Soyez réalistes, demandez l’impossible, de Mike Davis
Le titre est idiot, oubliez-le. Les Prairies ordinaires publient tout de même un petit recueil très réconfortant du sociologue américain Mike Davis, vieux briscard de la lutte anti-capitaliste des années 60, qui est tout, sauf un vieux schnock donneur de leçons.
Une suite de réflexions donc, plutôt que de conseils, offertes aux jeunes générations engagées à leur tour dans la lutte –c’est drôle, sinon bouffon, comme l’histoire se répète… Mais peut-être pas finalement : Occupy Wall Street, malgré ses airs de sixties, ne répète pas le Flower Power de Woodstock, sinon dans ces grandes largeurs qu’une presse à court d’image fantasme. Un mouvement qui occupe une grande partie des pensées de Mike Davis, qui dure, qui dure malgré le silence radio que nous impose des médias stipendiés, et dans lequel notre sociologue voit pointer l’un de ces contre-mouvements de civilisation dont seuls les States ont le secret, et qui a bien de quoi surprendre en effet –s’il ne meurt pas demain. D’abord parce qu’il est issu de la rue, pour la première fois depuis une bonne cinquantaine d’années. Ensuite parce qu’il recompose toutes les composantes des mouvements de contestations qui ont traversé les Etats-Unis (et le monde) depuis ces cinquante dernières années justement –et qui tous, à un moment où un autre, se sont échoués faute de perspectives, sur les plages grotesques de l’individualisme bobo (pour faire vite), qui a pris sa pitoyable réussite pécuniaire pour un progrès de l’Esprit quand elle n’était qu’un égotisme d’héritier à la remorque des marqueurs des classes huppées… Ensuite parce que, hétéroclite, il pointe le seul vrai horizon dépouillé par les soins d’un néolibéralisme colonisateur : la question de la richesse et de sa répartition.
Et Mike Davis, d’un ton très enjoué, de convoquer pour sa démonstration les films de John Carpenter dont son Invasion Los Angeless de 1988, un bijou cinématographique qui dépeignait au vitriol l’ère Reagan, coup d’envoi de la mondialisation néolibérale dont on mesure aujourd’hui l’escroquerie. Dans ce film, on y voyait alors la classe ouvrière condamnée à vivre sous des tentes. C’est fait. Mais elle finissait par piquer une vraie grosse colère pour botter les fesses des banquiers. Ça reste à faire.
Certes, Occupy Wall street n’a pas encore découvert son programme, ni ses stratégies, et sa colère peace and love est bien en deçà de la révolte que mériterait la question sociale telle qu’elle se pose à nous aujourd’hui. Mais symboliquement déjà, elle lève un lièvre énorme : ils ont libéré un arpent de terrain là où le foncier est le plus cher du monde ! Et disposé une agora en plein cœur de leur sanctuaire privé. Qu’on y regarde de plus près enfin : l’auto-organisation militante, sur place, peut bien paraître chaotique, elle est ce dont nous avons le plus besoin politiquement pour récupérer notre souveraineté confisquée.
Et Mike Davis a raison d’affirmer qu’il faut instruire enfin le procès de ce capitalisme dévastateur, qu’il faut dénoncer le massacre économique auquel il se livre et qui se facture en vies humaines. Une dénonciation effective, plutôt que politicienne, et Mike Davis a toujours raison d’affirmer que le problème n’est pas d’augmenter les impôts des plus riches, mais de conquérir une meilleure répartition de la richesse créée. Car, on l’aurait presque oublié, il NOUS revient de décider, politiquement, ce que nous voulons en faire en termes de dépenses sociales ou d’emploi par exemple, tout comme de retraite ou d’éducation, plutôt que de voir nos richesses filer sous la forme de dividendes iniques dans des poches que rien ne légitime politiquement.
Soyez réaliste, demandez l’impossible, de Mike Davis, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne Meyer, Les prairies ordinaires, collection Penser/croiser, août 2012, 72 pages, 9 euros, ean : 9782350960579.