UN DISCOURS FRANÇAIS SUR LE DESTIN DE L’AMERIQUE d’OBAMA…
Où va l’Amérique d’Obama ?, s’interroge, pour le compte des Presses Universitaires de France, Hervé de Carmoy. Nous serions tenté d’ajouter : d’où sortent ces discours poussiéreux que les intellectuels français se mettent à tenir depuis quelques trop nombreuses années, autant sur le monde que sur l’état de la France ?
Voici un texte publié dans une maison d’édition tout ce qu’il y a de plus sérieuse, construit dans le plus bel artifice de l’éloquence mondaine de l’historien fin du XIXème, confondant l’étude de mœurs et l’approche scientifique…
Passons sur la préface d’Alexandre Adler, assortiment prolixe de clichés, de poncifs, de fadaises toutes plus grosses les unes que les autres, au point qu’on se demande d’où il peut encore tenir sa crédibilité…
Passons sur les fausses pistes qui émaillent l’ouvrage, dont celle d’une union monétaire Chine-Japon à laquelle personne n’a jamais cru, posée là uniquement pour exhiber le brio de notre auteur démontrant sans coup férir que la piste était fausse –bien sûr, puisqu’il était le seul à feindre de le croire !
Mais quel style ! Voici un savant, cautionné comme tel par la maison d’édition des savants (en principe), qui ne cesse d’en référer intellectuellement à la psychologie des masses, au "mental" américain, voire à sa "psyché" !!!! On croit rêver, ou entendre le pontifiant écho des pages les moins inspirées de Michelet, n’hésitant pas à écrire qu’il y a "du blé et du silex dans l’âme des français"… Du silex… mon dieu… c’est très joli, mais ça doit sacrément gâter les bronches…
Toute honte non bue, l’exercice tourne au comique quand notre auteur se plaît à affirmer, sans rire, que la stratégie d’installation de la spéculation financière au cœur des opérations bancaires américaines serait le résultat d’une "maladresse" ayant introduit un "virus" dans un corps social affaibli… Et monsieur de Carmoy de spéculer sur les chances d’une thérapie d’honnêteté morale des banquiers, d’en appeler au nécessaire retour de l’éthique dans la finance, ce même vocabulaire en effet, que l’on entend ici et là dans la bouche de nos dirigeants politiques, et que seuls les journalistes les plus béats semblent satisfaits de gober.
Que dire quand notre auteur invite à la "mobilisation contre le déclin des mœurs", désespérant du temps qu’un tel exercice prendra. On croit lire du Zemmour… ou du Finky, voire du Onfray, toute cette gente qui occupe abusivement le devant de la scène universitaire médiatique pour ne démontrer jour après jour qu’une chose, c’est que le monde politico-médiatique français est tombé bien bas…
Que l’on prenne le modèle psychologisant du XIXème, celui du paradigme de la psyché des peuples, pour modèle explicatif du monde contemporain, voilà qui laisse pantois…
Et tout ça pour conclure que les Etats-Unis resteront tout de même longtemps encore une grande puissance mondiale… Les bras nous en tombent… Voire pour nous dire que l’Amérique est en pleine mutation (mais ça on savait déjà, tout comme le reste du monde est lui aussi en pleine mutation), et que ce qu’Obama doit régler n’est rien moins qu’une transition américaine… vers le XIXème siècle, pour faire accomplir à son pays un retour vers l’avant 1917, aux temps bénis où son devenir s’incarnait dans son destin intérieur… Voilà qui laisse bouche bée…
D’autant que tout le reste relève du sens commun : la montée en puissance des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) dans l’économie mondiale menaçant le leadership us, la dette américaine colossale, une armée toute puissante mais incapable de gagner la moindre guerre, un dollar pivot du système financier mondial mais mis à mal par la monnaie chinoise, et cette Chine, devenue le premier bailleur de fonds de la planète…
Rien de neuf non plus dans cette affirmation que le monde est en train de tourner définitivement la page inaugurée en 1945, qui vit l’Amérique du Nord s’affirmer comme la seule super puissance de la planète. Juste le constat inquiétant que l’emploi et l’investissement ont été captés par l’Asie Pacifique, et que ce mouvement s’est accentué à la faveur de la crise financière de 2008, année qui paraît marquer la vraie entrée des nations dans un XXIème qui ne laissera pas de surprendre.
Il reste, c’est vrai, quelques formules justes, comme celle d’affirmer qu’en 2008, le paradigme du marché a pris le pas sur celui de la géopolitique. Mais l’on savait, non, que désormais les spéculateurs apatrides avaient le pouvoir de faire plier n’importe quelle puissance.
Enfin, surnage une analyse selon laquelle les Etats-Unis ont à affronter une situation intérieure des plus problématiques. Le poids de la démographie (en 2042, les minorités seront majoritaires), l’incroyable creusement des inégalités sociales, comme partout dans le monde occidental, mais dont les conséquences pourraient être graves dans ce pays où toutes les richesses sont concentrées entre les mains d’une minorité Wasp. Au fond, de tous ces lieux communs de la pensée critique contemporaine, il ne resterait à retenir que la judicieuse exhorte au Peuple américain, qui devra réaliser enfin que son modèle d’enrichissement et d’intégration (le crédit) est désormais en panne, et qu’il lui faudra moderniser tout l’appareil de la croissance américaine et donc, tout son appareil politico-financier s’il veut éviter de périlleux soubresauts de révolte, défi au fond auquel l’Europe est elle-même confrontée.
Un mot encore, concernant le modèle d’interprétation séculaire désormais, selon lequel la politique étrangère américaine tiendrait toute dans sa volonté de soustraire le sol américain à tout danger extérieur… C’est faire bien peu de cas d’une volonté inaugurée en 1945 (en 42 pour être plus précis, lorsque ceux qui allaient créer la CIA rencontraient secrètement Himmler à Zurich), à savoir : la domination du monde. Volonté avec laquelle on n’en a pas encore fini, et qui change fondamentalement notre interprétation du monde : les Etats-Unis sont, depuis 45, la seule nation continuellement en guerre contre le reste du monde. L’étudier, c’est étudier la pérennité de la socialisation des élites politiques aux Etats-Unis et leur mainmise sur la politique étrangère de ce pays, voire sa confiscation pure et simple au service de bien peu recommandables intérêts privés. On est loin, ici, de l’épouvantail commode de la "psyché américaine", cache-misère des discours néo-libéraux sur le monde tel qu’il va, mal, merci. --joël jégouzo--.
Où va l’Amérique d’Obama, Hervé de Carmoy et Alexandre Adler, PUF, Quadrige, coll. Essais-Débats, septembre 2011, 190 pages, 18 euros, ean : 978-2-13-058972-3.
WHO PAID THE PIPER?: The CIA and the Cultural Cold War, by Francis Stonor Saunders, Granta Books, London 1999, ISBN: 1862073279.
Qui mène la danse ? La CIA et la Guerre Froide culturelle, traduit de l’anglais par Delphine Chevalier, Denoël, Paris, 504p, juin 2003.