UN NUAGE PASSE, UN NUAGE EST PASSE
24 Mars 2011 , Rédigé par texte critique Publié dans #essais
(Le monde est devenu une arène où ceux qui peuvent souffrir sont immolés)
Il a fait beau mercredi. Très. Je suis allé me promener avec les enfants le long du canal Saint-Martin. Il y avait beaucoup de monde sur les berges. Beaucoup d’enfants. Le soleil étincelait sous un ciel légèrement voilé. Jour délicieux où le corps entier n’est plus qu’un sens. Nous allions et venions dans cette étrange liberté le long de la rive goudronnée, les feuilles des arbres à peine agitées sous l’aile frémissante d’un courant d’air léger.
Une voix essayait son chant. Des notes savantes qu’elle préférait à la modulation d’une ritournelle quelconque. Il ne se passait rien, sinon qu’une énorme masse d’air nous venait de l’extrême Ouest, et que le ciel enfoncé dans son faste l’ignorait. Une vague s’écoulait, qui pourrait un jour renverser les hommes un à un. Jamais les berges ne furent plus réelles à mes yeux. Là-bas, la mort piétinait sur place, enfermant les épaules des enfants dans un sort immobile.
Il a fait beau mercredi. Il semblait que le printemps fût enfin là. J’ai songé à un autre printemps de thym et de lauriers. L’abondante nature, la montée des sèves, celle de 1986. La mort s’était ensuite mise à trotter dans les campagnes. Ma tante l’ignorait. Elle ramassait son thym, un nuage venait de jeter son ombre, descendant de Russie tandis qu’elle cueillait son thym et le buvait en décoction. L’infime clématite et la haie emmêlée, la terre s’élance me disait-elle, dès le papillon près du sol à l’ombre éveillée. Elle est morte quelques années plus tard d’un cancer de la thyroïde.
Recouverte de douleurs, l’angoisse envahira l’Histoire.
Rien de cela mercredi. Le ciel nous offrait juste la possibilité du gouffre dans nos veines. Là-bas les eaux louches qui vacillent au souffle blanc de lumière. Ici tout allait bien. L’esprit d’enfance, la plénitude du jour, un nuage absent ne fait pas tout le ciel.
Le soir pourtant, dans l’air, quelque chose était passé, venu du bout du monde, le monde partout à nos portes. Une sphère de feu, Paris au pied de l’espace, plus rien entre le ciel partout le même et nous, que ces infimes particules dévorées d’étincelles closes.
Le soir dans l’air quelque chose avait passé, sans danger pour nous autres. Sinon que les mouvements de l’air ont pris figure humaine. Sinon que l’eau des rivières peut bouillir et l’homme s’absenter du monde, à la poursuite d’une bête démesurée. Le ciel nous offre déjà ses rudes nourritures, son linge flottant au vent de nos ténèbres.
Il a fait beau mercredi. Je me suis pris à imaginer un tel jour, le moins défendu, un ciel piqué d’été inaugurant le dernier cachot de la terre –(nos pas si lents à l’espérance). Même si tout était parfait hier, ici, à Paris. Les arbres, les mains, les yeux, les rires des enfants. Mais cette ombre au-dessus de nos têtes, le proche voisinage de la mort, une autre fois… A quoi devons-nous donc de voir cette vaste étendue subitement racornie ? C’était l’espace et le ciel était mort. J’ai senti comme un vide au-dessous de moi. La race souffrante des hommes avait essayé la servitude, le mensonge, le carnage, aujourd’hui la catastrophe si peu naturelle… Je me suis vu debout le matin du jour inévitable.
Il flotte comme une représentation vaine de ces choses et des hommes. Le martyre, cette tradition des temps barbares. –joël jégouzo--.
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