"Ô heures de l’enfance où il n’y avait plus, derrière les figures, rien seulement
que du passé, et devant nous, nullement l’avenir.
Certes nous grandissions et même étions, parfois,
pressés d’êtres des grands bientôt, à moitié par amour
pour ceux qui n’avaient rien de plus, si ce n’est qu’ils avaient grandi.
Et pourtant nous étions, dans notre progrès solitaire,
satisfaits et joyeux avec tout ce qui dure ; et nous nous tenions là,
dans l’intervalle qui sépare le Monde du jouet,
debout à cette place, qui fut dès le commencement
fondée par un événement pur.
Où se tient un enfant, qui nous le montrera ? Qui le place
en son lieu dans la constellation, et met entre ses mains
la mesure de la distance ? Qui confectionne ce pain gris,
qui devient dur, la mort d’enfant, -ou dans sa bouche ronde
la lui laisse comme le trognon
d’une belle pomme ?… Les meurtriers, on peut
aisément les comprendre. Mais cela : avoir en soi la mort,
la mort en sa totalité, et dès avant la vie encore
si doucement la contenir, et ne pas en être mauvais !…
Oh ! c’est inexprimable !"
R. M. Rilke
images : Les ailes du désir