THEME AFRICAIN, ENTRETIEN AVEC LE PEINTRE YVES CAIROLI (2/6)
jJ: Vous insistez beaucoup sur le caractère instinctif de votre démarche, sur votre spontanéité d'écriture. Je ne crois pas du tout qu'il puisse exister quelques chose comme un instinct, surtout dans le champ de la création artistique. Rien de moins spontanée que les poèmes de Rimbaud, qui dès douze ans avait mémorisé et intégré toute la prosodie française, latine, grecque, finissant en apparence par écrire d'instinct, quand ce n'était au fond qu'au terme d'un long travail réfléchi et construit sur l'art poétique et ses pratiques. Mais certes, un long travail réfléchi ne signifie pas pour autant une création consciente, ni moins encore omnisciente. Dans une autre optique, si je puis dire, rien ne paraît plus évident que le regard que l'on porte sur le monde, ce travail banal et de tous les instants de l’œil face à la réalité. Mais toutes les études montrent que rien n'est moins construit que la vision : le schème visuel non seulement se double d'un schème cognitif qui relève entre autre de la culture visuelle à l'intérieur de laquelle nous avons appris à voir le monde, mais se transforme sous l’évolution de cette culture –et du travail des peintres. Pour le dire autrement : je vois la réalité du monde, au sens strict, comme mes grands-parents ne la voyaient pas, et mes petits enfants verront, au sens strict et physique du terme encore une fois, un monde que je n’aurai pas vu, même s’ils vivent là où j’ai vécu, et en disant cela, bien sûr, je fais abstraction des transformations mécaniques du monde, des lieux, etc. ... Si vous lisez les textes grecs de l'Antiquité, pour donner un autre exemple, vous y découvrirez que la couleur bleue n'existe pas, n'est pas identifiée comme telle, n'est pas nommée. Autre chose existe, mais qui n’est pas bleu dans la vision que nous en avons aujourd’hui. Ce sont ces constructions cognitives qui m'importent et qui, me semble-t-il, façonnent une partie du travail du peintre : Van Goh ouvrait notre vision à des expériences visuelles nouvelles, qui décachetaient littéralement notre vision. Qu'il soit difficile d'en démonter les raisons et les causalités, ça, je vous l'accorde bien volontiers ! On peut toutefois opérer à des repérages, étudier patiemment comment se construit, dans votre cas, l’africanité picturale. Ces fameux invariants, signes et systèmes qui donnent à penser qu’il s’agit de l’Afrique… Car s’il y a de l’africanité dans votre travail de plasticien, d’où vient-elled onc ? Il y aurait une identité plastique africaine ? Mais qu’est-ce qui la dénote, quels en seraient les marqueurs ? Le spectre des couleurs convoquées ? Les formes en un certain assemblage ? Ces diagonales qui coupent la surface ? Quoi de cette africanité dans le rapport surface-support en particulier, tout comme dans le rapport fond-forme, dans la localisation de la couleur, etc. ? Cette identité visuelle reconstruite a posteriori engage le regard et notre regard sur l’Afrique. Or le plasticien paraît l’observateur idéal pour répondre de cette identité, vraie ou fausse, réelle ou supposée, inscrite au demeurant ou non dans une histoire esthétique à la mesure d’un continent tout entier, rien moins que cela, et par delà l’histoire, révélant des invariants formels. Mais quels seraient ces invariants ? Comment en outre avez-vous travaillé depuis votre atelier, puisque vous n’êtes pas allé en Afrique ? Qu’est-ce que cela voulait dire dans ces conditions, l’Afrique, visuellement, quand ce visible de l’Afrique n’aura été construit, en partie du moins, qu’à partir d’un lisible fictionnel (Jules Verne dites-vous), ou des carnets de voyage de Monfreid ? Que veut dire travailler picturalement à partir d’œuvres littéraires ?
Yves Cairoli : La réponse à la question de l'africanité dans mon travail sera difficile, ardue, quasiment impossible. Je ne puis y répondre. Les visiteurs pourraient vous le dire. A ce propos : lors d'une expo "cultures du monde" à laquelle j’avais été invité, des Africains de passage avaient cru que mes tableaux avaient été réalisés par un africain car j'avais, selon eux, traduit parfaitement l' Afrique. J’avais pour ainsi dire capté l’esprit de ce continent où je n'ai jamais mis les pieds… Les propos de ces visiteurs m'ont été rapportés par l'organisatrice de la manifestation. Je n’ai pas pu discuter directement avec eux. J'aurai bien aimé savoir ce qu'ils entendaient par là. En tout cas, j'ai pris cela comme un compliment pour mon travail, que je voulais honnête. Mais si je cherche à creuser un peu, il me semble que plastiquement, ce qui dénoterait l'africanité serait le choix des couleurs (primaires ou terres et ombres), l'assemblage des motifs construits en patchworks colorés, etc. ...Mais je ne peux vous répondre sur l'identité de cette africanité. Je ne sais pas si elle est vraie, si elle fausse… Au fond, elle est moi. C'est une intériorisation d'informations. C'est en quelque sorte mon Afrique ! J'ai essayer de capter une image africaine à partir des recherches dont je vous ai parlé , avant de les reformuler à ma façon, avec ma technique. Cette démarche ne s'inscrit pas dans une histoire esthétique.
Yves Cairoli, né en 1960. Autodidacte. Ne connais pas la date exacte à laquelle il a commencé à dessiner. Avant de savoir lire et d’écrire probablement ! A été progressivement illustrateur dans une revue de citizen-band , ouvrier sidérurgiste, puis certifié de Lettres Modernes. A commencé la peinture à l’âge de 22 ans. A participé à de nombreuses expositions collectives et personnelles en France et en Belgique… Principales expositions : Galerie Schèmes à Lille, Galerie Art Place à Lille, Galerie d’Halluin à Cassel, Galerie Begard à Douai,Galerie Natascha, à Knokke le Zoute, etc. …
images : espion à la solde des pays occidentaux: acrylique sur toile/60x60/2008