VICTOR SERGE, LES HOMMES DANS LA PRISON
5 Mai 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant
"Chaque homme (en prison) est comme une pelletée de terre tombée sans bruit, doucement, sur cette tombe".
On connaissait l’essayiste (et encore, un révolutionnaire largement mis au rebut des encyclopédies), on ignorait le romancier. Victor Serge l’était, non pas "aussi", mais avec talent comme le montre ce roman, récit de son enfermement à la prison de la Santé, puis à celle de Melun, de 1912 à 1917 –parce qu’une perquisition avait révélé qu’il était le gérant du journal L’Anarchiste…
Il nous livre ainsi un témoignage poignant sur l’enfer des prisons française, ré-élaboré comme une fiction tendant le texte jusqu’à la corde, illustrant à la perfection la conception que se faisait Aristote de la supériorité du vraisemblable sur le réel. Le récit s’ouvre sur l’heure glaciale de l’arrestation, à partir de laquelle la machine pénitentiaire se met en branle, brisant déjà et l’homme et le temps, désagrégés en mille fragments. L’arrestation, ce moment où l’intimité est retournée sans vergogne, bafouée, humiliée. Puis le dépôt, la fouille, les lacets, la cravate et le chemin vers la Santé en fourgon cellulaire, prison ambulante vagabondant dans la ville, enfin, avec force Victor serge nous donne à éprouver (le lieu de la fiction encore une fois), la perfection du lieu, entièrement soumis à ses fins, en pleine sécurité de lui-même dans nos sociétés bourgeoises. Non pas une bastille donc, mais fièrement isolé en lui, le lieu identitaire par excellence ("Il n’a eu lieu que le lieu", Mallarmé), où la cellule fonctionne toujours autour de cette vieille notion médiévale de pénitence. Peut-être du reste les maisons d’arrêts perpétuent-elles dans les cités modernes l’économie de cette organisation archaïque du bug médiéval, agencé pour que des milliers d’hommes puissent mourir reclus sous une contrainte brutale, parce que l’imaginaire social est demeuré incapable de formuler un horizon humaniste mieux assumé. "Morne cité assiégée et dominée par l’ennemi qu’elle enferme", le réel, ici, se résume à la frontalité du mur où la seule ouverture praticable est celle, périlleuse, du rêve qui peut mener tout droit à l’aliénation mentale. Car l’univers bâti est celui du rien, moins de l’infime que du néant, celui de la lumière plutôt que du rai de soleil, celui de l’irréalité, celui de l’insecte minuscule faisant irruption sur le sol nu pour seul événement du monde. Un univers qui vous débarque de votre vie jour après jour, les secondes tombant avec une lenteur éprouvante tandis que s’installe en vous la torpeur mortifère. On dure pourtant, toute littérature abolie. Mais la marche est lente jusqu’au dessèchement final. --joël jégouzo--.
Les Hommes dans la prison, Victor Serge, éd. Climats, préface de Richard Greeman, janvier 2004, 260 pages, 14 euros, ean : 978-2841582396.
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