La pensée de Brice est un désastre moral. Demain, un désastre politique. Dans ses rangs mêmes, la Droite en prend conscience. Un désastre, certes, qui ne s’est pas produit sans complicités ni renoncements, à droite comme à gauche. Mais il sera bien temps d’y réfléchir. Pour l’heure, il faut parer au plus pressé.
Et le plus pressé, ce sont des Hommes d’Etat portés par le souci d’abaisser les critères du choix moral français. Qu’y a-t-il au bout du sacrifice de la morale républicaine ? Nous ne le savons pas encore. Sinon que leur point de vue est fort simple : voilà le type d’abaissement qui devrait leur permettre de remporter les prochaines élections présidentielles… Et voici qu’ils se préparent, pour deux longues années, à travailler sourdement au corps une Nation qu’ils ont déjà crispée sur leurs angoisses identitaires. Qui peut prédire les conséquences d’un tel baroud, fût-il d’honneur ?
Moralement irresponsables, ces hommes débridés de pouvoir appellent jour après jour de leurs vœux une société divisée, où l’on aurait enfin subordonné la notion de Droit à celle de Devoirs. C’est là le signe. Celui du danger qui nous menace, cette morale du devoir qui n’est en réalité qu’un simple arrangement personnel permettant de satisfaire les rationalisations les plus folles. Une pseudo morale qui n’éclaire en rien ce qui pourrait nous engager dans un mode de vie à partir duquel affirmer pleinement notre humanité. Au contraire : chacun devra se faire chien pour vivre dans leur République.
Jamais la conviction que les désaccords profonds qui traversent nécessairement toute société sur le sens que la vie peut prendre, n’entraînera chez eux, comme il se devrait dans un régime libéral normalement constitué, l’idée qu’il est impératif de veiller aux liens moraux qui peuvent encore nous unir. C’est tout le contraire qui les inspire : ils défont ces liens les uns après les autres. C’est qu’une société divisée, défaite, n’ouvre qu’aux issues les plus tragiques et aux opportunités qui les accompagnent : celles des lois d’exception. Un Ministre recommandant au Législateur de légiférer sur les comportements vestimentaires et les mœurs ne pointe pas un autre horizon que celui des Lois d’exception. Le Bien Public devra demain se plier à cet impératif, et le Droit ne sera plus qu’une forme de prescription autoritaire qui disciplinera les conduites individuelles. A quand la création d’un Institut National de l’Hygiène Morale ? Il s’agit toutefois moins d’un « pétainisme transcendantal », selon l’expression d‘Alain Badiou, que d’une forme d’incompétence plus ou moins calculée, et d’un laisser-aller qui frappe par sa franchise, témoignant de ce que, dans cette doctrine, un verrou a sauté qui autorise désormais que l’on soit «naturellement» raciste. Cela dit, l’abaissement moral n’entrait pas dans le programme de gouvernement pétainiste. Ici, il est la condition même de l’exercice du pouvoir.
Le philosophe Michel Henry, que plus personne ne lit plus malheureusement, expliquait avec pertinence que le «fascisme (n’était) rien d’autre qu’une doctrine qui procède à l’abaissement de l’individu de façon que sa suppression apparaisse légitime». En abaissant l’individu ajusté comme étranger au corps national, l’Allemagne nazie s’offrait des victimes d’autant plus admissibles qu’elles avaient été dépouillées de tous les attributs visibles de la dignité humaine, selon les normes édictées par la clique alors au pouvoir. Dans les médias qui les stigmatisaient, rien n’était omis, de leur apparence vestimentaire à leurs affaires de mœurs. Rejetées dans l’ordre du monstrueux, leurs dissimilitudes soigneusement recensées construisaient la mesure d’un déficit d’humanité propre à autoriser leur persécution. On les abattait ensuite, plutôt qu’on ne les fusillait, tant ils ne ressemblaient en rien à l’idée que le pouvoir nazi avait fabriquée de l’allemand de souche –les allemands finirent, eux, par se travestir en allemands de souche pour se ressembler un peu… L’Allemagne nazie planifia sa méthode de façon à ce que la morale nationale n’en souffrît point : on commença par les minorités les plus fragiles, les plus visibles et donc les plus aisées à jeter en pâture avec leur style si éloigné de l’idée nationale du bavarois de souche. On était passé du vêtement à la densité ontologique : ces individus attifés bizarrement n’étaient plus des êtres humains mais quelque chose comme le chaînon manquant, à mi chemin entre la bête et l’homme. Leurs corps, déshumanisés, pouvaient désormais être livrés à la violence de masse. En frappant sa victime physiquement, en la déformant, le bourreau nazi achevait sa transformation en bête. Leur humanité anéantie, ne restait plus que la vie à leur retirer. Le tout justifié par un discours politique imposant le recouvrement de tout le peuple allemand racialement disponible, dans sa corporéité même. Au nom du politique, on inspecta les aspects les plus intimes de la vie, refoulant la vie de toute part. « Dès que le politique passe pour l’essentiel, le totalitarisme, conséquence de l’hypostase de celui-ci, menace tout régime concevable», affirme Michel Henry. Mais cet abaissement entraîne toujours la ruine de la société qui l’a produit. En France, aujourd’hui, l’abaissement moral des propos de Brice croyait refléter la défaite morale des discours humanistes. Parce qu’il était au pouvoir, Brice a cru que la population était de son côté, ou qu’elle attendait un signe. La vulgarité dont il fit preuve dans cette affaire était un test en fait, grandeur nature. Que la classe politique se taise, que la classe médiatique se lasse, et demain il passerait à la vitesse supérieure. La France, qui dans sa bouche n’avait de leçon à recevoir de personne, allait en donner une sévère au monde (musulman). Mais nous sommes trop lucides encore sur ces pratiques pour ne pas voir qu’elles sont incompatibles avec l’idée de la dignité humaine que nous nous faisons.--joël jégouzo--.
De quoi Sarkozy est-il le nom, de Alain Badiou, Nouvelles Editions Lignes, Collection : Lignes Langue, octobre 2007, 155 pages, 14 euros, ISBN-13: 978-2355260032.
La barbarie, de Michel Henry, PUF, coll. Quadrige, mai 2004, 252 pages, 12 euros, ISBN : 2130542808.