Trois auteurs en quête de Rimbaud : entretien avec Jean-Hugue Berrou, Jean-Jacques Lefrère, et Pierre Leroy.
Pierre Leroy fit l’acquisition de la huitième photo inédite de Rimbaud. Sur ses traces à Aden, le photographe Jean-Hugues Berrou démontra que la maison, prise depuis longtemps pour celle de Rimbaud, n’était pas la bonne… Et après ? Reste Rimbaud, et la manière dont il travaille encore notre imaginaire.
jJ : Comment devient-on le biographe de Rimbaud ?
Jean-Jacques Lefrère : Pour essayer de savoir ce qui se cache derrière le personnage. Cette curiosité se doublait chez moi d’un sentiment d’insatisfaction : l’histoire du rimbaldisme a montré qu’il n’existait pas un Rimbaud, chaque biographe présentant le sien. Or j’avais le sentiment que tout ce qui existait était partiel, pour ne pas dire partial. J’ai donc essayé d’avoir une démarche un peu différente, en faisant comme si tout ce que l’on savait pouvait être mis en doute. Ce qui m’a rendu un peu amer tout d’abord, parce que je me suis rendu compte que beaucoup d’éléments que je tenais pour authentiques ne l’étaient pas. Mon parti pris a alors été de me dire que je n’écarterais aucune information, mais qu’il me fallait les vérifier toutes. Et quand je n’avais pas de certitude, de le dire clairement.
jJ : Et son collectionneur ?
Pierre Leroy : Mes premiers centres d’intérêts ont été les Surréalistes et j’ai évidemment gagné leurs grands ascendants. Et puis, à partir du moment où l’on commence à collectionner - et là je crois que le collectionneur rejoint le biographe -, il y a une intense curiosité qui se lève. La sensibilité est complètement à l’affût, on pressent, on se met sur des pistes. Il y a tout un travail sensitif qui se fait jour…
jJ : Dans votre travail photographique, ce qu’on attendait, c’était une vérification, avec un avant et un après. Mais le livre est autre chose.
Jean-Hugues Berrou : Je ne voulais pas de ce rapport à la vérification, qui est souvent le rapport de la photographie à l’événement. Certes, ce jeu de l’avant-après n’y est pas totalement proscrit. Mais il ne fallait pas inscrire toutes les pistes dans ce principe d’ordre. Vérifier que le monde existe encore, que le volcan est toujours là... Je voulais d’autres dimensions : j’étais parti moi-même sur des fausses pistes dans mon premier voyage, je voulais représenter ces flottements de la recherche. Certes, il fallait vérifier que l’hôtel «Rambow» n’était pas la maison Rimbaud. Un petit travail d’enquête sur les photos de l’époque m’a permis de le découvrir. Mais je voulais jouer aussi avec les formes imaginaires qui structurent notre mémoire de Rimbaud. Ou reconstruire les conditions de notre regard sur lui. Dans le titre, il est fait mention d’un homme et d’un lieu. Mais le premier visage de l’album apparaît tardivement, dans une progression qui annonce la photo du groupe.
jJ : Dans votre biographie, on perçoit une rupture avec le schème des trois années de génie…
J.-J. L. : Après la fulgurance de ce génie, on était tenté de se dire qu’il ne pouvait s’arrêter que d’une manière aussi brusque. Il est probable qu’en réalité cela a été beaucoup plus progressif. Ce renoncement à la poésie a sûrement été une épreuve pour ce jeune homme qui avait sacrifié beaucoup de lui-même pour devenir poète. Au moment où il abandonne l’aventure poétique, il songe à passer son baccalauréat. Peut-être pour redevenir l’intellectuel auquel il avait renoncé…
P. L. : En Afrique, Il a des ambitions… Et je me demande… On a beaucoup parlé des rapports de Rimbaud avec sa mère, mais est-ce que ce faisant il n’a pas voulu marcher sur les traces de son père qui avait eu la charge de l’organisation civile d’un département ?
J.-J. L. : Oui, à ce moment il demande à sa mère de lui envoyer le Coran traduit par son père, et les papiers arabes de ce dernier. Ce n’est pas innocent en effet.
P. L. : Plus tard il regrettera de n’avoir pas eu un fils, dont il aurait aimé faire un ingénieur.
jJ : Vous ne voyez pas de grand écart entre la figure du poète et celle de l’ingénieur ?
P. L. :Il y a la même poésie du départ...
J.-J. L. : Il est incontestable qu’il a toujours eu une volonté scientifique d’apprendre.
J.-H. B. : Il fait venir un appareil photographique... C’était l’époque des premières explorations : il effectua quasiment un travail d’explorateur…
P. L. : Qui a d’ailleurs donné lieu à une contribution de sa part à plusieurs sociétés de géographie.
J.-H. B. : Et puis, dès qu’il a maîtrisé un peu la photo, cela ne l’a plus intéressé.
J.-J. L. : C’est la caractéristique de sa vie, qui a été une suite de tentative poussée plus ou moins loin. C’est peut-être aussi le cas, pourquoi pas, de la poésie ? Qu’aurait-il écrit s’il avait continué ? La poésie est au fond une tentative partiellement réussie, partiellement ratée, puisque stoppée à un moment donné. Il n’a pas continué et cette suite de tentative qu’il pousse plus ou moins loin est fascinante, parce qu’on est en train de définir un personnage qui rate sans arrêt, ou qui ne va pas jusqu’à l’achèvement.