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24 avril 2012 2 24 /04 /avril /2012 04:44

gratitude.jpgLe vrai travail... Allez le dire aux millions de chômeurs qui en cherchent un désespérément ! Un vrai travail... Parlez-en aux millions de travailleurs précaires ! Car ils se comptent par millions, si l'on veut vraiment tenir le discours de la vérité du travail en France. Des millions et non ces statistiques politiciennes qui d'année en année ne visent qu'à exclure de la comptabilité du chômage les salariés désespérés qui viennent grossir les rangs d'une politique honteuse. Des millions de précaires, des millions d'hommes et de femmes exclus d'un marché du travail cassé, saboté, des millions exclus même du moindre secours. Le vrai travail... Faut-il manquer à ce point de vergogne que l'on puisse s'autoriser d'un tel langage ! Jour après jour, ouvriers kleenex, employés poussés à bout, paysans poussés au suicide, cadres poussés à la rue... Un bel exemple, oui, de jactence sordide que celle qui voudrait nous faire croire que le travail est une valeur du monde néo-libéral, quand il n'est que la variable d'ajustement d'une économie prédatrice !

Et ce, partout où le néo-libéralisme s'est imposé à la surface de la planète, soustrayant au monde ses richesses pour n'en faire, oui pour le coup, qu'un village apeuré qu'une lie infâme abuse. Allez, prenez le Japon pour l'exemple, perclu d'horreur, ravagé par une catastrophe nucélaire dont on ne révèle même plus aujourd'hui la vérité. Prenez ce Japon de Fukushima, passé pour pertes et profits d'une actualité de toute façon immonde sous la     plume des éditocrates stipendiés. Prenez le Japon, un jour comme un autre. Dans cet édifiant roman qui dit l'atroce d'une réalité plus horrible qu'on ne saurait l'imaginer.

Kyoko, 36 ans, célibataire, est sans emploi depuis qu’elle a été licenciée pour avoir molesté son patron qui ne cessait de la harceler. "Quel est votre but dans la vie ? ", lui a-t-on demandé lors d’un entretien d'embauche. " Vivre vieille ", a-t-elle répondu… L'horizon le plus incertain désormais, après Fukushima. La lutte pour la survie dès lors, les portes des entreprises fermées à ce trop plein de sarcasmes. Kyoko qui, comme toutes ses camarades d’enfance, a bossé comme une folle pour réussir ses études et voilà le résultat : il n’y a plus de travail. Ou bien il faut en passer par l’obscénité des petits chefs arrogants. Se marier peut-être. La voilà qui accepte une "rencontre arrangée" avec un fat entiché de lui-même et de ses pitoyables réussites en affaires… Alors, bien qu’il soit très mal vu au japon d’être sans travail et célibataire lorsqu’on est une femme de plus de trente ans, au mépris de cette réalité morale énoncée à longueur de journée par la brutalité médiatique, Kyoko le plante et va noyer son découragement dans un bar. "C'est chiant, d'être une femme", conclue-t-elle, une boule au travers de la gorge et c’est bien tout ce qui lui reste, cette gorge nouée. Nous arrive-t-il quelque chose de bien dans ce monde qui a tout fait pour nous faire croire aux vertus du travail avant de nous déposséder de tout accès au travail ? Pas de risque…

Dans le second récit délicatement fantastique, Oikawa est liée par un pacte singulier à son collègue de travail, Futo : celui qui survivra à l’autre devra détruire toutes les traces des petits secrets du défunt, même les plus futiles. Futo meurt bêtement : un suicidé lui est tombé dessus. Son fantôme apparaît à Oikawa. Un rien dépité, mais délié de lui-même, du monde, de l’allégeance passée à l’idéologie du travail, en pleine déconfiture dans le Japon contemporain. Il convoque Oikawa sur le bord de ses souvenirs. Oikawa méprisée, qui découvre qu’elle a toujours vécu dans l’ombre d’un supérieur, forcément masculin. Solitaire là encore, incomprise.

Deux récits très crus d’une situation japonaise insoutenable pour les femmes, victimes toutes désignées d’une société qui célèbre néanmoins avec toujours le même cynisme la date du 23 novembre, comme Jour de la "Gratitude au Travail". Un jour de honte pour les sans-emploi, pas davantage serein pour les autres, et qui ne sert qu’à cacher la misère de ces vies exemplaires des salariés modèles. Deux récits presque naïfs, ouverts à la banalité d’un monde sordide, le nôtre.

 

Le Jour de la Gratitude au Travail, de Akiko Itoyama, traduit du japonais par Marie-Noëlle Ouvray, éd. Philippe Picquier, avril 2008, 100 pages, 13 euros, EAN : 978-2877309905.

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21 avril 2012 6 21 /04 /avril /2012 04:21

« J’ai été Macbeth »…
Un tel aveu laisse pantois. Imaginez son équivalent français : "J'ai été Président"...
«J’ai été Macbeth – je le sais, j’ai été Macbeth»…
Son métier consistait à frapper de stupeur.
Maître des événements, de la parole, en charge du pouvoir de vie et de mort, à décider  de la misère comme des souffrances.
La solitude du monologue de cet homme qui se souvient d'avoir été Macbeth semble attester d’un vrai pouvoir perdu, se révélant dans ce à quoi tout monologue engage : l’immense fragilité à ne pouvoir établir son être dans un dialogue.
De sorte que la certitude et la méfiance se combinent ici pour ne produire dans le périmètre d’un  tel discours qu’un décor.
Mais quand bien même, serait-il aussi déroutant pour le roi que pour l’acteur, de régner sur un décor ?
Tyran ou comédien, qui le dira, de ce qu’au théâtre la mort même, pour se rendre crédible, doive charrier quelque chose du vivant ?
Tout y est dans ce superbe texte de Pierre Senges, de la jouissance du pouvoir à la fébrilité de sa conquête, tout comme du goût de l’emphase dès lors qu’il est tombé entre vos mains, ce pouvoir. Tout y est jusqu’au doute de posséder quoi que ce soit, d’injonction en injonction, le «de cela je suis sûr» ouvrant à l’éparpillement des convictions. La solitude du pouvoir ? Une farce, qui se noue très vite à cette unique certitude : l’inanité de l’expression «la comédie du pouvoir».
Il y a dans Macbeth quelque chose du tyran et il n’y a rien de ce qui fonde à nos yeux le tyran : dans la pièce de Shakespeare, il n’est plus qu’une image. Mais le rôle titre doit y demeurer tyrannique. (Macbeth, au théâtre, est-ce un personnage qui doit tyranniser l’espace de la représentation ?)
Etre Macbeth, pour un tyran, c’est savoir qu’on appartient à un passé qui n’intéresse plus.
Etre Macbeth pour un comédien, c’est s’en souvenir comme d’un «mélange de cabale politique et de maison hantée», «accumuler un savoir des interprétations du rôle, des représentations, voire se souvenir des tyrans». Mais dans quel but ? Est-il possible d’en tirer une leçon qui ne serait pas qu’à l’usage des salles de spectacle ? Proférer les mots de l’autorité avec les mots du comédien, qu’est-ce que cela peut bien vouloir signifier ?
Au fond, qu’est-ce qui est indécidable ? La réalité ou son double ?
Cependant qu’il ne faut jamais oublier que comparer le monde à un théâtre ne profite qu’au tyran. L’idée de la comédie du pouvoir ne sert que le pouvoir, car comme l’écrit Pierre Senges, «pour ne pas céder le pouvoir à des maîtres de ballet, il faut renoncer à envisager l’univers comme une fantaisie».
A l’ignorer, on méconnaît que le tyran, lui, ne comprend pas la comédie : s'il possède la malice, il ne possède pas l’intelligence publique.
Le vrai Macbeth, s'il avait existé, n'aurait été qu'un imposteur entretenant l’idée de la validité de l’expression «la comédie du pouvoir» pour excuser sa politique, laquelle n'aurait engendré que la mesquinerie et sa magnificence, pour abjurer l'idée que la fidélité est l'ennemi de l'homme politique. De sorte que l’on ne peut lui reprocher, au fond, que de savoir si mal jouer la comédie, tout en ne doutant de rien. Toute honte bue, le tyran fait un spectacle de son cabotinage – ouvrant à son seul lustre : une tyrannie sans royauté.
Ruminant une sorte de dramaturgie de Macbeth, Pierre Senges nous invite à nous interroger : quels indices ramasser pour différencier le tyran du pitre ? L’impudence, l’orgueil, l’aplomb d’une pseudo autorité. Et sur l’espace de la représentation, nous interpelle avec force : l’art théâtral sert-il la justice, ou n’est-il qu’une consolation, qu'un cérémonial qui ne servirait qu’à «entretenir des rituels de révolte de peur de les oublier un jour» ?…


Sort l’assassin, entre le spectre, de Pierre Senges, éditions Verticales, août 2006, 96p., 10,5 euros, isbn : 2070781127

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20 avril 2012 5 20 /04 /avril /2012 04:33

nicolas-sarkozy-chomage_fevrier2012.jpgLe BIP 40 est le baromètre des inégalités et de la pauvreté. Vous n'en entendrez jamais parler : l'INSEE n'a pas voulu le retenir, et les éditocrates préfèrent le taire. Et pour cause : Précarité, pauvreté, inégalités : le baromètre explose depuis que Sarkozy est au pouvoir. L’indicateur, élaboré par le Réseau d’alerte sur les inégalités indique des hausses sans commune mesure avec la montée en puissance conjoncturelle de la fameuse crise alibi de la Droite. Avec Sarkozy, nous sommes entrés dans une spirale morbide d’accroissement des inégalités et de la pauvreté. Et bien évidemment, alors que les chiffres du Dow Jones et du Cac 40 sont relayés partout dans les médias, ceux du BIP 40 sont tus. Sans doute parce qu'à trop fréquenter ces chiffres là, on finit vite par se rendre compte que les politiques mises en place par l'actuel président convergent toutes vers la paupérisation du Peuple français et sa précarisation forcenée.

Mais ne croyez rien, ni personne, donnez-vous simplement la peine d'en suivre l'évolution sur le site du BIP 40. Vous y apprendrez accessoirement beaucoup sur les promesses en l'air et les maraudes financières de nos chers dirigeants. Vous y apprendrez à démonter les discours fallacieux concernant le chômage et la formation par exemple, qui ne profite, chiffres à l'appui, qu'aux plus formés... Non que les ouvriers n'en veulent pas, bien au contraire... Car là encore, là toujours, un vrai parcours du combattant est imposé aux classes défavorisées, moins de 20% des ouvriers et employés y parvenant, quand la moitié des cadres se forment sans difficulté...

Vous y apprendrez aussi que la France connaît une explosion de demandes d'aides, et que près de 40% de ces demandes sont tournées vers les besoins alimentaires. Que près de 20% de ces demandes concernent en outre des populations salariées. Que les pourvoyeurs de repas gratuits sont débordés. Que la Fédération Française des banques alimentaires, qui ravitaille plus de 5 000 associations, enregistre une hausse sans précédent de la quantité des produits à livrer. Que dans les 250 vestiaires de la Croix-Rouge, le nombre d’acheteurs est en hausse faramineuse. Que la plate-forme téléphonique lancée par la Fondation Abbé Pierre reçoit désormais un nombre ahurissant de demandes de secours d’urgence. Que le nombre de dossiers pour surendettement en France ne cesse de bondir d'année en année...

Vous y apprendrez encore que Sarkozy parle beaucoup des fraudeurs au chômage -qui ne représentent statistiquement rien-, et tonne volontiers contre les patrons voyous qu'il faudrait ramener dans le droit chemin, mais qu'il ne dit jamais que l'Etat français, contre ses propres règles de Droit, refuse l’accès des prestations sociales aux étrangers qui y ont droit.

Vous y apprendrez aussi que le RSA est inefficace contre la pauvreté (ça, on s'en doutait), mais que surtout, il ne fait qu'enfermer dans la spirale des "petits boulots" ceux qui sont pris à son piège.

Et vous découvrirez enfin les vrais chiffres du chômage, ces millions dont on ne parle jamais, écartés de la comptabilité publique sans vergogne.

Mais ne croyez rien, ni personne, vérifiez, c'est à 1 clic : http://www.bip40.org/

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17 avril 2012 2 17 /04 /avril /2012 04:00

basquiat.jpgAu XIXème siècle, le métissage s’énonçait comme la contamination des races dites pures, lieu des dégénérescences physiques et mentales. Le métis était un monstre, enfant du péché contre le droit du sang. Il marquait aussi, nous fait remarquer Martine Delvaux, une rupture dans l'économie de la reproduction puisque infécond... Exclu parce qu’incapable de produire du même, intriguant les figures des discours sur la pureté de la race hantés par la question des origines, il était doublement condamnable en ce qu’il révélait aussi très brutalement la fin possible du monde, sa stérilité existentielle n’introduisant à rien d’autre.

La phobie de la mixité fut telle que longtemps, l’on ne songea qu’à la solution de la stérilisation pour empêcher ces monstres de se reproduire, et l’invention d’un espace tiers où les ranger, un peu en marge de notre humanité, mais lui appartenant encore néanmoins.

Pour autant, nombre d’auteurs du XIXème siècle finirent par trouver à ce tiers espace, celui de l’exclusion, certaines vertus : il se révélait un espace d’invention.

C'est ce tiers espace qui intéressa particulièrement Martine Delvaux dans son étude, dont l’approche est volontiers psychologisante. Ce tiers espace, elle l’énonce de fait comme étant aussi un topos de la folie. La folie ne fut-elle pas elle aussi rangée par les soins d’une Doxa prompte à s’amputer des deux bras et des jambes, comme un lieu à part, digne d’études médicales, mais non sans intérêt ? Et l’auteure de remarquer que de ce point de vue, la folie a par ailleurs été aussi envisagée comme l’expression d’une aliénation qui traversait la question de la crispation identitaire, quand elle se faisait lieu de scission du sujet. Or, la folie ne fut-elle pas aussi lue comme l’espace même d’une expression où échapper aux effrois de l’aliénation identitaire ? Le tout par le jeu de traductions et d'altération des identités culturelles ? De quoi méditer à nouveaux frais cette question du métissage…

ourika.jpgDans son étude, Martine delvaux s’est attachée à en comprendre les formulations à travers la lecture de trois personnages de roman : Ourika, une jeune Sénégalaise adoptée par l'aristocratie française du début du dix-neuvième siècle, création de Claire de Duras (1823), Juletane, Antillaise débarquée au Sénégal, imaginée par Myriam Warner-Vieyra (1982), et la narratrice de l’Amant, de Marguerite duras (1984), française née en Indochine.

La folie d'Ourika est clairement liée à son métissage culturel, celui d’une jeune esclave noire élevée au sein d'une société blanche et aristocratique. Objet elle-même, à l’intérieur de ce musée imaginaire construit par ses maîtres, Ourika, en se racontant, finit par conquérir un espace qui va lui appartenir en propre. Dans le second exemple, la narration devient encore le lieu de conquête de soi. Si la vie réelle est le lieu de la folie, l’écriture, thérapeutique, est celui de la liberté. Dans le dernier exemple enfin, le corps de la narratrice, tel qu’il s’écrit dans le fil du récit, s’avère être le lieu de multiples identifications. Avec le Viet-nam d’une part, au travers du vêtement affectionné, mais aussi avec la France, à travers le port d’un simple accessoire, un chapeau, qui va finir par composer "l'ambiguïté déterminante de l'image" de la narratrice qui soudain se voit autre sous cette coiffe étrangère en milieu vietnamien, se voit comme du dehors, introduite par ce dehors dans la circulation de désirs nouveaux. L'Amant se fait ainsi le récit de l'apprivoisement du métissage, affirmant depuis ce lieu improbable du métissage, l’avènement de la jouissance contre la folie, ainsi que l’écrit superbement Martine Delvaux.

 

http://motspluriels.arts.uwa.edu.au/MP798md.html

Mots Pluriels no 7. 1998 : Le Métis ou le tiers espace de la folie dans Ourika, Juletane et L'Amant , Martine Delvaux.

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16 avril 2012 1 16 /04 /avril /2012 04:32

L’une des œuvres majeures de la construction des mentalités des élites européennes. L’avant dernière édition datait des années quatre-vingt, et manquait de minutie.
Paru en 1528, Il libro del Cortegiano, fut en effet un phénomène social et historique majeur de l’histoire des élites, unifiant les mœurs et les mentalités de ces élites.
Un ouvrage dont l’importance allait être qui plus est, après le succès italien, déterminant pour la France, où il connut une fortune immense, les éditions s’y succédant à un rythme effréné.
Toute l’élite française le dévora pour s’y refonder. C’est que, plus qu’un livre, l’Europe des cours s'y reconnaissait et quant à la France, si l’on veut comprendre quelque chose à la sociabilité de ses élites aujourd’hui encore, il faut le relire de bout en bout : pas un détail qui n’éclaire la manière dont cette sociabilité s’est codifiée.
De l’art de la conversation à l’idéal de l’honnête homme, en passant par le courtisan flattant l’ombre du prince - fût-il républicain-, tout y est de ce qui fonde les usages tout à la fois de nos grandes écoles et de la scène médiatico-politique -avec ce bémol qu'aujourd'hui les nouvelles élites politico-financières lui ont tourné le dos pour afficher une vulgarité sans freins.
Mieux : toute la rhétorique du comportement social des décideurs, voire cette dialectique du paraître des hommes d’éclat (médias, journalistes, artistes d'institutions, etc.), ou bien encore, partout où l’enjeu est un pouvoir, qu’il soit politique, économique ou culturel (y compris jusque dans le fonctionnement du mandarinat universitaire), l’influence de Baldassar se fait encore saisir.
Car tout de ce qui est écrit là, de l’éducation du courtisan aux qualités intellectuelles ou morales qu’il doit afficher, à commencer par cette culture du talent si profondément inscrite dans la vision aristocratique du monde grec (si peu républicaine donc et si peu démocratique), tout nous dit le monde dans lequel nous évoluons toujours -malgré la nuance évoqué plus haut, ouvrant il est vrai un véritable conflit moral dans les mentalités de ces élites.
Mensonge, dissimulation, simulation, l’art de réduire un comportement à son procédé, un discours à sa rhétorique, il n’est pas jusqu’au plus "beau" des jeux du courtisan qui ne sente l’actuel : celui de se représenter.
Dans cette rhétorique de la Cour où l’espace privilégié n’est pas celui de l’Assemblée mais celui des réseaux d’influence, rien ne détonne et surtout pas ce sens de la supériorité du courtisan, homme dont l'allure (une distinction de goût) fonde sa supériorité sur le reste du genre humain.
Le concept clef qu’articule Baldassar est celui de la sprezzatura, que des générations de linguistes ont peiné à définir et que Pons traduit ici par désinvolture. On traduirait volontiers autrement, comme d’une diligence désinvolte, zèle auprès du Prince, structuré par un solide mépris (sentiment aristocratique par excellence) à l’égard de tout ce qui ne relève pas de son périmètre, avec le dédain pour corollaire et la dissimulation pour engagement. Une attitude au sein de laquelle le style prime sur le contenu, et où il s’agit de composer sa vie dans l’extériorité de manières ni trop voyantes ni trop effacées, au seuil desquelles, affirme Castiglione, la civilisation pouvait enfin advenir…



Le Livre du Courtisan, de Baldassar Castiglione, éditions Ivrea, traduit de l’italien d’après la version de Gabriel Chappuis (1580) et présenté par Alain Pons, Paris, mai 2009, 408p., isbn : 978-2-85184-174-2, 30 euros.

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15 avril 2012 7 15 /04 /avril /2012 00:21

Cantique.jpgPessah, la Pâques juive, la fête la plus importante du monde des Hébreux, tout au long de laquelle l’on ne cesse de réciter le Cantique des cantiques, le plus beau, le plus sensuel de tous les textes de la littérature sacrée.
"Tes yeux ressemblent à des colombes, tes cheveux aux troupeaux de chèvres qui dévalent au flanc des collines, tes lèvres au ruban d’écarlate..."
Pessah ou le mariage mystique du Peuple juif avec son Dieu.
Mais au moment de sceller cette union, c’est en l’homme que l’Alliance doit trouver sa raison d’être. En l’homme, dans la violence et la fragilité d’une émotion qui s’énonce exactement sur le même mode que le désir amoureux.
Les poches bourrées de noisettes, le sang affluant à ses joues, Shimek, le héros de ce récit, traverse Pessah dans l’exaltation du désir violent qui peu à peu l’envahit. Raconte, Shimek, raconte encore, se surprend-on à espérer à la dernière page du livre. Raconte Buzie, ta belle Sulamite, le temps des vignes du Roi Salomon. Raconte l'étrangeté d’aimer, l'énormité du désir d’aimer, par-delà les promesses et les paroles des morts.
Dans une langue parfaite qui transcende, sans jamais la gommer, la simplicité de nos gestes, Sholem Aleichem trouve à inscrire de la plus magnifique des façons ce qui constitue la matrice même de l’émotion de l’autre, de soi, du monde - dans la tradition juive, certes, mais de beaucoup une leçon universelle. Le texte tourne, virevolte et nous enivre à se reprendre sans épuiser jamais l’éblouissante cantilène. L’un des plus beaux poèmes d’amour, l’une des plus belles exégèses du Cantique des cantiques !


Buzie ou Le Cantique des cantiques, Sholem Aleichem, traduit par Jacques Tournier d’après la version anglaise de Curt Leviant, Calmann-Lévy, janvier 2000, 120p, épuisé.

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14 avril 2012 6 14 /04 /avril /2012 04:39

aaa.jpgD'aucuns prétendent que c'est possible, en réfléchissant à une transition écologique et sociale de notre économie. Mais à quel prix ? Quand en catimini Nicolas Sarkozy vient d'accepter et de valider la proposition allemande de jeter sur le marché de nouveaux outils de spéculation financière sur les dettes souveraines qui vont de nouveau malmener (un euphémisme) nos sociétés ? Mais à quel prix, tant l’époque que nous venons de vivre aura été longue, désespérante, douloureuse ? Celui déjà de reprendre ce combat, c’est-à-dire le reformuler, ce qui ne sera pas aisé, en ne laissant aucune hypothèque derrière nous, comme celle de la Constitution de la Vème République par exemple, qui aura permis une telle dérive dans l’exercice du pouvoir. Qui aura permis la formulation d’un exercice inconditionnel de ce pouvoir. Qui aura permis cette dérive thénardière qui nous inviterait presque à penser que si le pouvoir doit par nature toujours rester en position d‘excès, alors la seule question qui vaille est celle de savoir au service de quel excès le mettre ! Celui de la Dictature de la Finance, ou celui de la Dictature du prolétariat ? Et parce que cette expression nous paraît sidérante, alors, oui, il est grand temps de refuser ce pouvoir sidérant de la Finance sur nos vies et grand temps de nous contraindre à reformuler entièrement la question du Pouvoir dans les pseudos démocraties occidentales.

Il est grand temps par exemple de réaliser que le quinquennat qui s’achève aura tout fait pour faire voler en éclat la sphère du citoyen, et nous faire oublier que le citoyen vivait dans le champ politique de l’engagement public pour le Bien Commun, à l’inverse du bourgeois ou du bobo, qui ne sont que des usuriers du droit commun.

Il est grand temps de réaliser que les déplacements post-modernes du combat anti-capitaliste vers le culturel (cultural studies), ou vers l’altermondialisme, qui avait presque fini par nous faire croire que le terme de "capitalisme" n’avait plus aucun sens, nous ont embarqué dans des illusions. Même s’il nous faut récupérer ces deux héritages, tout comme il est nécessaire de camper de nouveau sur l’impensé colonial, devenu si contre-productif aujourd’hui. Un impensé qui nous a conduit tout droit à cette mise en scène publique ridicule, sinon abjecte, du faux problème de l’immigration. Tout comme il n’est pas moins temps de nous tourner vers les Trauma studies pour mieux comprendre l'épouvante qui est la nôtre dans le monde qu’on nous a fait.

L’ironie suprême aura été finalement de voir comment les sensibilités issues de l’ex-gauche française ont nomadisé les luttes et les résistances. Alors sans doute est-il temps de tenter d’en faire la synthèse. De renoncer au nihilisme politique. Car comment ne pas voir qu’un souffle nouveau a bel et bien traversé cette campagne ?

Comment ne pas voir que des forces nouvelles, et non simplement rénovées, ont fini par réaliser que le néo-libéralisme contemporain, dans sa faillite, nous a ouvert malgré lui de formidables perspectives politiques et intellectuelles ? A commencer par la nécessité de repenser de fond en comble la question du pouvoir, de son asymétrie structurelle, qui a fait que sa violence a fini par transcender sa légitimité. Qui a fait que désormais, il n’est pas possible de cacher qu’un excès totalitaire est associé au pourvoir souverain dans les démocraties occidentales.

 

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12 avril 2012 4 12 /04 /avril /2012 03:00

 

sarko-drapeau"Le fascisme n'est pas si improbable, il est même, je crois, plus près de nous que le totalitarisme communiste" (Georges Pompidou, Le Nœud gordien, Plon, 1974, p. 205). La crainte avait étonné. Le deuxième président de la Ve République ne songeait peut-être pas exactement à la recomposition de cette nouvelle Droite fondamentaliste que nous connaissons désormais, post-fasciste, mais toujours raciste. Il pressentait néanmoins que le danger n'était pas là où ses amis avaient coutume de l'attendre. Même si, bien évidemment, il ne lui serait pas venu à l’esprit que ce danger pouvait venir des rangs mêmes des courants politiques issus du Gaullisme. Et moins encore qu’au tournant du XXIème siècle, la problématique politique contemporaine serait celle de la réduction de l’espace démocratique. Un espace au sein duquel la moralité qui a fini par s’affirmer est celle du chacun pour soi, ouvrant à une conception instrumentale du lien social. L’opportunisme politicien du candidat sortant, un président sans convictions qui aura gouverné à vue, sinon à cru, aura au final induit tout l’inverse de ce que son discours proposait, à savoir : la montée en puissance du particularisme identitaire. Amoral, apolitique et incivique, le candidat sortant n’aura jamais affirmé aucun autre critère de justification que celui de ses préférences subjectives, transformant sa différence en pure volonté de puissance, au mépris des dangers que cela impliquait : xénophobie, haine de l’autre, rancœur sociale. L’État minimal, égoïste et calculateur, qu’il a fini par imposer, n’est le résultat que de ce manque de convictions qui ne s’appuyait sur aucune validation publique, sinon la vindicte d’une opinion fabriquée à grands coups de sondages. Et loin que de favoriser l’émergence de citoyens raisonnables, capables de distinguer l’intérêt public de leurs intérêts particuliers, il n’aura contribué qu’à balkaniser la société française, éloignant par calcul toujours plus de citoyens de leurs responsabilités morales, sociales et politiques. Détaché de l’Etat, mais attaché à une cause (l’identité nationale), intronisant cette cause comme supérieure à la légalité étatique, il n’aura cessé de valoriser la sphère des égoïsmes, laissant voler en éclat la sphère publique et le consensus démocratique. Face à ces agressions sans précédent, il est urgent de rétablir la puissance politique dans son fondement premier : l’espace public de délibération, seule instance capable de réintroduire de la civilité dans ce contexte d’implosion sociale. C’est d’autant plus urgent que le lien social est miné : les populations françaises existent désormais, montées les unes contre les autres. Le renoncement de l’Etat à la norme de l’universalité nous a jeté dans l’ordre du contingent et de l’irrationnel, interdisant tout recours à une éthique de la citoyenneté –qu’est-elle devenue sinon une éthique de l’exclusion ? Nous devons donc mettre en œuvre dès aujourd’hui une politique de résistance, qui ne peut trouver à se fonder que sur la formation d’identités hybrides, seules susceptibles de réintroduire en France quelque chose comme une éthique du respect de l’autre, à défaut de quoi cet autre ne pourra nous apparaître que sous la figure de l’étranger, sinon l’ennemi, intérieur en outre, dans la mesure où toute la communication gouvernementale n’a cessé de jouer sur l’idée d’un clivage qui passerait à l’intérieur même de cette citoyenneté française devenue de fait suspecte.

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11 avril 2012 3 11 /04 /avril /2012 04:32

terrorisme.jpgFrédéric Neyrat a tenté dans cet essai de comprendre la notion, qu’aucun débat théorique n’éclaire jamais en France. Peut-être parce que la clarté, en matière de terrorisme, n’est pas une affaire de vérité… Peut-être aussi parce que la confusion qui entoure la notion sert le langage politique d’annonces déployé depuis 1995 en France autour de cette question…

Il en prend pour exemple les déclarations d’octobre 2010 du Ministre de l’Intérieur : une menace, affirmait ce dernier, pesait sur l’Europe. Et bien sûr, sous couvert de Secret Défense, il n’était pas possible d’en dire plus… Incontrôlable, l’info le resta… Dans la bouche des Pouvoirs Publics, en outre, on ne parlait pas de menace réelle, mais d’une "possibilité crédible" ! Rien moins donc qu’une virtualité, qu’une fiction au sein de laquelle une éventualité devient une réalité ! Les services secrets sont devenus des opérateurs de croyance, selon la pertinente expression de Frédéric Neyrat, et le storytelling de la menace terroriste, qui ne recouvre guère qu’un monde de limbes, nous fait basculer dans un monde où la crédibilité tient désormais lieu de vérité…

Terroriste… La notion semble ne jamais avoir été aussi mal définie que dans les propos de Nicolas Sarkozy, jouant à loisir de son flou. Un flou qui lui assure une énorme rentabilité politique. On l’a vu dernièrement. Un flou capable d’accueillir n’importe quel criminel, n’importe quel phénomène, des paumés borderline aux supposés terroristes relâchés généralement dans la plus grande discrétion quelques jours après leur garde à vue. Un nom valise en somme, que l’on se garde de trop bien définir. Un nom pour donner corps à l’inhumanité du siècle naissant, lequel nom permet de dissimuler l’inhumanité de la terreur économique par exemple, bien réelle et qui tue très clairement et en très grand nombre encore. Un nom qui permet donc de sommer tous les autres maux, misère, chômage, pauvreté, de passer au second plan. Au nom de l’unité nationale.

Phénomène signifiant total, poursuit Frédéric Neyrat, il a aussi cet avantage que quiconque le dénonce, se retrouve automatiquement du côté du Bien. Voilà qui est commode ! Enfin, dans le monde d’aujourd’hui et la France d’aujourd’hui, car le même mot fut employé, ne l’oublions pas, dans d’autres circonstances et pour désigner des personnes "innocentées" depuis. Rappelez-vous les nazis qualifiant de terroristes les résistants au nazisme.

Le nom de terroriste est ainsi une appellation stratégique, sinon une combine sémantique faite pour masquer des opérations politiques. Un nom d’Etat en somme. Fait pour justifier tous les excès judiciaires (rappelez-vous les irlandais de Vincennes). Fait pour justifier tous les excès policiers. Voire suspendre la règle démocratique. Un concept littéralement aveugle en définitive, obscurcissant la réalité dont il veut témoigner, jusqu'à la rendre parfaitement inintelligible. Car de quoi parlons-nous quand nous parlons de terrorisme ? Qu’est-ce qu’un acte terroriste ? Que qualifions-nous là ? Une technique ? Une intention ? On l’interprète souvent comme une guerre psychologique. Il en serait la forme la plus violente. A ce compte, faut-il ranger dans la catégorie du terrorisme le bombardement allié sur Dresde, la veille du cessez-le-feu de 39-45, que les alliés maintinrent parce qu’ils voulaient, justement, terroriser les populations civiles allemandes, dont ils n’ignoraient pourtant pas que leur volonté de combat était nulle… Faut-il aussi ranger dans cette catégorie Hiroshima ?

Le concept est aveugle, on le voit, piégé, incapable de rendre compte de la pluralité des phénomènes qu’il recouvre. Al Qaïda serait vraiment derrière les quelques paumés des banlieues françaises qui s’en réclament ? Un concept aveugle et dont l’usage s’avère dangereux, y compris parce qu’il exhibe une possibilité presque domestique d’énoncer un acte soit-disant terroriste quand il ne serait que l’œuvre d’un délinquant en mal d’inspiration…

Analysant les matrices théoriques explicatives du terrorisme depuis 1793, l’auteur en montre l’ineptie : nous ne savons pas penser le terrorisme, et donc nous ne savons pas le combattre, parce que nous ne voulons pas le penser.

Qu’est-ce que le terrorisme d’aujourd’hui face à celui des années 70 par exemple ? Parle-t-on d’un seul et même phénomène ?

Et jusqu’où remonter pour en débusquer les prétextes ? Faut-il par exemple oublier de voir que la main de l’Etat n’est jamais la dernière à accourir auprès des terroristes pour leur confier des armes ? On sait comment la CIA a financé Ben Laden. D’où vient donc la Terreur ? D’où vient la destruction ? Le terrorisme ne serait-il finalement qu’une fiction soigneusement entretenue par les Etats démocratiques ? Et dans sa réalité la plus tragique, ne serait-il pas aussi quelque chose comme une énigme de la société du spectacle dans laquelle nous évoluons comme des forcenés ? Frédéric Neyrat explore une autre piste finalement, qui est celle d’un acte à prétention souveraine, instruisant la question du pouvoir sous un angle inédit, dévoilant l’état ultime de la souveraineté d’Etat et révélant l’exigence de terreur des états modernes, tout comme la guerre fut la violente révélation de l’essence de la politique. Et dans la perspective de la globalisation, reprenant les études d’Appurai, il nous laisse entrevoir comment la construction de minorités effrayantes peut être comprise comme une réponse à cette géographie de la colère dont nous ne savons que faire. Une réflexion à poursuivre, on le voit, dans son essai même, si nécessaire désormais.

 

Le terrorisme, un concept piégé, de Frédéric Neyrat, éditions è®e, 60 rue Edouard Vaillant - 94140 Alfortville / France, avril 2011, 224 pages, 17 euros, ean : 978-2-915453-53-9.

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10 avril 2012 2 10 /04 /avril /2012 04:43

atteres.jpgLes économistes atterrés publient leurs propositions pour 2012. Atterrés mais pas résignés, ils explorent les alternatives possibles et en font la magistrale démonstration contre les experts aveugles de l’économie néo-libérale, imbus de leurs erreurs, et qui n’ont cessé de nous conduire dans le mur.

Sur les deux points cruciaux de la Dette et de la croissance économique, ils apportent à court et long terme des solutions des plus pertinentes, provoquant à tout le moins au débat qu’on nous vole.

A propos de la Dette, les économistes atterrés (2000 membres tout de même aujourd’hui), proclament avec force ses origines : le problème aujourd’hui en Europe n’est pas celui de la Dette Publique, mais bien de la Dette Privée. Il faut absolument dénoncer tout d’abord le transfert des dettes bancaires vers les comptes publics, et retirer aux marchés financiers la clé du financement des Etats. Car jusque là, les Etats européens ne pouvaient se financer que sur les marchés financiers ! Or les taux d’intérêt ahurissants pratiqués par ces acteurs privés de l’économie privée ont tout simplement étranglés les finances publiques des Etats en question. L’urgence est bien de rompre avec cette logique idéologique d’une Banque centrale inféodée aux intérêts privés : ces banques qui n’ont cessé de spéculer contre ces mêmes états européens !

Quant à la croissance telle qu’elle se conçoit aujourd’hui dans nos démocraties libérales, l’ouvrage en dévoile l’impasse : il faut en finir avec son dogme imbécile et profiter de cette crise non pas pour entamer une procédure de décroissance, mais au contraire, d’opérer au véritable rebond de cette croissance en assurant sa transition vers des activités économiques et industrielles capables d’assurer notre évolution vers un développement conçu en termes écologique et social. Il faut opérer à cette transition écologique et sociale, seule capable de relancer l’activité économique et d’ouvrir de formidables gisements d’emplois. Face aux néo-libéraux incapables gérer l’évolution économique des pays dont ils ont la charge, il n’est en outre que temps d’engager un vrai débat démocratique sur ces questions. Les politiques d’austérité qui s’annoncent ne règleront rien, bien au contraire. Tout le monde le sait au demeurant et dans ce jeu de dupes, il semble que la seule question soit celle de savoir combien de temps encore les riches pourront en toute insolence profiter d’un système taillé à la mesure de leur cynisme.

 

Changer d’économie ! Nos propositions pour 2012, Les économistes atterrés, éd. les liens qui libèrent, janvier 2012, 244 pages, 18,50 euros, ean : 9782918597445.

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