THEME AFRICAIN, ENTRETIEN AVEC LE PEINTRE YVES CAIROLI (3/6)
jJ : Vous avez abandonné ce travail parce que, dites-vous, il était devenu répétitif. Cela tenait-il au thème lui-même ? Qu’est-ce qu’explorer picturalement une identité ou une tradition visuelle autre ?
Yves Cairoli : J'ai abandonné ce thème parce que mon travail devenait répétitif et procédurier. Quand vous ne prenez plus de plaisir à peindre sur un thème, c'est généralement parce que vous êtes au bout d'un cycle. Il est vrai qu'au bout de sept ans de travail sur ce thème, je commençais à être apprécié dans le Nord à travers plusieurs expos. Mais ne vivant pas de la peinture, je pouvais me permettre d'évoluer plus facilement. Je ne suis pas conditionné par le goûts des spectateurs, je vais là où mes idées me mènent. La peinture ne paie pas mes factures. Si elle le faisait, je ferai certainement comme certains : je perdurais dans ce qui plait et pas forcément dans ce qui me plait.
Mais dans mon cas, il peut se passer une période plus ou moins longue pour trouver un autre sujet. Mais le suivant était en germe en moi depuis les deux dernières années du thème Africain : je voulais travailler les masques et me centrer sur une représentation humaine. Quoi de plus naturel que de reformuler la représentation graphique des masques pour montrer les travers humains ? Enfin, pour moi, cela me paraissait évident.
jJ : Parlons de votre nouveau travail. Vous dites assez curieusement avoir voulu travailler sur des masques, africains qui plus est, pour vous centrer sur la représentation humaine. Une représentation en outre graphique, et non abstraite ou figurative. Pourquoi ce choix tout d’abord, ce double choix si j’ose dire, d’un graphisme qui trouve sa source dans le masque africain ?
Yves Cairoli : Après être passé par l’ étude de ces patchworks très colorés et offrant des possibilités de jouer avec les formes, les pictogrammes, les écritures imaginaires…, j’ai voulu me recentrer sur l’homme sans quitter le thème africain. La meilleure passerelle était pour moi le masque. Elément quasiment reconnu de tous, dans toutes les civilisations .De la Grèce antique… à nos jours, avec le détournement que sont les masques de carnaval. En dehors de sa fonction de rite, de représentation dans le domaine culturel, religieux et même politique, le masque a quasiment une double fonction : cacher les travers de l’âme humaine ou les dénoncer.
Lorsque j’écris une représentation graphique de ces masques, je reproduis ici l’avis de plusieurs confrères peintres qui me disaient que je n’étais plus dans la peinture mais dans le pur graphisme. Certainement , à cause de mon goût prononcé pour le trait, le dessin.
Quant à l’abstrait et le figuratif, les toiles sont lisibles et représentent dans une espèce de "néo figuratif" des personnes à la fois reconnaissables et universelles. Une espèce de travestissement de l’homme.
Je trouvais aussi un côté mystérieux, obscur, étranger, ridicule, pathétique, expressif… dans ces masques africains et autres. Ils traduisaient pour moi tout ce dont j’avais besoin pour transcrire les travers de l’âme humaine.
Si je reviens au graphisme de mes toiles, j’ai voulu mêlé à la fois modernité, par l’aspect quasiment robotique et industriel du dessin, et une certaine forme d’art brut.
Pour cela j’ai donc choisi dans un premier temps le noir et blanc et par la suite des couleurs "Terre" qui me permettaient d’accentuer les détails.
Dans un premier temps, le parti-pris était de figer mes personnages dans une attitude classique de portrait hiératique (de face, de profil droit et gauche), comme des portraits de famille. J’ai par la suite dessiné les personnages en plan ceinture, américain, puis en plan général.
Les masques anthropomorphes me permettent de souligner le "bestiaire" que représente notre humanité. Ils ont pour fonction de dénoncer la plupart des tourments, des tares, des errances, des souffrances de l’homme quel que soient sa religion, son origine, ses idées politiques…
image : femme muette acrylique sur toile/ 40x40/2008.
Yves Cairoli, né en 1960. Autodidacte. Ne connais pas la date exacte à laquelle il a commencé à dessiner. Avant de savoir lire et d’écrire probablement ! A été progressivement illustrateur dans une revue de citizen-band , ouvrier sidérurgiste, puis certifié de Lettres Modernes. A commencé la peinture à l’âge de 22 ans. A participé à de nombreuses expositions collectives et personnelles en France et en Belgique… Principales expositions : Galerie Schèmes à Lille, Galerie Art Place à Lille, Galerie d’Halluin à Cassel, Galerie Begard à Douai,Galerie Natascha, à Knokke le Zoute, etc. …