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4 novembre 2011 5 04 /11 /novembre /2011 06:05

aden-france.jpgIl était une fois la crise… L’histoire est belle réécrite par super Sarko, pompier de la dernière chance, racolant ici, menaçant là, sauveur du système bancaire international qui passerait presque pour un sage à dénoncer la cupidité des marchés financiers, à promettre des régulations en feignant d’ignorer que la dérégulation fut l’œuvre des Etats, et à japper à qui veut l’entendre qu’il faut moraliser la finance, la bonne blague, quand on sait qu’on ne tient jamais de discours moral, en politique, que lorsque que l’on ne veut surtout pas tenir de discours politique !

L’histoire est belle, frottée à la ruse de l’idéologie néo-libérale qui aimerait bien que l’on croit que la tragédie que nous vivons n’est que le résultat d’un lancement hâtif de produits financiers mal maîtrisés et qu’il suffirait d’un peu de correction pour que tout aille mieux !

L’histoire est belle, d’un marché devenu subitement "fou", tout comme celle de ces cris d’orfraie le dénonçant, figure imposée désormais de la communication politique…

L’histoire est belle mais cousue de fils blancs. Et voici l’étude qui nous manquait pour en dévoiler l’hypocrisie dans toute son étendue, celle de Geoffrey Geuens scrutant de près les organigrammes de tous les acteurs des marchés de la finance internationale, ainsi que des oligarchies qui dirigent à la fois la marche politique du monde et celle des très grandes entreprises capitalistes. Et le résultat est consternant, car les noms qui circulent, des secrétaires démocrates de Bill Clinton à qui l’on doit le démantèlement des garde-fous installés après la crise de 1929, aux dirigeants cupides de Lehman Brothers restés depuis les fidèles mécènes d’Obama, en passant par le comité consultatif européen de ladite banque, où siège le français Edmond Alphandéry, offrent le panorama d’une oligarchie qui n’a cessé depuis dix ans de verrouiller son impunité…

A lire l’ouvrage, ces organigrammes indécents, ce que l’on découvre, c’est que la finance internationale dispose d’un vaste réseau de collaborateurs politiques qui sont devenus ses obligés appointés. Des conseillers grassement rémunérés, non seulement issus des droites les plus réactionnaires –ça, on l’imaginait volontiers-, mais des rangs des socialistes européens les plus convaincus, à l’image d’un Schröder conseillant la famille Rothschild, de l’équipe de DSK dévouée aux magnats de la finance à cette hallucinante Deuxième Gauche de Rocard, appointant dans les mêmes salons…

Qu’attendre, dans ces conditions, des incantations larmoyantes des uns et des autres en faveur d’un contrôle accru des institutions bancaires ? Qu’attendre quand blairistes, clintoniens, strauss-khaniens siègent aux conseils de surveillance des leaders mondiaux de la Haute finance ? Qu’attendre comme régulation des Hedge funds, quand un Alan Greespan rejoint Pimco, le principal bénéficiaire de la crise des subprimes ?

Qu’on ne nous dise pas que demain, l’encadrement des agences de notation sera renforcé : voyez qui conseille Fitch Ratings, ces proches de Giscard naguère, de Sarko aujourd’hui, tout comme d’Obama ou de Laurent Fabius…

Alors débarrassez-vous des analyses abstraites de la domination, jetez un œil sur ces organigrammes de la Finance Internationale, voyez qui siège et tente de nous imposer ses idées ruineuses pour les peuples, sinon mortelles. Voyez l’énorme compromission des médias, relayant cette pédagogie de la domination, pistez les têtes pensantes du social-libéralisme, tel Zaki Laïdi, collaborateur de Libé, orchestrant des confusions théoriques commodes entre capitalisme et néo-libéralisme, relayant toute honte bue la doxa conservatrice.

Que sont devenues en réalité nos économies ? L’économie américaine ? Un portefeuille géant. Le chef de l’Etat français ? Un homme d’Affaires au service de la fusion récente de la Haute banque avec la Grande industrie. L’Europe ? La Finance au pouvoir : c’est Denis Kessler, de BNP et Dexia, proche de DSK, ancien n° 2 du MEDEF, c’est Henri Proglio (Dexia et on en passe, cumulant à loisir), proche de Sarko, c’est le recrutement éhonté du personnel politique dans la faction hégémonique de la classe dirigeante. Et cela nous promet assurément un bel avenir, avec la complicité de médias stipendiés, travaillant dur à notre fin ! --joël jégouzo--.

 

  

La Finance imaginaire, anatomie du capitalisme : des "marchés financiers" à l’oligarchie, Geoffrey Geuens, éd. Aden, sept 2011, 356 pages, 25 euros, ean : 978-2-930-402062.

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3 novembre 2011 4 03 /11 /novembre /2011 08:04

le-grand-partout.jpgL’exercice paraît toujours artificiel sinon factice, et pour tout dire, dérisoire : un écrivain endosse, pour huit jours, une année entière, le costume de ce qu’il ne sera jamais, SDF ou roulier, trappeur presque sincèrement égaré parmi les ours de Sibérie, et au terme de cette "expérience" soigneusement cadrée, publie le récit d’un conte souvent poussif et faussement philosophique, qui aura ménagé tout au long de son enquête le seul vrai horizon à l’intérieur duquel l’exercice pouvait se dérouler : la littérature.

Vollmann ne convainc donc pas davantage que tous ceux qui se sont frottés au genre quand il se fait routard, roulier ou hobo. Mais il séduit pourtant, par les récits qu’il a su capter, les paroles qu’il a su voler autant que susciter, les personnages qu’il a saisi au gré de ses rapines.

Des histoires donc. Un récit. Entrecoupé d’essais et de notes critiques, sur les trains de marchandise ou ces familles américaines passablement à la marge qui ont choisi d’inventer une autre Amérique le long des voies ferrées, pour vivre le rêve américain des espaces de liberté rogues -le rêve américain sans rêve américain en somme. Une critique de la société américaine fondamentalement incohérente, réjouissante de si peu affirmer de pertinence.

Hommage aux Hobos donc, à ces habitants des broussailles qui n’aspirent qu’à attraper le dernier train de marchandise en partance pour l’Ouest, à ces sauvages délestés de nos peu rayonnantes identités résidentielles. Hommage aux nomades, au nomadisme, à cette culture en voie de disparition où s’est fondée une société invisible, solidaire, fédérée par le seul désir de partir.

Longer les rails du Sud, de l’Ouest, dans l’univers des graffitis graisseux, des essieux de camions, du fer, des clôtures métalliques. Hommage aux brûleurs de frontières dans le fracas des wagons, des ères de triages et de leurs sifflements d’air comprimé. Longer les rails pour avaler une pleine bouffée de ce brouillard suffocant des trains de fret, pour éprouver le vrai noir d’un tunnel, souffle coupé.

Le dehors est-il plus réel que le dedans ? Vollmann échoue nécessairement à nous faire vivre ce qu’un hobo ressent réellement, mais nous réconforte d’un langage qui nous est commun, cette poétique du rail, de l’expansion au soleil couchant d’une émotion de liberté sans pareille. Vollmann saisit en nous et non dans le cœur des hobos, ce goût des nuits laiteuses trouées de lumières blafardes, celui du flux héraclitéen des objets du monde jetés de part et d’autre de la voie, la silhouette d’un palmier fulgurant brutalement sous la nuit qui monte, la lune comme un alliage, au bout d’un horizon sans route. Vollmann échoue à décrire ce monde indescriptible et se grime en clochard céleste pour dévorer son désir d’Amérique. Twain, London, Thoreau, Kerouac, leurs odes splendides convoquant notre imaginaire du Grand Ouest, mais n’interrogeant désormais qu’à grand peine notre art de si mal vivre. Peut-être reste-t-il tout de même la vacuité de poursuivre sous le soleil de l’été cette liberté des grandes vacances que les enfants savent si bien exalter, invisibles dans leur suspens du temps social, immanents à leur être-là jeté sur les rebords du monde. --joël jégouzo--.

 

 

Le Grand Partout, William T. Vollmann, récit traduit de l’américain par Clément Baude, Actes Sud, oct. 2011, 206 pages, 212 euros, ean : 978-2-7427-9942-8

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2 novembre 2011 3 02 /11 /novembre /2011 06:05
septieme-sceau.jpgPar la mort, écrivait Rilke, "nous regardons au-dehors avec un grand regard d’animal." Non. Pas d’animal. Même si de ce regard qui ouvre notre chemin vers l’inconnu, nous ne connaissons rien. Car tapis dans la grâce infinie d’être humain, nous révélons en ce regard notre souveraine condition, pour nous faire peut-être "les espions de Dieu" auquel songeait Shakespeare, mystérieux détenteurs d’une connaissance indécidable. --joël jégouzo--.

Le Roi Lear, Shakespeare : Acte V, sc.3 (Arche éditeur, traduit de l‘anglais par Luc de Goustine) :
„Non, non, non, viens, partons pour la prison.
Nous deux seuls chanterons comme des oiseaux en cage.
Quand tu me demanderas de te bénir, à genoux
J‘implorerai ton pardon. Ainsi nous vivrons et prierons,
Et chanterons, et conterons de vieux contes et sourirons
À des papillons d‘or ; et nous écouterons de pauvres diables
Parler des nouvelles de la cour, et parlerons aussi avec eux
De qui perd et qui gagne, qui est dans le vent, qui pas,
Et nous prendrons sur nous le mystère des choses
Comme si nous étions les espions de Dieu, plus vivaces
En prison murés que les meutes et factions des grands
Qui croissent et décroissent sous la lune."
 
 
 
image : scènes finales, Det Sjunde Inseglet / Le Septième Sceau, de Ingmar Bergman, Suède, 1957, avec Max Von Sydow, Gunnar Bjornstrand, Bendt Ekerot, noir & blanc, 1H36’.
 
 
 
 
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1 novembre 2011 2 01 /11 /novembre /2011 06:14
danse-macabre-auvergne.jpg"Le premier point sera de voir par l’imagination les grands brasiers et les âmes comme des corps en feu.
"(…) entendre de mes oreilles les gémissements, les cris, les clameurs (…)
"(…) respirer par l’odorat la fumée, le souffre et la douceur de la putréfaction, l’odeur d’une sentine (…)
"(…) goûter par le goût des choses amères telles que les larmes, la tristesse, le ver de la conscience.
"(…) sentir par le toucher comment les feux embrasent et brûlent (…)"
Ignace de Loyola
Les exercices spirituels – cinquième exercice, dit de "la méditation de l’enfer".
 
Le cinquième exercice est celui de la méditation de l'enfer. Il vient à point, la veille du jour des morts… Il comprend, outre l'oraison préparatoire et les deux préludes, cinq points et un colloque. Le premier prélude est la composition de lieu, qui consiste, dans cette méditation, à voir avec les yeux de l'imagination l’espace de l’enfer dans ses trois dimensions, longueur, largeur et profondeur. Etrange, qu’il s’agisse de voir ce que nul n’a pu voir…Mais plus étranges encore, les attendus charnels des écrits d’Ignace. La montée des larmes dans son journal, par exemple, qui envahissent peu à peu tout l’espace verbal jusqu’à le submerger et l’ayant inondé, ne laissent émerger de cette écriture qu’un clapotis de notations fiévreuses, des pures surfaces écumantes qu’aucune profondeur ne sait plus atteindre… --joël jégouzo--.
 
Image : Maître de Philippe de Gueldre, un transi entraînant la femme du chevalier, extrait de La Danse macabre des femmes, de Martial d’Auvergne, Xvème siècle.
 
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31 octobre 2011 1 31 /10 /octobre /2011 06:05
A Jan Lebenstein
 
 
 
wat.jpgUn squelette qui se respecte
jamais ne se montre
nu
Ce tissu adipeux : son
habit. De muscles aussi. Et la peau, merveilleuse peau
devenue flasque l’âge aidant. Eh là ! ma peau
est flasque oui, mais ce costume est de Balenciaga !
Décoré de la médaille de fer blanc de l’héroïne. Demeure
grande et belle de son hôtesse. La religieuse dégrafera
cette médaille, m’ôtera ce costume –eh là !– de Balenciaga,
me lavera au savon Moscou Rouge, me vêtira
d’un pull-over que tricotèrent gratis
des filles du komsomol ! –admiratrices
de mon mari, grand écri-
vain. Là où battait,
émouvant chiffon,
mon petit
cœur,
on refixera la médaille,
belle médaille de fer blanc.
Et l’on me déposera en tombe,
moi –ce squelette qui tant se respectait
qu’il ne se montrait jamais
nu.   

Aleksander Wat (1990 – 1967). Non daté. Traduit par les soins du Courrier du Centre International d’etudes Poétiques, n0 189, janvier-mars 1991, Bibliothèque Royale, Bruxelles, issn : 0771-6443.

Image : Wat, parue dans la revue polonaise Notatnik frustrata, środa, 12 października 2011.

  
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30 octobre 2011 7 30 /10 /octobre /2011 09:10
 
miloszportrait3.jpg"J’allais vers les pauvres… D’un monde où l’on ne pense pas ce que l’on dit à un monde où l’on ne peut dire ce que l’on pense (…).
 
"Le cœur du puissant n’est pas comme celui de l’homme sans pain ; il est fermé au langage des choses qui ne sont pas possession. (…)
 
"La folie de l’orgueil, c’est d’élever le moindre butin par-dessus toute donation ; et lors même que la libéralité est avouée, de l’attribuer à l’inconnu. (…)
 
"Liberté. Humainement : chez le barbare, celle de prendre, et surtout de détruire. Chez le civilisé, celle de créer et de donner. Dans l’ordre social, c’est la recherche d’une organisation assurant le don mutuel. (…)
 
"Comme toutes choses me paraissent obscures et mesquines venant de ma vie d’homme, et claires et profondes venant de ma vie d’enfant.
 
"Il y a un grand mystère au fond de toute tendresse, un impénétrable secret dans le sein de toute passion ; un rêve que l’on oublie au réveil, un silence que l’on n’ose troubler, un mot que l’on craint de dire."
 
 
 
 Oskar Władysław de Lubicz Miłosz, lithuanien d’origine, écrivait en français. Il est décédé à Fontainebleau où se trouve sa tombe. Poète, dramaturge, diplomate, l’oncle du Nobel de littérature, il fut l’écrivain d’un seul éditeur, et pour ce dernier, le seul écrivain de sa maison d'édition. Cet éditeur s’appelait André Silvaire. On pouvait, jusque vers les années 90, le rencontrer, toujours disponible, dans ce petit comptoir qu’il louait au 20, rue Domat à Paris, dans le Vème arrondissement. Silvaire vouait au poète une admiration sans borne. Tout comme d’autres poètes, comme Jean Bellemin-Noël.
Maximes et pensées, O. V. de L. Miłosz, éd. André Silvaire, 1967, 160 pages, épuisé.
Images : photographie du poète.
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29 octobre 2011 6 29 /10 /octobre /2011 10:02
trader.jpgSalle des marchés. Open space tendu à l’extrême. Un emprunt à la marge, mille milliards d’euros. Naguère les cotations se faisaient à la criée, Zola en sautoir. Open space : il faut de l’agitation pour créer des stimuli. Exit les cloisons, donc. Open space : le modèle par excellence du stimulus operandi.
Depuis quand les banques ont-elles pris possession des Bourses ?
En 1531 fut créer à Amsterdam la première vraie Bourse du monde occidental. Déjà la maîtrise de l’information y était essentielle. A Paris, la Compagnie des agents de change vit le jour en 1801. En 1895 fut créé le MATIF. Et de nos jours nous avons le CAC 40. Cotation Assistée en Continu. Il ne s’agit plus aujourd’hui de disposer de l’information utile, il faut la devancer. Il faut pouvoir, toujours, disposer d’une information nouvelle. Et produire sa rationalisation. Le marché a peur, par exemple. Le marché s’emballe, manque de confiance le pauvre chou, est supendu à un mot, un chiffre, qui l'aidera à déployer ses métaphores, sportives et militaires. En ordre de bataille, les traders attaquent. Ils montent à l’assaut. Se replient. Ou font une pause. Pour empocher les dividendes, avant de remonter au front. Et puisqu’il faut bien se vendre, le trader passe aussi une partie de son temps à envoyer des signaux sur sa rentabilité.
Trader. Une économie psychique pulsionnelle. Penser profit. Calculer. Tout le temps. Seul compte l’arbitrage des mathématiques. Il faut mettre en équation des données, des chiffres, les courbes du marché. Toute la journée. Ne se soucier que du profit. Gagner à la hausse, gagner à la baisse. Trader, c’est être capable de formuler plusieurs stratégies contradictoires. Et formaliser la présentation de son raisonnement. Car si le monde n’existe pas, il faut lui donner le change : produire un discours moral sous couvert d'explications scientifiques, à l’attention des sociétés humaines que l’on veut plumer. Un discours moral vaut toujours mieux qu’un discours politique pour berner les gens. Trader, le droit de vie et de mort. Jeter un pays entier dans la misère : trois lignes de chiffres. Détenir le nomos donc. Je le fais et le défais. La guise est mathématique. Imparable.
Trader : la sauvagerie à l’état pur. Le Droit n’est qu’un art de fortune, vu depuis la salle des marchés, et depuis qu’elle est devenue ce que la cité juge de plus indispensable. De plus indispensable mais de plus fermé. Une clôture essentiellement masculine du reste. Derrière laquelle dissimuler les complicités les moins avouables. La salle des marchés ? Un espace depuis lequel domestiquer les êtres sans pudeur.
Exit le Droit, le politique, ne subsiste que l’expression d’un jugement construit au plus juste des lois mathématiques de la maison. Car là où le Droit établit un lien de vérité, le trader, lui, rétablit l’absurdité de cette attente de vérité.
Trader, l’instance même de la dé-socialisation des couches les plus favorisées de la Nation. La nouvelle économie est plus nouvelle qu’on ne saurait l’imaginer. Car être trader, c’est explorer des régulations non humaines de la cité. C’est dépasser l’illusion du politique. La méprise de l’idéologie. C’est travailler à la lettre le concept de réquisition de Heidegger, le seul concept que l’on souhaite sauver de tout le fatras philosophique, dans l’open space du marché, où substituer enfin la programmation à la conscience.
Trader, une inspiration post-ontologique, qui ne puise ses justifications que dans l’auto-référence. Non pas une bulle, fût-elle financière, une circularité parfaite où accomplir le grand œuvre de destruction de l’humain. –joël jégouzo--.
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28 octobre 2011 5 28 /10 /octobre /2011 05:08
"what a mystery"… "what a beauty"
 
"Qui, si je criais, qui donc entendrait mon cri
parmi les hiérarchies des Anges ?
Et cela serait-il, même, et que l'un d'eux soudain
me prenne sur son cœur : trop forte serait sa présence
et j'y succomberais, qu’à peine à ce degré nous pouvons supporter encore ;
            car le Beau n'est rien autre que le commencement du terrible
et si nous l'admirons, et tant, c'est qu'il dédaigne
et laisse de nous anéantir.
Tout Ange est terrible..."
Rainer Maria Rilke


Stromboli, (terra di dio), de Roberto Rossellini, 1949, dernière séquence.
"What a mystery", "What beauty"... Ingrid, au sommet du Stromboli
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27 octobre 2011 4 27 /10 /octobre /2011 05:10
ailes-du-desir-1987.jpg"Ô heures de l’enfance
où il n’y avait plus, derrière les figures, rien seulement
que du passé, et devant nous, nullement l’avenir.
Certes nous grandissions et même étions, parfois,
pressés d’êtres des grands bientôt, à moitié par amour
pour ceux qui n’avaient rien de plus, si ce n’est qu’ils avaient grandi.
Et pourtant nous étions, dans notre progrès solitaire,
satisfaits et joyeux avec tout ce qui dure ; et nous nous tenions là,
dans l’intervalle qui sépare le Monde du jouet,
debout à cette place, qui fut dès le commencement
fondée par un événement pur.
Où se tient un enfant, qui nous le montrera ? Qui le place
en son lieu dans la constellation, et met entre ses mains
la mesure de la distance ? Qui confectionne ce pain gris,
qui devient dur, la mort d’enfant, -ou dans sa bouche ronde
la lui laisse comme le trognon
d’une belle pomme ?… Les meurtriers, on peut
aisément les comprendre. Mais cela : avoir en soi la mort,
la mort en sa totalité, et dès avant la vie encore
si doucement la contenir, et ne pas en être mauvais !…
Oh ! c’est inexprimable !"
R. M. Rilke
 
images : Les ailes du désir
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26 octobre 2011 3 26 /10 /octobre /2011 14:20

avant-garde-polo-poesie.jpg"l’œuvre d’art est une allusion fermée à la réalité", Tadeusz Peiper.

 

L’Institut polonais de Berlin présente jusqu’au 10 novembre 2011 des œuvres de l’avant-garde polonaise constituée autour de Jan Brzękowski , œuvres issues de la collection d’Egidio Marzona, dans le cadre d’une exposition intitulée "Kilométrage - Jan Brzękowski et ses univers artistique."

 

Jan Brzękowski (1903-1983) – poète, théoricien de la poésie et écrivain, s’était installé à Paris dès 1928, où il animait la revue signalée plus haut, avec le groupe a. r., formé autour de Władysław Strzemiński, Katarzyna Kobro et Julian Przyboś.

Ce groupe avait ouvert le premier musée d’art moderne à Łódź  dans les années 30, ainsi qu’un immense centre d‘art contemporain au cœur de friches industrielles où des communautés d’artistes vinrent vivre là un peu comme le firent par la suite les artistes new-yorkais de la Factory.

Théoricien de la poésie, Jan Brzękowski fit paraître dans le premier numéro de la revue l’Art contemporain  une longue analyse sur le sens de la métaphore dans la création littéraire contemporaine, dont voici quelques extraits :

l-art-moderne-jan.jpg“Il n’y a pas longtemps, la métaphore était l’attribut le plus réel de la poésie nouvelle, (…) avant-dernière marche de la nouvelle réalité poétique. (Parmi ses pionniers), il faut considérer les Mots en liberté  de Marinetti qui, n’employant que des morceaux autonomes et non liés d’images (les substantifs concrets et abstraits) ne comprenait pas les relations de fonction qui existaient entre eux. (Ce faisant, il travailla sans le vouloir sa poésie pour en faire une sorte de métaphore étendue. (…)

Mais on ne peut écarter le fait que toute “métaphore est en même temps une épreuve de classification. C’est-à-dire, en principe, qu’elle est abusive, comme tout ce qui classifie. La conscience de son caractère abusif clairement perçue laisse entrevoir comme un sentiment de protestation contre l’impossibilité de connaître quoi que ce soit, protestation qui, en soi, est déjà porteuse d’une valeur critique de premier ordre.

Car “La métaphore embrass(ant) en même temps la réalité vitale et abstraite, ne fait qu’exprimer un conflit métaphysique. Ses éléments, (articulant) différentes réalités qui sont parfois liées par des rapports très éloignés (quelque fois ne pouvant être que vaguement sentis) provoquent certes l’étonnement, épiderme de la sensation artistique” (…), qui explique que “la métaphore n’en (soit) pas moins devenue l’instrument de compréhension et d’expression de la vie moderne. (…)

“Les années dernières semblent vouloir rectifier l’hypertrophie de la métaphore en cherchant des valeurs nouvelles dans la phrase et dans l’idée. (…)

“Les surréalistes ont attaqué avec violence la métaphore. Ils avaient choisi pour méthode la production irrationnelle des images –l’écriture mécanique (sic ! Jan semble ne pas connaître l'expression d'écriture automatique...)

Bréton (resic quant à l’orthographe d’André !), aussi bien que Marinetti propage le culte de la fantaisie pour en faire la méthode unique de création. Avec cette différence que Marinetti emploie les mots dans leurs rapports concrets logiques, tandis que Bréton (bien malgré lui) se sert de l’image pour produire ses effets poétiques. Nous faisant ainsi passer du mot concret autonome unique à la métaphore image, qui est déjà l’expression du rapport de fonction existant entre deux réalités bien distinctes.L’ensemble du poème devient ainsi l’équivalent d’un sentiment métaphysique.

poesie-jan.jpgOr “ l’œuvre d’art, comme le dit Tadeusz Peiper, est une “allusion fermée à la réalité”. Cette charge électrique de l’allusion est la chose la plus importante dans l’art. Par son identification avec la réalité, certains mouvements passéistes se sont complètement déchargés de cette vocation et ont oublié qu’on ne range dans le domaine de l’art que ce qui dépasse les limites de la nature et qui est artificiel.

“La poésie nouvelle a produit surtout un appareillage nouveau. Le matériel poétique ne s’est changé que peu. La ville et la machine ont élargi évidemment la sphère de ce qui est poétique, (…) mais d’après les statistiques d’Ozenfant, la fréquence des expressions (la nuit, etc.) stéréotypées de la poésie classique n’a pas beaucoup changé. (…)

Ajoutons à cela que le signe caractéristique de la vie moderne est sa vitesse et son intensité. On comprendra alors que le trait essentiel de la poésie contemporaine soit le raccourci, non la métaphore. L’abréviation, devenue source d’émotion plastique : l’abrégé est la valeur la plus essentielle de la construction poétique. Rejeter les détails inutiles et onéreux. Tenir l’ellipse comme principe essentiel de la modernité.

Voilà peut-être pourquoi le surréalisme a fait de l’ellipse la force créatrice par excellence. Car elle est enracinée dans la subconscience dont la caractéristique majeure est de s’opposer puissamment à l’intellectualisme de notre siècle.

Seuphor, poète lettriste, qui lie les mots d’après leurs inclinaisons attractives adossées au vocabulaire du subconscient, ou d’après le mouvement visuel des images qu’ils provoquent, comme dans le mouvement de certains films d’avant-garde, en est le meilleur exemple.

“Le lyrisme condensé existant dans les valeurs des mots en fonction d’eux-mêmes nous donne une image-notion qui paraît être le but de la poésie nouvelle. La méthode créatrice du laboratoire poétique est l’extraction de ce lyrisme dans sa forme pure, sans produits latéraux. L’image-métaphore, qui n’est pas le symbole d’une tension, mais son équivalent.”

 

 

Exposition de l’Institut polonais à Berlin et de la collection Marzona. L’événement est accompagné d’une publication de la maison d’édition Verlag der Buchhandlung Walther König. Du 9 septembre au 10 novembre 2011. Institut polonais, Burgstrasse 27, 10178 Berlin, Allemagne
http://berlin.polnischekultur.de/index.php?navi=013&id=675

Revue L'Art contemporain, rédaction : 21, rue Valette, Paris 5ème, n°1, Kilométrage 0, janvier 1929, cote FN 14608, BNF. Images : textes de Jan Brzękowski.

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