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La Dimension du sens que nous sommes

Thomas Piketty, Le Capital au XXIème siècle

3 Octobre 2013 , Rédigé par texte critique Publié dans #Politique

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L’essai est d’importance, qui conclut quinze années de recherches, embrassant l’histoire économique dans la longue durée de vingt pays, pour débusquer les mécanismes à l’œuvre en les confrontant aux grandes analyses des économistes historiques, Marx en tête.
Parmi les thèses fortes de cet essai, celle concernant la répartition des richesses. On n’apprend tout d’abord rien qu’on ne savait : elle est toujours une histoire politique, qu’il n’est pas possible de ramener à un mécanisme économique. Et quant à la théorie du ruissellement selon laquelle plus les riches s’enrichissent, plus les classes moyennes à leur tour en profitent, elle est tout simplement fausse, mais constituent là encore un élément solide du langage démagogique… Nous ne ferons donc pas l’économie de luttes sociales et politiques dures, non seulement pour préserver nos acquis, mais pour donner un sens autre au destin d’une nation comme la nôtre. D’autant que les analyses de Piketty pointent un vrai scandale : les inégalités n’ont cessé de se creuser depuis les années 90, pour atteindre aujourd’hui dans les pays occidentaux des écarts hallucinants.  Or il n’existe aucun processus naturel autorisant de croire que les inégalités pourraient ralentir un jour : la rationalité économique ne débouche jamais sur une rationalité démocratique.
Et ce qui creuse ces inégalités, c’est le tournant pris par le Capital au XXIème siècle : sa nature a profondément changé. A la terre s’est substituée le foncier (la grande révolution bobo des années 2000), et aux rentes de la terre celles de la Finance. De ce point de vue, la Dette Publique est l’aubaine des grandes fortunes privées, qui grâce à elle, s’enrichissent chaque jour sans vergogne.
Dans ce dispositif, l’héritage est redevenu décisif ! Quelle avancée sociale que ce retour au XIXème siècle ! Face à l’héritage, chiffres à l’appui, Piketty démontre que la dynamique du savoir ne pèse rien, d’autant que l’investissement en formation s’avère nul et non avenu dans un pays comme le nôtre, et que la méritocratie n’est cette fois encore qu’un leurre que l’on nous sert pour nous donner à espérer, sinon nous culpabiliser de n’être pas tous polytechniciens... La diffusion du savoir est redevenue parfaitement inégalitaire. On le savait, mais d’un socialiste déçu du socialisme sauce Hollande cela fait du bien à entendre, tout comme il est bon de réaliser que le salaire moyen des parents dont l’enfant étudie à Sciences Po est de 90 000 euros… Ou bien d’apprendre que les inégalités dans les pays émergents sont plus faibles qu’aux Etats-Unis !
dette.jpgle XXIème siècle sera plus inégalitaire que le XXème siècle… Piketty pointe deux dangers qui nous menacent très concrètement : le décrochage des très hautes rémunérations, qui ponctionnent honteusement les capacités d’investissement, et surtout, la concentration des patrimoines qui conduira à des niveaux d’inégalités inconnus dans le passé –il faut remonter au XVIIIème siècle pour en retrouver du même genre…
La sécession des très hauts salaires, vrais renégats de l’idéal national, crée une situation inédite de transfert massif des gains financiers dans les poches de quelques-uns. Quant aux patrimoines hérités, ils sont aux yeux de Piketty des bombes à retardement pour l’économie mondiale, produisant déjà des effets extrêmement nocifs sur la structure des sociétés. Pensez à la force de frappe dont dispose ce Capital privé, qui représente aujourd’hui en France 6 fois le revenu national. Une prospérité patrimoniale inconnue en France depuis les Années Folles. Une prospérité qui s‘accommode fort bien d’un taux de croissance très bas, au contraire même, puisqu’il enlise le plus grand nombre et le contraint autant politiquement qu’économiquement à tout juste surnager la tête hors de l’eau pour régler le montant de la Dette Publique. Une Dette qui est devenue un vrai outil d’accumulation du Capital privé.  Obligeant par exemple les gouvernements à « déréguler », c’est-à-dire à opérer à un transfert massif de la richesse publique vers la richesse privée, les services publics, entre autres étant peu à peu confisqués pour le plus grand profit des grandes fortunes. De même assiste-t-on partout dans les pays riches à la privatisation du Patrimoine national (en France, 95% du patrimoine national se trouve déjà entre les mains des fortunes privées, quand pour des millions de français, le patrimoine se résume à quelques semaines de salaire d’avance). Le tout dessine un horizon bien sombre, qui commanderait du courage, là où l’ex-opposition ne fait que gérer une tendance néo-libérale qui à terme nous dépossèdera tous de nos droits les plus élémentaires…
 
 
Thomas Piketty, Le Capital au XXIème siècle, Seuil, Coll. Les Livres du Nouveau Monde, 30 août 2013, 970 pages, 25 euros, ISBN-13: 978-2021082289.
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