(THE WIRE) LA TRAGEDIE DU REFORMISME POLITIQUE…
On se rappelle Stringer Bell, maître d’œuvre de la seconde utopie de la série, développée en miroir de celle du major Calvin. Stringer Bell voulait sortir de la logique de guerre des gangs, réformer le commerce de la drogue. On le surprend sur les bancs de la fac, à suivre des cours d’économie et tenter de déchiffrer à la lumière des théories fraîchement acquises la crise structurelle qui frappe le marché de la drogue à Baltimore. On se rappelle sa volonté de faire coopérer les gangs, et celle de reconvertir son argent dans l’immobilier, Stringer Bell réalisant qu’il gagnerait cent fois plus d’argent dans ce commerce licite. Réinvestir dans le béton. Sous le couvert du financement des politiciens, sans qui rien ne peut se faire… On se rappelle ces belles analyses sur la fonction de fabrique d’identité des Corners. Mais Omar vient le flinguer. Omar le mercenaire, quelque figure de la vieille Amérique que Stringer Bell prend en pleine poire. Tout comme le programme de Calvin prend en pleine figure le retour du réalisme politique. Comme une fatalité. Mais qui aurait un nom, celui du cynisme des institutions qui sait toujours faire front à la grandeur des individus.
The Wire, cette série préférée de Harvard, au point que l’illustre université lui a consacré un séminaire. Une série portant aussi sur la tragédie structurelle du réformisme politique. Non : sur la tragédie que les institutions de la société néo-libérale font peser sur ses possibilités de réforme, au terme de laquelle on comprend que la nécessité institutionnelle ne peut être combattue que par une nécessité collective aussi puissante. Au terme de laquelle on comprend que les institutions ne peuvent être combattues par la seule volonté des agents qu’elles produisent, que seule une rupture collective peut autoriser un vrai changement, que seul un sujet collectif peut générer ce vrai changement, que ce genre de société ne peut se transformer de l’intérieur, qu’elle finit toujours par se reproduire et reproduire ses formes de domination.
On peut bien, certes, exhiber les luttes nécessaires et les collectifs qui les tissent. On peut bien imaginer, esquisser d’autres formes de vie, voire arracher des territoires entiers (au niveau local, la démocratie directe est toujours possible) à l’oppression sociale qui nous enferme, on peut explorer d ‘autres modes de ré-appropriation collectives, toute radicalisation éthique de la praxis politique demeure sans issue : la liberté ne peut se déployer que dans l’espace commun. L’homme refusé, face à l’ampleur de la tâche qu’il entreprend, ne peut qu’abdiquer à la longue ou voir son œuvre détruite, tant que son entreprise de déchiffrement ne parvient pas à viser la possibilité d’une histoire collective. Il risque même de sortir de la vision politique du monde pour improviser une sorte de messianisme vain. L’indécidabilité de la promesse historique ne doit jamais suspendre l’action collective.
La saison 4 s’ouvrait sur la comédie électorale et la vacuité du monde politique. Tandis que le programme de gentrification se poursuivait dans le centre-ville. On votait, mais on votait pour que rien ne change. Le même revenait toujours. Chaque nouveau personnel politique se montrait incapable de produire du neuf : on échangeait les rôles, plutôt qu’on en changeait le monde, la vie, la société, conjuguant de la sorte les destins au futur antérieur.
Jusqu’au dernier cercle de l’enfer démocratique, incarné par la conspiration politico-médiatique. A la toute fin de la série, les médias venaient boucler le dernier cercle de l’enfer néo-libéral et célébrer la disparition de la société, la nôtre, où il ne restait qu’à survivre.
Une fracture. Celle qu’inaugura le discours néo-libéral, refusant au politique sa fonction structurante, inaugurant une politique séditieuse, alors que la politique est une lutte pour rendre le monde humain, non le déshumaniser en jetant les uns contre les autres.
Le marché ne peut devenir l’opérateur de l’ordre social. Qu’il s’agisse du marché de la drogue ou de celui des opportunismes politiciens. Faisons donc en sorte que le vote qui nous attend ne soit pas celui qui viendra refermer sur nous la tragédie du réformisme politique. --joël jégouzo--.