THEME AFRICAIN, ENTRETIEN AVEC LE PEINTRE YVES CAIROLI (5/6)
jJ: je ne sais plus qui a écrit un jour que le plus haut degré de la science des hommes était celui de la science des images. Que la science de l’image, même, était la science de l’homme par excellence : non pas seulement une théorie, mais la théorie enrichie par la praxis, un savoir au sens de mathèsis, ainsi que l’entendaient les grecs anciens, dont la Tragédie par exemple était porteuse, un savoir éthique qui plus est, qui concernait le cœur même de la vie humaine. Car seule la praxis apporte une vraie connaissance des choses. Face à vos images (pardonnez-moi d’appeler cela des images, mais sur internet, il ne reste que des images), je m’en suis souvent posé la question à propos de leur justesse, de ce à quoi elle touche -je parlais abusivement de miséricorde (encore que), d’autres, plus justement, les qualifiaient de "poignantes", montrant assez, par l’emploi de ce terme, cette mathèsis que j’évoque. Regarder l’esprit à travers les yeux de la chair… Pardonnez la formulation : je reviens de Toscane, tout ébloui encore du système de ces images qui hantent mon esprit… A quoi s’expose donc le peintre dans cette quête de l’image ?
Yves Cairoli : Il est vrai que nous sommes de plus en plus imprégné par le visuel. Imprégnation exacerbée par les nouvelles technologies qui nous conduisent vers une dictature de l’image contre le texte. Mais l’image explique tout aussi bien que le texte. Elle est tout aussi crédible que lui ou tout aussi in-crédible. Tout comme le texte, elle peut être détournée, faussée…Néanmoins elle "surexiste" . A nous d’être attentifs à ce qu’elle dit, ou à ce qu’elle veut nous faire croire.
Quant à la connaissance, elle passe par sa propre expérience en partie. L’expérience n’est pas seulement livresque fort heureusement.
Vous vous posez la question de la justesse de la représentation de mes tableaux que vous appelez images. Question à laquelle il est difficile de répondre : ce qui me parait juste l’est-il pour les autres ? En quoi ces images peuvent-elles nous parler ? De nous ? De notre monde ? Il s’agit de savoir si ma sensibilité, mes intérêts, sont proches des vôtres … L’artiste ne doit pas s’occuper de cette question ; il crée et livre ce qu’il a créé aux autres. Il y a rencontre ou pas, avec le spectateur. Ce dernier est touché, ému, …ou indifférent. L’artiste ne pense pas aux spectateurs quand il crée. Il pense surtout à exprimer ce qui le tarabuste et comment il va s’y prendre pour le concrétiser sur la toile ou le papier.
Le terme "miséricorde" est, il vrai, abusif, mais il est vrai que je montre les travers et les souffrances humaines ( pas uniquement, car certaines toiles sont humoristiques). Suis-je dans l’affect ? Certainement : je ne théorise pas ni ne raisonne ma démarche. Ce n’est pas à moi de le faire mais à celui ou celle qui s’intéresse à mon travail.
Enfin le peintre s’expose toujours dans son travail, il se met à nu même si les toiles sont aussi des paravents qu’il faut décoder. Le but est de montrer au public son travail et de recevoir louanges ou critiques, peu importe. Tout sauf l’indifférence qui est la mort de l’artiste. L’œuvre existe grâce à l’artiste mais l’inverse est tout aussi vrai.
Yves Cairoli, né en 1960. Autodidacte. Ne connais pas la date exacte à laquelle il a commencé à dessiner. Avant de savoir lire et d’écrire probablement ! A été progressivement illustrateur dans une revue de citizen-band , ouvrier sidérurgiste, puis certifié de Lettres Modernes. A commencé la peinture à l’âge de 22 ans. A participé à de nombreuses expositions collectives et personnelles en France et en Belgique… Principales expositions : Galerie Schèmes à Lille, Galerie Art Place à Lille, Galerie d’Halluin à Cassel, Galerie Begard à Douai,Galerie Natascha, à Knokke le Zoute, etc. …
http://www.artmajeur.com/yvescairoli
image : fétiche ( fétiche) acrylique sur toile/ 130x97/2011