UNE CONCEPTION DU TRAVAIL SALARIE HISTORIQUEMENT CRAPULEUSE
La Grande-Bretagne envisage le travail gratuit des chômeurs… Son gouvernement présentera cette semaine son nouveau plan anti-chômage, deux semaines après avoir rendu public un plan de rigueur assassin. Le dispositif présenté par le ministre britannique du Travail, Iain Duncan Smith, affiche un objectif abject : réduire la facture des allocations et casser le cycle de la dépendance… Comme si les chômeurs souffraient d’addiction à la paresse, quand tous ne réclament en réalité qu’une chose : du travail, que ce même Ministre est incapable de leur fournir… Voilà qui pourrait bien inspirer la clique au pouvoir en France… Voilà qui, surtout, convoque un vieux travers anglo-saxon face à la misère du Peuple, que des dirigeants incapables n’ont jamais su régler autrement que par une répression féroce.
Pour mémoire, les débats qui secouèrent l’Angleterre au plus fort de la Révolution industrielle, poussant les patrons à ne se soucier d’un Bien dit commun qu’entendu comme condition d’affrontement des enjeux de la concurrence internationale, à l’exclusion du sort des salariés. En voici un exemple pertinent, dans lequel il ne s’agit rien moins que de demander que soit libéralisé la traite des travailleurs britanniques pour faciliter leur exploitation sauvage… Rhésus Gregg, industriel à Styal (commune de Manchester), parvenait difficilement à recruter de "bons" ouvriers pour ses fabriques. Il réfléchit à la question. Voici ce qu’il écrit à Edwin Chadwick, Secrétaire de la Commission Loi sur les Pauvres :
" Manchester, 17 septembre 1834.
Je prends temporairement la permission de m’adresser à vous sur le même sujet que mon ami Ashworth, dont je sais qu’il vous a fait parvenir des conclusions identiques, à savoir, la convenance d'ouvrir un système d’échange entre les espaces où vivent nos "sous-hommes" (underpeople). J’ai le sentiment que ces suggestions sont telles qu’elles méritent d'être rendues opérationnelles immédiatement. Nous considérons même cela comme une coïncidence heureuse, au moment où l’on songe à supprimer ou du moins à diminuer fortement les allocations à une moitié de la population vivant en Angleterre, et au moment où, par ces décisions, une grande partie de cette population risque de se voir précipitée dans une très grande misère du fait du niveau très bas des salaires que l’on connaît aujourd’hui, chute dont nous savons qu’elle pourrait provoquer une bousculade vers l’emploi, qui pourrait introduire une difficulté nouvelle à gérer l’afflux des travailleurs des comtés du nord, où par ailleurs les salaires sont encore beaucoup trop élevés. De cette occurrence, nous devrions pouvoir tirer le meilleur profit. Mais en ce qui concerne le système des Lois sur les pauvres, qui lient encore trop souvent les travailleurs à leurs paroisses respectives, en mode et en degré, je n'ai pas besoin de vous expliquer, surtout à vous, ce que l’établissement d’une libre circulation des travailleurs pourrait nous procurer comme avantages. D’autant que rien, pas même les règlements des Lois sur les pauvres, n’a jamais empêché cette circulation, les travailleurs ne s’étant pas privés de courir d’ici et de là, réduits qu’ils étaient à l’état de glebae d'adscripti (attaché au sol).
Dans mon entreprise, le travail proposé atteint un volume de douze mois non pourvus en travailleurs. Dans un autre moulin, nous ne pouvons pas mettre en marche nos nouvelles machines, pour les mêmes raisons de pénurie d’ouvriers. Si j’en reviens à ma propre demeure, je ne peux constater que ma frustration : mes salons ne sont toujours pas pourvus des portes adéquates, ces dernières ayant été envoyées il y a un certain temps déjà pour être changées, du fait que le progrès de ce travail a été stoppé par un mouvement de contestation d’ouvriers du bois. Le charpentier du village dans lequel je réside ne peut en effet achever ma commande, ayant, comme il dit, été à court de manœuvres toute l'année. Je ferai donc cette suggestion : des voies de circulation devraient être ouvertes officiellement entre deux ou trois de nos grandes villes, par l’intermédiaire de vos bureaux, qui pourraient alors gérer les travailleurs que les paroisses les plus surchargées ne peuvent entretenir, et que vous obligeriez en leur demandant de nous transmettre leurs listes des familles concernées. Les Fabriques en difficulté de recrutement pourraient alors consulter ces listes et choisir soit de faire déplacer des familles vers leur paroisse, soit des enfants en bas âge ou des hommes, des veuves, des orphelins, etc. Si ceci pouvait être fait, je ne doute pas qu’en peu de temps, nous puissions absorber un nombre considérable de travailleurs en surplus dans le Sud par exemple, qui pourraient nous êtes fournis plutôt que de les voir partir en Irlande. Vous devez évidemment comprendre que nous ne pouvons pas mettre en place ce système avec la population de rebuts et les pauvres insoumis qui vivent chez nous. Nous devons donc jouer franc jeu : les ouvriers durs à la tâche, ou les veuves avec leurs familles, qui ont choisi de vivre une vie honnête dans un workhouse, j’en suis confiant, sont certainement en demande d’une telle solution. Je puis ajouter, qu’il me semble que cela pourrait être expérimenté très vite sur une petite échelle. Nous voulons tous du travail. Est-il donc permis d’envisager que l’année prochaine, à moins d’un imprévu, soit une année de croissance de la production de notre fabrique ? Car sans cela, en repoussant plus loin un tel accord, ne redoutez-vous pas que cela ne devienne un encouragement à la débauche, à l’organisation en syndicats de travailleurs protestataires et ne conduise finalement à des revendications d’augmentation de salaire ? Et si, imaginez que la nourriture devienne bon marché, que le désir d’éducation (je ne veux pas dire simplement la capacité de lire et écrire qui, ici, ne concerne que très peu de gens), mais l'éducation capable d’affecter les façons, les morales, et l'utilisation appropriée de leurs avantages, venaient à devenir une revendication, ne pourraient-elles pas aussi, devenir les objets d’une vive déploration ? Je souhaite que le gouvernement ne permettra pas à une autre session de passer sans œuvrer pour que nos projets ne soient mis en place."
A mort les pauvres !
Le système de Speenhmaland avait créé une distinction décisive entre la "pauvreté utile", positive car elle motivait les pauvres à trouver à n’importe quel prix un emploi, et "la pauvreté stérile", qui résultait d’une disposition à la paresse, une pathologie en quelque sorte, poussant évidemment au crime. Seuls les pauvres utiles devaient être sauvés. On mit ainsi en place une politique de tranquillité — ce fut son nom—, qui visait à les récupérer (en échange d’un salaire le plus bas possible). Evidemment : l’un des objectifs moins charitables de cette politique de tranquillité visait à ne plus avoir de taxe à payer pour le soulagement des pauvres, cela va sans dire…--joël jégouzo--.
Rapport annuel de la Commission des lois sur les pauvres, Manchester, annexe C, numéro 5 (1835). Traduit par mes soins.