de gagner en manichéisme brutal, en hostilité, et en bêtise ?

Quel devoir de mémoire nous épingler cette fois ? Y aurait-il par exemple un enjeu éthique à gagner dans cette commémoration ? Ou politique, intéressant notre situation dans le monde contemporain et dont on pourrait dire qu’il pourrait, au fond, l’informer durablement ?

De quoi s‘agirait-il aujourd’hui ? De savoir ce que devient cette trame mémorielle dont on voit bien qu’elle n’est pas capable de nous soustraire à l’inquiétude de voir, demain, un nouveau massacre (Syrte ?) s’affirmer dans l’indifférence générale ?

17oct61Que s’agit-il d’affronter, dans cette nouvelle commémoration ? L’aventure difficile d’interrogations vites tues, posées déjà dans cet ailleurs de la transmission muette d’une histoire dont les livres, seuls, se chargeraient ?

Mémoire collective et/ou mémoire individuelle ? Mémoire savante ou mémoire populaire ? Mémoire officielle ou mémoire privée ? Mémoire sociale ou mémoire identitaire ? Mémoire politique ou mémoire éthique ?

Que l’on me comprenne bien : il ne s’agit pas, cette fois encore, de réitérer les cris d’orfraie habituellement poussés sur le décorum républicain dont on accommode la mémoire du 17 octobre 1961. Ici et là, les archives d’une survie ancienne seront diffusées, empruntant, déjà, les voies de l’assomption du spectateur pour taire que des centaines d’arabes pourraient bien être encore jetés demain dans un fleuve, pourvu qu’il ne soit pas la Seine et ce, dans l’indifférence générale. Or il faudrait, justement, ouvrir cette journée à une réflexion inédite, celle de la pleine signification sociale et politique des raisons de commémorer le 17 octobre 1961. Loin de la déploration, dans l’inquiétude d’une histoire qui est encore la nôtre aujourd’hui. Et nous interroger vraiment sur le fait qu’il n’y ait pas, pour paraphraser Arendt, d’histoire plus difficile à raconter dans toute l’histoire de la France contemporaine que celle-là, semble-t-il.

OCTOBRE_1961_PH-17_20.jpgIl s’agirait de lui reconnaître une place "politique", au sens fort de ce que doit être le lien social. "L’histoire, écrivait Marc Bloch, c’est la dimension du sens que nous sommes". Il faudrait alors instruire ce sens, convoquer à travers son fragile surgissement la forme de cette cité éthique capable de se réaliser dans les conditions de la nature sensible de l’homme. Et nous défiant d’une commémoration de plus, d’une commémoration pour rien, prodiguer une vraie leçon de politique : vivre ensemble. --joël jégouzo--



Le collectif 17 octobre 1961, dont font partie le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié des peuples (Mrap) et la Ligue des droits de l’Homme (LDH), a demandé, comme chaque année que “les plus hautes autorités reconnaissent les massacres commis par la police parisienne”.

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16 octobre 2011 7 16 /10 /octobre /2011 06:15

lezard-lubrique.jpgMelancholy Cove, bourgade californienne. Dès septembre, la ville hiberne. Normalement. Mais là, tout va de travers. D’abord, Bess s’est pendue. Enfin… On l’a peut-être pendue. De toute façon elle était dépressive. La psy du bourg s’en croit quand même responsable et décide de supprimer les tranquillisants à plus d’un tiers de la population… Du coup, tous les cinglés de Melancholy se retrouvent livrés à leurs pulsions. Et il y en a de gratinées ! Sans compter qu’un gros lézard de trente tonnes tout droit sorti de Jurassic Park a décidé d’élire domicile dans la bourgade, à la poursuite d’un bluesman contre lequel il a gardé une sévère rancune…

"Un blues de coyote" était un chef-d’œuvre de drôlerie. Moore réitéra avec Melancholy, roman picaresque, loufoque, véritable farcissure littéraire épousant son imaginaire débridée. D’aucuns prétendirent qu’il était moins réussi. Mieux que mieux, c’est pas facile en effet… Moi, je n’y ai pas boudé mon plaisir. Et puis, comme le dit l’un des personnages : "on est en Amérique, et en Amérique chacun a le droit d’être totalement secoué". Au point même de ne pas écrire chef d'oeuvre sur chef d'oeuvre... --joël jégouzo--.

 

Le lézard lubrique de Melancholy Cove, de Christopher Moore, traduit par Luc Baranger, Série Noire, 2002.

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