Syrie : une Guerre Juste, ou juste une guerre de plus ?
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la Guerre contre la Syrie ne fait ni l’unanimité des états, ni celle des peuples. Les raisons sont multiples, du risque d’embrasement de la région à celui de voir le pays tomber entre les mains d’extrémistes. Ce qui m’importe toutefois, n’est pas d’analyser ces raisons géopolitiques, ni celles pour lesquelles un Laurent Fabius gesticule pareillement à la remorque de la diplomatie américaine. Ce n’est pas non plus de tenter de comprendre pourquoi des frappes seraient inefficaces, ni d’entrer dans la compréhension du ballet diplomatique pour démontrer par exemple que ce recours n’a pas été épuisé, loin s’en faut, le nouveau président iranien, Rohani, en condamnant l’utilisation des gaz par Bachar El Assad, s’étant montré soudain plus soucieux de tisser de nouveaux liens avec l’Ouest que de soutenir sans condition son allié syrien –il est vrai que l’utilisation des gaz a réveillé dans la population iranienne le douloureux souvenir des attaques chimiques de l’Irak.
Ce qui m’importe, ce sont les motifs qui encombrent ce concept de Guerre Juste.
Une idée dont Frank Bourgeois a parfaitement dressé l’histoire, dans un article auquel je renvoie.
Une idée très ancienne : Platon déjà appelait les Grecs à la modération au cours de leurs luttes, mais, détail important, uniquement dans le cadre des guerres fratricides (Rép. V, p. 467-471 ; Lois, p. 628). Car dans le cas des guerres contre les "barbares", la guerre menée contre eux n'appelait à aucune modération particulière (Rép. V, p. 470 b), et cette guerre paraissait naturellement juste, au vu du concept de civilisation qui en articulait le bienfondé.
La Guerre Juste des Etats-Unis contre l’Irak rappelle cette conception profondément xénophobe développée par les Grecs anciens : l’Irak était le pays des barbares à ses yeux, et les dommages collatéraux n’ont guère embarrassés les occidentaux dans leurs frappes aveugles qui ont fait des centaines de milliers de victimes civiles, justifiées par la bande, dans les termes mêmes d’Aristote, aux yeux duquel "le juste n'existe qu'entre ceux dont les relations mutuelles sont sanctionnées par la loi". De Loi, les grecs n’en reconnaissaient pas aux barbares, à qui ils refusaient le secours du droit. Le barbare, de fait, on le chassait comme un gibier : "Il suit de là que l'art de la guerre est, en un sens, un mode naturel d'acquisition (l'art de la chasse en est une partie) et doit se pratiquer à la fois contre les bêtes sauvages et contre les hommes qui, nés pour obéir, s'y refusent, car cette guerre-là est par nature conforme au droit." Aristote (Politique, I, VIII, 12. Texte établi et traduit par Jean Aubonnet, Paris, Les Belles Lettres, coll. Budé, 1960).
Pour Cicéron, maillon décisif entre la pensée grecque et les Pères latins, il en allait autrement. Disons que le versant français de la Guerre Juste plonge ses racines dans cette veine. Les idées stoïciennes qui l’influençaient lui faisaient refuser les idées grecques sur les Barbares. Cicéron ne pouvait pas ne pas reconnaître de droits aux catégories dites subordonnées de la société, les esclaves par exemple, dont l'acquisition ne pouvait à elle seule constituer un motif légitime de guerre.
Pour lui, la Guerre Juste devait s’inscrire dans des limites assignées par le droit, et ne pouvait être entreprise que dans la mesure où il se révélait impossible de résoudre le conflit par la négociation. Ce qui impliquait qu'elle ait été déclarée en bonne et due forme, ouvrant ainsi avant le feu une ultime échappatoire diplomatique. Voici comment Frank Bourgeois résume la conception cicéronienne de la Guerre Juste :
1- "avoir toujours en vue l'obtention d'une paix juste ;
2- partir en guerre en dernier recours ;
3- ne guerroyer que pour une juste cause, à savoir, exclusivement répondre à une agression ou secourir un allié ;
4- déclarer la guerre en bonne et due forme et dans le respect du droit.
5- Conduire la guerre dignement et sans violence excessive."
Ces principes vont irriguer toute la pensée chrétienne de la Guerre Juste. Mais dans la conception chrétienne, une dérive va se faire jour, qui n’est pas sans rappeler l’argumentation française que nous connaissons aujourd'hui.
Dans la conception chrétienne, il existe deux manières de pécher contre la justice : la première est de commettre un acte injuste, la seconde, de ne pas défendre une victime contre un injuste agresseur (Ambroise de Milan). Depuis Kouchner et son droit d’ingérence, jusqu’au récent coup de gueule de Fabius, c’est ici que se loge l’idée française de la Guerre Juste.
Une idée dont Augustin thématisa le premier l’équivoque, en affirmant la justice du soldat ou du bourreau à certaines conditions, dont la défense du prochain comme raison suffisante pour recourir à la force. Sauf qu’Augustin y avait ajouté ce qu’il croyait être un rempart : l'importance de la disposition intérieure -il faut se trouver dans des dispositions intérieures conformes à la justice pour agir. Vaste débat que celui de cette conformité…
Ce qui m’importe ici, c’est cette prescription faite au chrétien d’intervenir. Prescription héritée selon Franck Bourgeois d’Ambroise de Milan : "Celui qui ne repousse pas l'injustice qui menace son frère, alors qu'il peut, est aussi coupable que celui qui commet l'injustice" (De Officiis, 1, 36, 178).
Au nom de cette prescription, il fallut donc combattre le désordre des nations païennes… Punir le coupable de crimes abominables était devenu une cause juste et suffisante, qui mena tout droit à son extension la plus douteuse : la guerre ordonnée par Dieu, la guerre Deus auctore, qui conduisit d’une part à l’Inquisition : la lutte par le fer contre les hérétiques, et d’autres part aux croisades…
Dans le cadre qui nous occupe aujourd’hui, ce qui justifie la guerre, c’est qu’elle répond à une injustice faite aux hommes. Nous allons devoir mener bien des guerres alors… François Hollande semble bien parti pour nous en trouver…
http://www.protestants.org/index.php?id=33141
Images : bombardement de Dresde. Dans la nuit du 13 au 14 février 1945, Dresde, capitale de la Saxe, fut attaquée à deux reprises par des centaines de bombardiers lourds de la RAF. Le lendemain, la ville fut à nouveau bombardée, cette fois par la force aérienne américaine, la USAAF. Mille avions participèrent à son attaque, réduisant le centre historique de Dresde en cendres, enseveli sous plus de 750 000 bombes incendiaires.
Le journaliste et historien britannique Phillip Knightley devait écrire à l’occasion : " À Dresde, des vents approchant la vitesse de 160 km à l’heure emportèrent débris et individus dans un bûcher dont la température excédait 1 000 degrés centigrades. Les flammes dévorèrent tout ce qui était organique, tout ce qui pouvait brûler. Les habitants moururent par milliers, grillés, incinérés ou asphyxiés".
Boeing B-52 Stratofortress.
Bombardement stratégique en Irak.