Tortuga’s Bank : La République pour nom de la Domination…
16 Mai 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #en lisant - en relisant
Lyon. La canicule. Un ancien préfet, placé hors cadre, est découvert dans son appartement, mort. L’affaire est délicate : la République n’aime guère ce genre de publicité. Le commandant Farel s’en voit chargé. Une exécution, à ses yeux. Mise en scène. Lamentablement. Farel déploie son équipe. La routine qu’ils ont adoptée et d’une efficacité redoutable. Très vite sont mis à jour les collusions d’intérêts –on y est- qui voyaient le préfet emprunter discrètement les allées de la Finance privée : il jouait de son vivant les facilitateurs auprès du business immobilier. Les Affaires. On y est, le décor est planté de cette France du fric où les énarques godillent sans vergogne entre intérêts privés et publics.
Farel enquête. Son art est patient. Une question l’occupe : seule des bibles ont disparu. Le préfet en collectionnait, dont une du XVIème siècle, d’une valeur inestimable. L’homme avait les moyens : un relevé oublié par l’assassin dans la boîte aux lettres révèle que le préfet disposait de 52 000 euros d’intérêts (!) planqués à la Tortuga’s bank, en Suisse bien sûr. Sauf que la banque n’existe pas. Farel creuse. Le Grand Lyon, les marchés bidons généreusement octroyés… Le vol de la Bible paraît d’un coup dérisoire. Sauf qu’il est un bout de la bobine que Farel a commencé de tirer et qui lui ramène un visage. Celui de Vautrin, truand, politique, affairiste… dont la femme vient de se faire enlever sans que cela ne l’émeuve vraiment. Est-ce lui le commanditaire de l’assassinat du préfet ? D’autant que Farel établit bien vite que sa femme était l’amante du préfet… Pas sûr pour autant, mais cela vaut le coup de tirer cette fois tous les fils de l’écheveau. L’assassin du préfet, Farel le retrouve bien assez tôt. L’affaire est vulgaire. L’enquête pourrait s’arrêter là. Mais trop de crapules sont entrées en scène. Farel poursuit, opiniâtre. La bible n’était que le grain de sable qui est venu bloquer les rouages d’une machine parfaitement huilée : celle du blanchiment de l’argent sale en Europe. En grand. En très grand. Une Affaire juteuse. Donc d’Etat. Il y a plus haut, plus fort que ce Vauclin si puissant déjà. Dans les coulisses du Pouvoir politique, on s’émeut de tant de zèle. Il ne faudrait pas que cela remonte trop haut.
Revenu de tout, Farel a compris que Vautrin n’est pas sa cible. Qu’il est hors jeu déjà. Qu’il peut lui faire face en toute quiétude. Grand moment de vérité que ce repas auquel Vautrin invite Farel, au cours duquel les deux hommes réalisent où ils en sont sur cet échiquier qui les dévore. Une ombre les recouvre déjà, celle de la République, qui sait sacrifier ses enfants sans faiblir–elle le fait tous les jours. Vautrin le sait. Farel aussi : la République est le nom de la Domination, une arme de guerre tournée contre ceux qu’elle est supposée servir. Il sait qu’il devra l’apprendre mieux encore.
Superbe personnage que celui de ce flic méthodique, obstiné, patient, qui avance un pas après l’autre, observant les faits, les gestes, les détails, les incongruités d’un monde parfaitement mensonger. Superbe construction que ce roman au classicisme consommé, au raffinement éblouissant et dont il faut savourer la beauté si parfaitement accordée à son sujet, les ors d’un monde qui nous est devenu parfaitement odieux, mais dont nous ne savons pas nous libérer.
Tortuga's bank, André Blanc, éd. Jigal, coll. Polar, février 2013, 248 pages, 18 euros, ISBN-13: 978-2914704991.
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