UN SIECLE DE VIOLENCE DE CLASSE EN AMERIQUE
(Quand l’honnêteté et l’intelligence sociale disparaisse de la vie Publique…)
Dynamite ! a paru aux Etats-Unis en 1931. Un livre manifeste, étonnant, inquiétant, incroyablement documenté par Louis Adamic, immigré yougoslave qui prit part, au début du vingtième siècle, à tous les combats du prolétariat américain, révélant de l'intérieur les stratégies de violence du patronat us et la brutalité avec laquelle les States mirent fin aux mouvements ouvriers révolutionnaires sur leur sol. Dynamite, l’arme des démunis quand l’honnêteté et l’intelligence sociale ont disparu de la vie Publique. Une histoire effarante, effrayante aussi, puisque celle de la conversion de la lutte des classes au gangstérisme, celle de la criminalisation des rapports sociaux dans un pays où la violence et la guerre sont demeurées des valeurs fondatrices.
Car toute l’histoire de l’Amérique, finit par nous faire comprendre Louis Adamic, est celle de la violence la plus décomplexée, de l’extermination des amérindiens à celle des esclaves noirs. Un déchaînement de sauvagerie que la crapule libérale aurait presque fini par nous faire oublier, n’étaient ces sales guerres qui ne cessent d’encadrer la marche de l’impérialisme américain.
C’est à la faveur de la poussée du gangstérisme aux Etats-Unis que l’étude paraît. Une poussée que l’auteur analyse comme la conséquence directe de l’anéantissement sanglant par la bourgeoisie des espoirs révolutionnaires du prolétariat organisé : les militants se tournèrent dès lors vers la satisfaction de revendications privées, que le mode de production capitaliste, associé aux dérives mafieuses, encourageait alors dans les années 30. Une déception militante que l’on aurait tort de considérer à la légère, tant la sauvagerie de la répression fut longue et exceptionnelle. Et Adamic d’en rappeler les épisodes les plus sanglants, passés depuis par pertes et profits. Comme celle des grandes émeutes de 1877, liées aux échecs des premières grandes grèves, risquées quand toute grève était considérée comme un complot contre les Etats-Unis !
Louis Adamic sait comme aucun autre dessiner alors le contexte de cette période ténébreuse, quand un seul mot d’ordre traversait le pays : réussir ! Réussir…, quand des millions étaient jetés dans la misère, réussir, quand dans ce culte du triomphe et de l’égoïsme, dans le déclin de toute morale, le Big business s’enracinait sur une violence aveugle, recrutant ses armées dans une moitié de la classe ouvrière pour massacrer l’autre moitié, une marée humaine qui vivait et mangeait dans les décharges publiques et affrontait les cohortes envoyées explicitement pour la tuer. C’est toute l’histoire d’une ville emblématique en particulier, qu’il connaissait bien, que Louis Adamic nous livre : celle de Chicago qui fut dans les années 1880, la ville la plus radicale des Etats-Unis, structurée autour du POS (parti Ouvrier Socialiste) qui tenta d’organiser une résistance héroïque au capitalisme le plus meurtrier que l’histoire ait alors inventé. Une répression que nous ne savons plus réaliser aujourd’hui, tant s’est imposé de cette histoire américaine l’autre modèle simpliste de son enrichissement continu.
Une histoire qui s’ouvre sur les belles pages du rôle des femmes dans cette lutte d’émancipation désespérée, elles qui furent les premières aux avant-postes d’un combat inégal. Les femmes et les immigrés, poussés au désespoir le plus total jusque dans la férocité sans pareille de la répression qui s’abattait sur eux, celle des milices recrutées par un patronat haineux, engagées pour les exterminer avec la complicité des médias qui n’avaient, déjà, à leur Une, que les mots de "racaille" pour les qualifier. Une lie, l’ordure selon eux, qu’il fallait éradiquer, à commencer par ces irlandais querelleurs avec leurs explosions sporadiques, quand la faim les poussait à sortir de leurs trous à rats.
Mais c’est aussi toute l’histoire des utopies sociales que nous raconte Louis Adamic, des fouriéristes américains aux hippies, en passant par les Molly Maguire, ces sociétés secrètes de mineurs, lasses d’attendre une quelconque embellie dans la vie de leurs adhérents et qui pendant des décennies conquirent en Pennsylvanie de vraies avancées sociales à coups d’assassinats de patrons et de contremaîtres… --joël jégouzo--.
Dynamite ! Un siècle de violence de classe en Amérique, Louis Adamic, Sao Maï éditions, traduit de l’anglais (américain), notes et notices par Lac-Han-Tse et Laurent Zaïche, sept. 2010, 478 pages, 15 euros, ean : 978-2-953-1176-4-6.