Vote Démocratique, Voix du Peuple…
Dolar, dans son dernier essai publié aux éditions NOUS sur les métaphores de la voix en usage dans nos sociétés, consacre un chapitre à la Vox Populi, telle qu’elle s’est construite puis soustraite aux démocraties occidentales. Un regard intéressant sur ce qui, au filtre de l’isoloir, se perd et que l’on entend ici et là gronder dans les votes protestataires : ces voix que l’on n’aimerait pas entendre, que les gouvernements plutôt ont peine à entendre et que leur ordre ne satisfait pas. Mais qu’a-t-on perdu au juste, de la rue à au bulletin de vote ?
A la voix vive de la Révolution française, nous avons substitué la voix réfléchie de l’électorat national. Une maturation, nous dit-on, tant la Vox Populi a mauvaise presse –Sarkozy ne s’est-il pas enorgueilli de n’avoir pas céder à la pression de la rue ? La Vox populi, cette image ritualisé de la voix populaire, de la voix du Peuple à laquelle nous avons préféré les voies d’une société plus organisée, pacifiée, a pourtant immortalisé un mirage toujours en grâce : celui d’une Nation qui par le miracle des urnes parlerait d’une même voix, celle de son Président. Celui d’une nation unie plutôt qu’unifiée, fantasme des démocraties acculées à des choix douloureux, sommation des Républiques installées sous le feu des menaces internationales.
Une voix pourtant réduite bien souvent au silence, non pas tant de l’isoloir, cette cellule qui supprime l’éclat collectif de la Voix populaire, écrit superbement Dolar, que dans sa sortie des urnes, la déversant aussitôt dans l’éloquence des majorités promptes à ramasser les moindres miettes de leur victoire. Car sitôt passé le vote, cette voix électorale devrait rester silencieuse… Dénombrée, mesurée, soumise à l’arithmétique, confiée à un signe écrit, privée désormais de toute l’intensité de la campagne électorale, sinon étouffée, parfois divisée comme ce fut le cas avec le candidat sortant, elle est appelée à rentrer dans le rang, à se taire, à attendre le prochain temps de parole qui lui sera accordé.
Rappelez-vous cependant ce que furent jadis les grands moments de la parole du peuple français, ce Peuple appelé, appelant à donner de la voix, à légitimer, par son vacarme, ces clameurs, toute promesse d’investiture en son nom.
Reste il est vrai l’acclamation de l’investiture. Partielle, on l’a dit, puisque celle d’une majorité, celle des vainqueurs, cris exclusifs dont sont exclus ceux des perdants, qu’il faudra bien entendre pourtant…
A la voix du Peuple, on a substitué la voie électorale. Contre la nature fugace de la voix, nous dit Dolar, nous avons cherché à inscrire cette voix du bulletin de vote dans une durée. Nous avons cherché à la circonscrire, à la domptée.
Mais que faisons-nous du supplément indomptable ?
La voix du vote bien trop souvent a autorisé tous les chantages. On l’a vu dans la rhétorique légitimaire du candidat sortant. A commencer par le plus vil d’entre ces chantages, celui fait sur le peuple. Sur sa moitié abandonnée, perdue, confisquée. On l’a bien connu avec le candidat sortant. Sa représentation publique, sur-codifiée, scella le destin de la France d’en bas, tragique, de soumission. Le sceau d’une conception de société.
Mais comme il est impossible de faire taire longtemps cette France là, on a pu l’entendre clamer de plus en plus fort sa colère, tandis que les autorités parlaient à l’endroit de cette Voix soudainement ressurgit d’obscénité. Lorsque la Voix du Peuple surgit, nous dit Dolar, elle produit en effet toujours un effet d’obscénité. Mais, ajoute-t-il, c’est cette voix seule qui préserve des abus de l’autorité. Contre la Voix autoritaire du Chef d’Etat, il n’est d’autre possibilité que cette voix obscène aux yeux des autorités. Obscène parce qu’elle refuse de se mettre en scène, comme le fait la voix de l’autorité, décalquant son modèle de ceux hérités des régimes les plus durs. Une voix affublée, qu’elles opposent à cette voix obscène du peuple en colère. Une voix affublée qui porte bien souvent au delà de tout sens, celle que l’on a fini par entendre dans la bouche de Sarkozy, incantatoire, la voix de la promesse d’une suspension de la Loi démocratique pour en appeler au "vrai" peuple, clivé, haineux, revanchard. Une voix qui aura fini par refuser de fournir un énoncé politique à cette voix du peuple, pour l’enfermer dans des résonances idéologiques douteuses. Reconstruisant la voix populaire dans cette petite fabrique symbolique que l’on a connue, qui sollicite l’excès, les voix d’interpellation privées de tout contenu positif, les voix sonores de l’affabulation de l’ordre. Des voix logées dans la sphère de la subjectivité, articulant un secret qui leur échappe infiniment. Or quand le peuple ne peut accéder à son lieu, conclut Dolar, quand la Loi se met à devenir énigmatique à ses yeux, car autorisant toutes les dérives personnelles, quand le peuple ne peut plus localiser le lieu symbolique depuis lequel sa voix est réellement proférée, xénophobie ou simple élément de langage, quand il ne peut plus en définir la logique, la seule chose qui soit sûre, c’est que son destin lui a échappé.
Fasse donc que notre destin ne nous échappe pas, et qu'une fois nos voix entendues, nous saurons les relayer au-delà des seuls résultats électoraux : elles sont le prototype d’une société nouvelle que nous portons en nous, la texture du social, des voix cette fois réellement dotées d’un sens, qu'il ne faudra pas disperser à la hâte.