Winnicott : la capacité d’être seul
L’ouvrage est technique, plutôt qu’inscrit dans on ne sait quelle philosophie de la vie, voire compulsion à la sagesse new age recyclant tout texte ouvert à l’expérience de soi en bréviaire d’une assomption laborieuse.
Centré sur une réflexion autour de la notion de transfert en psychanalyse, il intéresse l’analyste dans le cadre de la cure.
Et pourtant, à dévisager la vie de chacun, son adresse intime, pointant dans cette capacité à être seul l’un des signes les plus objectifs de la maturité du développement affectif, il intéresse au-delà, assez semble-t-il, pour justifier une parution grand public.
Mais pour le lire dans cette perspective, il faudrait commencer par le soustraire à sa visée clinique. Le reconstruire pour tout dire, comme l’exploration de l’un de ces moments de silence où l’on redoute autant d’être confronté à soi qu’à autrui.
Être seul face à soi, être seul face à autrui. Être seul face à autrui, dans le silence qu’une gêne perturbe, celle, peut-être, du manque que l’on ne sait combler ne sachant comment être sans le secours de l’agitation collective, sans le recours à la construction sociale de soi.
Être seul face à soi, non dans la complétude feinte du narcissique qui ne parvient au fond jamais à être seul, mais dans la quiétude d’une relation au moi apaisé, comme s’il y avait, là, au delà, en deçà, sans trop que l’on sache où à vrai dire, cette présence différée qui réchauffe et console, sans que l’on sache bien non plus de qui, de quoi elle est la présence, en soi.
Oublions que Winnicott en fait la capacité à affronter la scène primitive. Oublions la clinique.
Comment être seul, qu’il s’agisse de soi comme devant tout autre ?
Curieux petit bouquin au demeurant, multipliant les approches, sérié en chapitres tout autant incisifs que déliés en innombrables digressions, comme incapable lui-même de se concentrer sur son objet, tournant autour, se reprenant, mendiant le secours d’une référence, l’appel, par exemple, à Mélanie Klein dont l’ombre rassurante vient projeter sur la méditation de Winnicott un espace de certitude.
La capacité à être seul ne serait-elle qu’une digression, parenthèse insoutenable de ces moments où l’on ne peut, où l’on ne doit, où l’on ne sait ni être seul ni avec autrui ?
Ce n’est que lorsque l’enfant est seul qu’il peut appréhender sa vie personnelle, affirme plein de bon sens pédagogique Winnicott. Nous y souscrivons d’emblée. Mais est-ce être seul que cette capacité à l’être ?
Winnicott décrit cette solitude comme "un état sans orientation", où l’être s’ouvre d’un coup à une expérience toute "instinctuelle". Que faire de ce vocabulaire, de cet "instinctuel" jaillit d’on ne sait trop quelle pulsion ? Que faire de cette pulsion, de ce moment où sa venue s’impose en nous comme réelle et seule vraie expérience personnelle ? Une pulsion ? Je comprends bien, oui, que dans cette solitude, je ressente ce qui m’envahit comme m’étant propre plutôt que d’un autre, ou d’un lieu qui ne serait pas le mien. Pourtant… Winnicott affirme également que "l’état de solitude est un état qui (paradoxalement) implique toujours la présence de quelqu’un d’autre". La mère, évidemment. Et dont l’introjection maintiendrait de bout en bout la possibilité d’être seul. (En prenant garde que cette introjection ne recouvre pas tout, au point de se muer en pathologie, comme dans l’orgasme de l’extase que convoque Winicott). La mère donc, sa présence indicielle plutôt, marque, trace, mémoire, on ne sait trop. Pouvoir être seul donc, plutôt que l’être. Dans cette présence confiante, différée, asymétrique sinon dissymétrique, de la mère qui peut ne plus être, là, inaugurale pourtant, qui fait que l’on n’est plus jeté là (Dasein) dans le monde puisqu’elle a précédé ce jeté.
Pouvoir être seul, accueilli d’une certaine manière, lové dans notre humanité commune peut-être, qu’elle tient à bout de bras, que son amour tenait à bout de bras, dans cette bienveillance et cette intimité du giron de la mère sans devoir échanger quoi que ce soit pour y tenir, puisqu’elle nous tient déjà…
J'ignore au vrai où se cache cette possibilité en moi, présence fantômatique où la nécessité de se présenter "par" soi-même au monde (être son propre soubassement, "sub-jectum", tout autant que le "stand and unfold yourself de la deuxième réplique du Hamlet de Shakespeare) prend corps ("stand", du dispositif fantastique de l'ouverture du Hamlet, encore). peut-être cette humilité peinte par Angelico dessine-t-elle au fond l'horizon où penser cette solitude si singulière de l'être seul ?
La capacité d'être seul, Donald Woods Winicott, éd. Payot, coll. Petite Bibliothèque Payot, octobre 2012, 108 pages, 6,60 euros, isbn : 13 978-2228908160.
Image : Fra Angelico (1387-1455), Vierge d'humilité avec saint Dominique et saint François, saint Jean-Baptiste et saint Paul, quatorze séraphins (détail) - Tempera sur bois, 128 x 68 cm - Galleria Nazionale, PARME © 2011. Photo Scala, Florence - courtesy of the Ministero Beni e Att. Culturali